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III - L’homosexualité dans les camps

2. L’amour en camp de concentration

Dans cette partie, nous allons uniquement traiter de relations homosexuelles entre interné(e)s qui ne sont pas étiquetés en tant qu’homosexuels. Le premier témoignage convoqué est celui de l’écrivain Hambourgeois Heinrich-Christian Meier, interné en 1940 en tant que politique à Neuengamme. Dans son ouvrage So war es (C’était comme ça), publié en 1946480, il relate son expérience de concentrationnaire. Dans le chapitre intitulé « L’amour au KZ », il dresse un tableau des relations affectives qui existaient au camp. En voici la traduction intégrale :

Encadré 6 : L’amour au KZ

« Certains recevaient régulièrement une lettre de leur femme. Mais la plupart ne recevaient aucun courrier. À la place, c’est par séries entières qu’ils recevaient des demandes de divorce. Et après le divorce obtenu par force et avec les moyens les plus extraordinaires, c’était le grand vide, le vacuum glacial de la solitude émotionnelle. Qu’en était-il de l’image idéale de la femme ? Est-ce que ce que l’on appelle l’amour existait réellement ? Est-ce que tous les vœux de fidélité n’étaient pas que des choses qui sonnent vides et creux ? Dans ces conditions, comment pouvait-on encore croire en l’amour et à la fidélité ? Les camarades se racontaient les uns les autres leurs histoires de divorces. Apparemment, il était impossible pour une femme de rester fidèle à un mari emprisonné plus de deux ans. La froide réalité parlait une autre langue que celle des fantasmes des nuits solitaires. N’y avait-il donc plus rien à attendre des femmes ?

Du moment que l’évolution de l’âme avait atteint cette conclusion, l’homme se tournait vers l’homme. Il ne faut pas oublier que chacun devait bien s’en sortir avec ses besoins sexuels. Seuls quelques uns étaient si purs et si naturels qu’ils pouvaient laisser leur système glandulaire naturel faire son travail tout seul. La plupart donnaient un coup de main au système, afin de s’offrir le minimum de joie dont l’homme a besoin pour pouvoir vivre.

Mais plus important encore est ce besoin certain qu’à l’homme de pouvoir s’appuyer sur quelqu’un, ce besoin que chacun doit satisfaire d’une façon ou d’une autre. Ce n’est pas vrai de dire d’un homme qu’il peut s’en sortir entièrement tout seul. Déjà, le voisin de lit est par définition d’une certaine façon plus proche que les autres camarades, et c’est ainsi que se créent des amitiés improbables. Au travail, il est réconfortant d’avoir un camarade sur lequel on peut compter. C’est encore mieux si celui-ci est un compagnon qui ne vous laisse pas en plan lorsque l’on est en détresse. Il y a des jours ou l’on se sent faible et fragile. C’est tellement bien lorsque son camarade de travail vient avec sa volonté, atténuer le poids que l’on porte sur les épaules ! C’est ainsi que naît la Paukerschaft481, le meilleur, émotionnellement le plus moralement infaillible acquis de la vie du camp.

Un Pauker, c’est plus qu’un ami. On partage avec lui un mariage de camaraderie qui, dans la plupart des cas, est complètement exempt de rapports sexuels. Hans et Max, nommons-les ainsi, sont l’un pour l’autre comme homme et femme. Le peu qu’ils possèdent, ils le partagent. L’un s’occupe de l’habillement de l’autre. Le peu de temps libre dont ils

480

Heinrich Christian Meier, So war es. Das Leben im KZ Neuengamme, Hambourg, Phönix-Verlag, 1946.

481

Paukerschaft : mot non souligné dans l’édition originale. Ce terme est intraduisible lorsqu’il est appliqué au contexte du KZ. Il apparaît dans certains témoignages en langue allemande et désigne cette relation unique qui permet à deux concentrationnaires de survivre. (Selon le dictionnaire, le verbe pauken signifie en français : bosser, bâchoter et ein Pauker : un prof.)

disposent, ils le passent ensemble. S’ils ont des intérêts intellectuels en commun, c’est d’autant mieux. Ils font les visites ensemble. On les voit aller ensemble à la cantine ; ils partagent les paquets qu’on leur envoie. Ils règlent les questions financières ensemble et avec méthode. Si l’un des deux est attaqué, l’autre le défend. Il n’y a rien de plus naturel et d’humain que ce type de camaraderie. Dans le camp, elle est nécessaire, car qui reste tout seul au camp se rapproche avec inquiétude du crématoire. Et justement, qui est tout seul peut le plus facilement devenir fou.

