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CHAPITRE 2 OBJETS D’ASPIRATIONS ET SUJETS DÉSIREUX

2.5 L’analyse de contenu

À partir de ces précisions, une dimension sociologique et une autre politique ressortent.

Dans une démarche de désir mimétique, le sujet-élite désire un objet convoité par un autre sujet. Un rapport social (sociologique) s’établit entre les deux, puis se transforme en un rapport de pouvoir ou une rivalité (politique). L’interrelation entre ces deux dimensions revient à une convoitise romantique (donc basée sur des paysages construits culturellement) suscitant des stratégies d’appropriation ou de substitution. Celles-ci s’articulent dans la relation gagnant-perdant qui oblige le sacrifice d’un objet-modèle par le gagnant-perdant au profit d’un objet-substitut.

Bien que nous ayons seulement identifié les sujets-imitateurs, leur discours et le contexte historique fournissent par eux-mêmes l’identité des adversaires (élites canadienne française et bourgeoise).

Notre recherche porte sur un fait historique et exige de raviver un discours passé par l’étude des écrits. Par conséquent, la méthode employée doit tenir compte de la nature des documents considérées et des messages qui possèdent un sens et une raison d’être teintés des jugements de valeur de ses auteurs auxquels se greffe un contexte qui entoure l’acte d’écriture (Bardin, 1980 : 220-221; Sally, 2005 : 102-109). Cela revient à dire que : « […] le document même par lequel nous observons l’histoire, présente déjà un discours qui définit et oriente l’objet historique » (Villemaire, 1988 : 28), en plus d’être réorienté par son lecteur. D’où l’importance de bien connaître l’environnement et les personnages en cause. L’examen du discours se veut un sous-groupe de la méthode de l’analyse de contenu qui est : «[…] un ensemble de techniques d’analyse des communications » (Bardin, 1980 : 31). Les communications proviennent de diverses sources, d’époques et possèdent des formes variées (productions auditives, langagières et visuelles) analysables par une approche qualitative (présence ou absence de caractéristiques de contenu dans un message ou un fragment) ou quantitative (fréquence d’apparition de certaines caractéristiques de contenu) (Bardin, 1980 : 20; Sabourin, 2009 : 418). Dans le cas présent, nous utilisons l’approche qualitative du discours afin de soutirer des informations en lien avec des critères de mesure présentés plus loin.

Notre démarche a débuté par une recherche dans des bibliothèques (Bibliothèque de la CCN, Bibliothèque du Musée canadien des civilisations37 et Bibliothèque de l’Université du Québec en Outaouais) dans le but d’obtenir des ouvrages utiles à créer une chronologie historique solide (du XVIe jusqu’au XIXe siècle, car un lien intime existe entre le développement du pays et celui des deux villes à l’étude). Cette connaissance de l’histoire

37 Le Musée canadien des civilisations changera de nom pour devenir le Musée canadien de l’histoire.

nationale s’avère indispensable pour bien saisir les particularités du contexte d’autrefois. Outre les bouquins, les mémoires et les thèses, s’ajoutent les trouvailles des archives (Archives de la Ville d’Ottawa, Archives nationales du Canada et site Internet Gallica.fr). Ces données primaires (correspondances officielles, lettres et notes personnelles, journaux et mémoires) se rattachent au contexte et aux personnages considérés et se complètent des ouvrages historiques.

L’analyse de contenu nous a aussi permis de dénicher des œuvres artistiques servant à la dimension paysagère soulevée lors de notre description de la méthode de l’observation des lieux. Cette iconographie, obtenue des Archives nationales du Canada et du Musée des beaux-arts du Canada, corrobore l’appréciation des territoires étudiés à partir de nos photographies, tel que mentionné plus tôt. Se joignent à ces données visuelles d’autres de nature littéraire (écrits descriptifs et poèmes) au sujet des paysages. Ce travail déborde donc du XIXe siècle pour intégrer certaines représentations des XVIIe et XVIIIe siècles. Afin de soutirer les éléments probants servant à l’analyse des dimensions sociologique et politique, des critères de mesure ont été élaborés comme suit :

Tableau 2.3 Critères de mesure pour la méthode de l’analyse de contenu.

Dimension sociologique (de sujets à objets)

 Objet-modèle idéalisé, valorisé et artialisé par les sujets antagonistes;

 Objet-substitut idéalisé, valorisé et artialisé comme l’objet-modèle par le sujet-imitateur;

 Double-contrainte (double bind) via une imitation causée par la présence de rivaux et une intention d’affirmation identitaire du sujet-imitateur (contentement d’un objet-substitut rivalisant avec l’objet-modèle).

Dimension politique (entre sujets)

 Rivalité entre sujets antagonistes identifiables pour l’objet-modèle;

 Stratégies et pouvoir exercés afin de valoriser un objet-substitut par le perdant de la rivalité.

Légende : objet-modèle : Québec; objet-substitut : Ottawa; sujet-modèle : élite canadienne française (incluant le clergé); sujet-imitateur : élite britannique (impériale, politique et professionnelle).

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Dans ce chapitre, des précisions ont servi à délimiter de manière opportune la portée de la recherche et à définir les concepts importants. Tout d’abord, l’objet représente un mode conceptuel qui jaillit de l’esprit et qui se distance de la matière, le phénomène. Les territoires de l’objet-modèle (Québec) et de l’objet-substitut (Ottawa) ont par la suite été déterminés dans un souci de comparaison fiable. Ils s’inscrivent dans une dimension paysagère où le romantisme contribue à faire de la nature une scène ou une œuvre captée par la sensibilité. Par la suite, le concept du sujet (celui qui désire) a été défini telle une élite construite en fonction des réalités de l’espace et du temps. Celle qui nous intéresse provient de la première moitié du XIXe siècle et regroupe des personnages influents de la fondation et du développement d’Ottawa (Dalhousie, Christie et Derbishire, puis Head et Scott ont été retenus).

Finalement, deux méthodes d’analyse ont été présentées. La première est l’observation des lieux où la photographie met en relation les objets entre eux (modèle et substitut). La deuxième se veut l’analyse de contenu utilisée à deux niveaux. Premièrement, elle sert à démontrer l’artialisation des objets via des œuvres écrites et visuelles issues du passé. Deuxièmement, l’analyse du discours (un constitutif de l’analyse de contenu) permet de connaître les motivations, mais surtout l’appréciation des sujets par rapport aux objets, d’où la relation entre les deux animée par le désir. En plus, cette méthode inspire l’étude de la dynamique entre sujets, c’est-à-dire la rivalité et les stratégies misent en œuvre pour acquérir l’objet-modèle ainsi que les efforts du perdant pour se contenter d’une substitution.