La plus grande tentation au camp c’étaient les jeunes hommes âgés de seize à vingt-et-un ans. Il subsiste en eux, aussi bien dans leur beauté que dans leur masculinité, un quelque chose de naturellement féminin. Or, l’homme est contraint de par sa nature à aimer. Et lorsqu’il ne trouve pas l’objet approprié, il se rabat par conséquent subsidiairement sur l’inapproprié. Par ailleurs, ce n’était jamais clair, à l’intérieur du camp, entre et ce qui relevait de l’interdit et ce qui était autorisé. Et dans la mesure où des centaines de jeunes hommes vivaient une douce relation érotique avec des camarades plus âgés, l’amour de même sexe devenait pour tout homme sain et normalement constitué partout tangible dans la rue principale du camp.

De telles relations sont inévitables dans ces conditions. Dans la vie du camp elles jouent un rôle considérable. Avec le temps, même l’administration de la SS ne pouvait ignorer cette réalité. Elle devait tolérer l’existence de ces relations, pour ne pas dire les reconnaître. C’est ainsi que progressivement s’est constitué tout un assortiment de jeunots482. Ils changeaient souvent d’ami et certains ont même fait de l’entretien de ces relations un gagne-pain. Les jeunots étaient dans l’ensemble bien entretenus, tout du moins en ce qui concerne la nourriture et l’habillement. Il y eut même un moment où, deux-tiers des Häftlinge qui possédaient une fonction entretenaient d’une manière ou d’une autre une relation avec un jeunot, et sans pour autant entraîner de scandale.

Il est certain qu’il y avait aussi des Häftlinge qui, malgré l’interdiction, entraient en contact avec des femmes. J’en connais certains cas. Mais si la SS l’apprenait, le Häftling devait compter avec les pires châtiments (Bunker) ou bien intégrer la compagnie pénitentiaire. C’est le cœur contrit que le Häftling retournait alors à son Pauker ou bien à son jeunot. […] Certains ont fini par prendre conscience du fait que la nervosité et l’hystérie, qui dominaient la vie au camp, s’expliquaient en partie par le manque de femmes. Les SS sont aussi arrivés à la conclusion que les jeunots minaient la force de travail et la santé des Häftlinge. C’est ainsi qu’en 1943, le service central d’Oranienburg a décidé que, dans les camps d’hommes, des femmes seraient mises à leur disposition dans des baraques spéciales. […] Malgré cela, le commerce avec les jeunots continua, et il se révéla que le bordel, tel qu’il avait été conçu était un échec cuisant483. »

482

H.-Ch. Meier définit un jeunot (Bubi ou « medium », en all.) comme suit : « un jeunot est un jeune homme qui en échange d’une nourriture convenable ou d’une bonne vêture s’abandonne à des jeux sexuels avec des proéminents du camp. Ce terme désigne toutes les pratiques possibles des plus fines tendresses jusqu’aux fameuses relations sexuelles orales et anales. Il est par principe jeune, bien habillé et bien portant. Il vit oisivement dans l’entourage des proéminents. Lorsqu’il fait un faux pas, il obtient toujours de l’aide. » Heinrich-Christian Meier, So war es. Das Leben im KZ Neuengamme, Hambourg, Phönix-Verlag, 1946, p. 64.

483

Traduction intégrale des pp. 48 à 51 du témoignage de H.-Ch. Meier. Le dernier paragraphe du présent texte est la traduction du dernier paragraphe de la p. 53 (qui correspond à la conclusion du chapitre « L’amour au KZ »).

Dans les récits, les cas d’homosexualité sont toujours décrits comme ayant lieu chez des personnes extérieures au groupe d’appartenance du témoin. Lorsqu’il est fait mention de relations entre personnes de même sexe au sein des membres du groupe, elles sont toujours présentées comme des « relations amicales » ou des « amours platoniques484. »

Dans les paragraphes qui suivent, il ne s’agit pas de mettre en doute la parole des témoins, mais de reconnaître que l’adjectif homosexuel est bien souvent mal-approprié pour écrire une « carte du tendre » bien plus complexe que celle que ce terme n’est en mesure de suggérer. Aucun mot adéquat ne permet de décrire la panoplie de sentiments qui vont de l’amitié à l’amour (via la sexualité) entre personnes de même sexe, peut-être parce que les sentiments et les attitudes qui en découlent sont universels.

Dans les témoignages, l’amitié, la tendresse et l’amour entre concentrationnaires de même sexe, plus encore que la sexualité, ont joué un rôle primordial pour survivre au camp. Les témoignages sont eux aussi unanimes à ce sujet : en camp, un homme seul est un homme mort. Ceux qui survivent sont ceux qui entretiennent une sociabilité en camp. Dans la partie qui suit la question de l’amitié en camp est abordée. Dans certains cas, cette amitié englobe l’attirance physique.

La nécessaire préservation d’une certaine humanité revient de manière récurrente dans les témoignages. L’entretien de relations affectives en fait partie. Il a contribué à la survie d’internés aussi bien hétérosexuels qu’homosexuels. Le cas de Margareta Glas-Larsson qui était, tout comme son mari, internée à Auschwitz, est significatif à ce sujet. Dans son témoignage, elle fait part de la relation affective qu’elle a entretenue avec la doyenne du camp, Aurelia Reichert-Wald, alias Orli.

« Une nuit j’ai demandé à Orli si je pouvais rester chez elle. Et je me suis couchée à ses côtés. […] Et durant cette nuit-là, le ciel était tellement rouge, je ne sais pas si c’était un feu, si les SS avaient allumé le transport des Hongrois ou s’ils brûlaient des enfants Juifs ou bien encore si les Sonderkommandos brûlaient tellement d’êtres humains. Malgré cela, je n’étais pas malheureuse, au contraire. Cette nuit-là, j’étais affreusement heureuse, parce que je pouvais être auprès d’Orli485. »

Bien que mariée à un homme, Margareta Glas-Larsson précise dans la suite de son témoignage que c’est son amour pour Orli qui lui a permis de survivre à Auschwitz486.

484

Cf. Rainer Fröbe, « Arbeit für die Mineralölindustrie: Das Konzentrationslager Misburg ». In

Konzentrationslager in Hannover. KZ-Arbeit und Rüstungsindustrie in der Spätphase des zweiten Weltktieges, Hildesheim, 1985, p. 243 ; Rainer Hoffschildt, Olivia. Die bisher geheime Geschichte des Tabus Homosexualität und der Verfolgung der Homosexuellen in Hannover, Hannover, Selbstverlag, 1992, p. 127 ;

Margarete Buber-Neumann, Milena, Kafkas Freundin, Munich, Gotthold Müller, 1977 ; Régis Schlagdenhauffen, Promotion de la prostitution, op. cit., p. 69.

485

Margareta Glas-Larsson, Ich will reden : Tragik und Banalität des Überlebens in Theresienstadt und

Auschwitz, Vienne, Molden, 1981, p. 176.

486

Ibid., p. 149 ; Kerstin Meier, « "Es war verpönt, aber das gab's" - Die Darstellung weiblicher Homosexualität in Autobiographien von weiblilchen Überlebenden aus Ravensbrück und Auschwitz ». In

Dans Un camp très ordinaire, Micheline Maurel, la « poétesse Française », fait part de sa rencontre avec Kviéta, une danseuse tchèque, à Ravensbrück487 :

« Un autre dimanche, le bloc tchèque a donné une petite fête. Kviéta dansait sans musique sur un poème patriotique que récitait une de ses sœurs. C’était très émouvant. Après la représentation, l’autre sœur m’a dit :

- Vous savez qu’elle n’a dansé que pour vous ?

Je m’en rendais compte un peu, et j’en étais aussi bouleversée que je pouvais l’être à l’époque. Jadis, à l’âge de Kviéta, j’avais aimé une institutrice. Mais Kviéta pouvait bien m’aimer si elle voulait. Je tâcherais de ne pas la décevoir. Je lui donnerais de mon mieux toute l’affection que je pourrais. Toute la joie. Cette affection paraissait lui être aussi précieuse que le pain. Un soir, tandis qu’elle me raccompagnait au bloc 3, elle me saisit le bras brusquement pour me donner un baiser. Je l’ai embrassée aussi. Alors elle a semblé rayonner de joie et s’est sauvée en bondissant488. »

S’agissant des relations entre femmes, les « politiques » rapportent toujours que les membres de leur groupe ont des relations platoniques. Les « criminelles » ou les « asociales » ont quant à elle des relations charnelles.

« Dans le bloc de punition sont enfermées beaucoup d’Allemandes, des Allemandes qui ont des mœurs spéciales. On enferme deux personnes qui sont « mariées ensemble » dans ce block et ainsi la vie continue de plus belle. Seul le Julot (la femme qui a le rôle de l’homme) a le droit de parler. [… ] La Blockowa, d’ailleurs, est une lesbienne489. »

S’agissant des témoignages d’hommes, celui de Heinrich-Christian Meier présenté précédemment constitue une exception. Généralement, lorsqu’il est fait état de relations homosexuelles en camp, la chose est toujours évoquée de manière erratique. La question homosexuelle se résume souvent en une phrase : la « pratique homosexuelle était très répandue dans les camps » écrit Eugen Kogon490. Aimé Spitz est quant à lui plus dissert :

« Au bloc 12 [de Natzweiler], le dimanche après-midi, nous assistions aux multiples embrassades sur la bouche, du kapo du Kohlenbunker (commando du charbon), qui avait comme ami un jeune belge de 18 ans. Le chef de bloc, un autrichien, lui de son côté avait comme favori un jeune français de la Saône et Loire.

[…] À la cuisine, le capo des peluches, était entouré de quelques russes, très jeunes, 14 ans environ, qui étaient obligés, pour vivre, de satisfaire ses exigences sexuelles.

Beiträge zur Geschichte der nationalsozialistischen Verfolgung in Norddeutschland, Brême, Themen, 1999,

pp. 22-33, p. 28.

487

Micheline Maurel, née en 1916 à Toulon fut Résistante. Elle fut arrêtée et déportée en 1943 à Neubrandenburg, camp annexe de Ravensbrück. Elle y resta vingt mois.

488

Micheline Maurel, Un camp très ordinaire, Paris, éd. de Minuit, 1957, p. 129.

489

La Blockowa est la doyenne d’une barraque (Block). Extrait issu de : Les Françaises à Ravensbrück, Paris, Denoël, 1965, p. 174.

490

Eugen Kogon, Der SS-Staat. Das System der deutschen Konzentrationslager, Munich, Karl Alber, 1946, p. 210.

Un jeune Alsacien de 19 ans fut la victime de deux capos qui se le disputaient et finalement il fut assassiné à l’infirmerie par une piqûre491. »

Après avoir lu ces lignes, nous pourrions imaginer que la pratique homosexuelle était monnaie courante. Il n’en est rien. Les relations sexuelles en camp ne concernaient qu’une minorité d’internés. De plus, lorsqu’elles étaient découvertes, elles étaient toujours sévèrement réprimées. À Sachsenhausen, les hommes hétérosexuels accusés ou suspectés d’avoir eu des relations homosexuelles sont condamnées au commando disciplinaire pour une durée d’un an (sachant qu’il était impossible de survivre à ce régime plus de six mois). À Ravensbrück, le règlement intérieur du camp punit « quiconque s’approche d’autres internées avec des intentions lesbiennes, quiconque commet ou bien est témoin de cochonneries lesbiennes »492. La déportée française Denise Fournier signale qu’à Ravensbrück, les femmes en couples s’exposent aux châtiments les plus terribles si jamais elles sont « découvertes »493.

Que ce soient entre hommes ou entre femmes, les relations homosexuelles sont donc officiellement réprimées avec la plus grande violence. À vrai dire, il est impossible de parvenir aux mêmes conclusions pour chaque camp. En effet, le témoignage de Hans Christian Meier semble sur ce point contredire les propos d’Aimé Spitz ou de Denise Fournier. Deux explications peuvent être suggérées. 1) les Français n’ont pas les mêmes perceptions et ne sont pas soumis au même régime que les Allemands en KZ ; 2) l’application effective du règlement varie suivant les périodes et les camps.

Quoi qu’il en soit, une nécessaire distinction que nous n’avons pas encore soulignée mérite d’être précisée : la sexualité est aussi une manière d’exercer le pouvoir d’un individu sur un autre.

Les relations sexuelles non consenties sont un autre sujet récurrent dans les témoignages de déporté-e-s. Elles étaient monnaie courante, tout particulièrement dans les camps d’hommes. Là aussi, qui pourrait croire que tous les jeunots et Pipels choisissent de leur plein gré d’être l’objet sexuel d’un détenu qui a tout pouvoir sur eux ? Et les femmes sélectionnées pour être prostituées au « bordel », dans quelle mesure l’ont-elles choisi ? Et les homosexuels qui sont violés par des « hétérosexuels » ? Le témoignage de Heinz Heger est saisissant sur les idées reçues qu’ont certaines personnes sur l’homosexualité. La scène qu’il décrit se déroule dans le transport qui le mène à Sachsenhausen :

491

[Aimé Spitz] Les secrets des blocs dans les camps de concentration du Struthof. Reportage de Roland

Labrousse, lettre personnelle adressé à André Baudry, 1970, 2 p. dactylographiées.

492

L’emploi du terme « lesbienne » souligne une fois de plus que dans l’esprit nazi, le terme homosexuel ne s’adresse qu’aux hommes.

493

Régis Schlagdenhauffen, Promotion de la prostitution et lutte contre l'homosexualité dans les camps de concentration nazis, Trajectoires, (1), 2007, pp. 60-73.

« Ils ont très rapidement appris que j’étais un §175, une tapette comme ils m’appelaient désormais. […] Parce que je ne proposais pas volontairement, c’est avec des coups qu’ils me forçaient à sucer leur organe, qu’ils introduisaient dans ma bouche, par la force, plusieurs fois par jour. Selon eux, en tant que « tapette », il semblait logique que j’éprouvasse autant de plaisir qu’eux494. »

Au sein de la société hiérarchisée des concentrationnaires, les relations (homo)sexuelles sont un moyen et une pratique du pouvoir. Les détenus chargés de fonctions usent de leur statut pour avoir des relations sexuelles avec de jeunes prisonniers. Ces Pipels ou jeunots sont particulièrement privilégiés, mais ils courent aussi un risque : s’ils révèlent les tendances de leur compagnon de lit495, ils causent non seulement sa perte, mais aussi la leur. Ils payent leurs avantages matériels par une impuissance pratiquement absolue, puisque l’accusation publique d’homosexualité signifie la mort assurée.

Qu’advient-il des jeunes hommes qui refusent d’être transformés en « jeunots » ? Jörg Hütter a retrouvé un tel cas dans les archives d’Auschwitz496. Le 18 janvier 1944, le jeune juif Günther Weinberg rapporte qu’il a été abordé à la Buna (l’usine d’Auschwitz III) par un SV allemand plus âgé que lui, Michael Unger. Ce dernier propose au jeune Günther qu’il lui cire ses chaussures et lui nettoie ses habits en échange d’une ration d’un demi-litre de soupe. Une fois le contrat rempli, Unger offre un pull-over au jeune homme en plus du demi-litre de soupe promis. Plus tard dans la journée, il revient vers le jeune Günther Weinberg et parvient à le conduire dans une pièce retirée de la Buna. « Il m’a alors ordonné de baisser mon pantalon après m’avoir embrassé à plusieurs reprises. Une fois que j’avais baissé mon pantalon, il dirigea son membre dans mon anus, ce qui me fit très mal. Ensuite, il quitta avec moi la pièce et me dit que je ne devais parler à personne de ce qui s’était passé497. » Mais le jeune parle. Résultat des courses, il est condamné à 25 coups de bâton pour « avoir commis un acte contre-nature à l’intérieur du camp498. »

494

Heinz Heger, Die Männer mit dem rosa Winkel. Der Bericht eines homosexuellen über seine KZ-Haft von

1939-1945, Hambourg, Merlin, 1972, pp. 26-27.

495

Dans les baraques, certains Funktionshäftlinge, dont le Blockältester, disposaient de chambres individuelles.

496

Hutter, Jörg, « Konzentrationslager Auschwitz : Die Häftlinge mit dem rosa Winkel ». In Olaf Mußmann, (dir.), Homosexuelle in Konzentrationslagern, Bad Münstereifel, Westkreuz Verlag, 2000, pp. 115-25.

497

Jörg Hutter, « Konzentrationslager Auschwitz : Die Häftlinge mit dem rosa Winkel », Ibid., pp. 118-19.

Cf. archives du musée d’Auschwitz, côte: D-AU I-II-III-2/3, Nr. inw. 106629.

498