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Erwähnte Literatur

I NTRODUCTION GENERALE

« On portait une gerbe […]. Quand tout le monde eut le temps de lire “Aux déportés homosexuels”, ça a été affreux ; la haine homophobe, on ne l’avait pas encore vue directement. Là, on l’a sentie partout autours de nous. Une vieille dame s’est précipitée pour arracher le bandeau de la gerbe en criant que son fils n’était pas homosexuel. Les gens nous traitaient de nazis. C’était terrible79 ! »

« Il y a soixante ans, au fur et à mesure de leur avancée au cœur de l'Europe, les Alliés prenaient toute la mesure de l'horreur des camps nazis […]. En Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur vie personnelle distinguait, je pense aux homosexuels, étaient poursuivis, arrêtés et déportés. Aujourd'hui, nous savons que la tolérance et le refus des discriminations appartiennent au socle intangible des droits de l'homme. Nous savons que ce combat pour l’acceptation de l’autre et de ses différences n’est jamais achevé80. »

Vingt années séparent ces deux citations. La première est extraite du témoignage d’un militant homosexuel, publié en 1983 dans la revue Gai pied ; la seconde est extraite du discours prononcé par le Président de la République française, Jacques Chirac, le 24 avril 2005 à Paris. Toutes deux font référence à une même commémoration, celle en souvenir des victimes du nazisme et de la Déportation.

Tandis qu’à l’époque, les homosexuels étaient associés à des criminels, voire à des nazis, ils sont aujourd’hui reconnus en tant que victimes du nazisme. Ce changement radical de statut est à l’origine de plusieurs interrogations :

Quels processus sont à l’origine de ce revirement ?

Comment s’est développé le culte mémoriel des victimes homosexuelles du nazisme ?

Quelle est l’aire d’origine et de diffusion de ce phénomène ?

Quelles fonctions remplit-il ?

79

Extrait d’un témoignage paru dans le magazine Gai pied, édition du 7.5.1983.

80

Extrait du discours prononcé par Jacques Chirac, Président de la République française, pour la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation, 24.4.2005.

L’objet de cette thèse est d’examiner la genèse, le développement et les usages de la commémoration des victimes homosexuelles du nazisme.

Jusque dans les années 1970, la notion de victime du nazisme désigne une personne persécutée par le régime national-socialiste pour des raisons d’ordre « racial », religieux ou politique. Selon les critères de l’époque, ni les Tsiganes (les Sintis et Roms), ni les homosexuels n’entrent dans ces catégories. Les membres de ces groupes sont perçus comme des « criminels », des « pervers », des « asociaux ». Leur persécution par les nazis n’est alors pas considérée comme injuste. Aussi, c’est le sentiment d’injustice considéré comme un déni de reconnaissance par des membres de ces groupes qui est à l’origine de revendications mémorielles.

S’agissant des homosexuels, ces revendications émergent au début des années 1970. Des militants réclament à travers la commémoration la reconnaissance du martyre des membres de leur groupe.

La commémoration des victimes homosexuelles du nazisme apparaît concomitamment dans trois capitales d’Europe de l’Ouest : à Berlin, Paris et Amsterdam. Les revendications de reconnaissance qui y sont liées prennent plusieurs formes. En Allemagne, elles visent tout d’abord l’inclusion des homosexuels dans la catégorie juridique « victime du nazisme ». En France, en revanche, les revendications portent sur l’intégration des homosexuels dans la commémoration publique. Quant aux Pays-Bas, les militants réclament la reconnaissance dans la pierre, c’est-à-dire au moyen d’un mémorial.

Partant de l’idée que la reconnaissance est un enjeu central des revendications formulées par les groupes qui se sentent victimes d’une injustice mais aussi de l’idée selon laquelle la commémoration est un rituel de convocation de la mémoire qui établit intrinsèquement un groupe social dans la durée, la thèse suivante peut être formulée :

La commémoration des victimes homosexuelles du nazisme vise à la fois l’unification d’un ensemble d’individus hétérogènes à travers un « nous » et la reconnaissance politico-culturelle de ce groupe à travers la durée. Poser le problème de la commémoration de la sorte, signifie comprendre :

Comment l’usage stratégique de la mémoire a été construit au sein du groupe ?

Quelles revendications ont été formulées ?

Quels en sont les enjeux ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de revenir sur les aspects théoriques du problème soulevé par la commémoration des victimes homosexuelles du nazisme.

Aspects théoriques du problème

Une commémoration désigne un rituel collectif de convocation de la mémoire d’un événement passé. Fixée dans le calendrier, elle se joue à la manière d’une représentation en un lieu considéré comme significatif pour les membres d’un groupe social. La commémoration structure la mémoire collective d’un groupe autour de valeurs partagées. À cette occasion, des porte-parole du groupe reconfigurent le sens de l’événement passé en fonction d’enjeux présents.

Les phénomènes de commémoration s’opposent à ceux de remémoration, assignés à la seule mémoire privée81. La commémoration est une occasion pour le groupe de mettre en scène son passé. Toute commémoration renvoie à une pratique de mémoire ; n’importe quel lieu peut en devenir le théâtre. Le sociologue Gérard Namer appelle « notables de la commémoration » les acteurs qui légitiment le lieu ou l’inventent. Ils ont le pouvoir d’organiser la commémoration et c’est le groupe qui accorde virtuellement aux notables ce droit. Lors d’une commémoration, l’officiant, qui est l’ordonnateur de la commémoration, procède à trois grandes actions :

il actualise une mémoire possible, organise une fête et une théâtralisation ;

il consacre et élève la mémoire possible au niveau de la mémoire collective actuelle ;

il interprète et oriente l’émotion collective.

L’ordonnateur de la commémoration suggère à tous une intelligibilité du présent et du passé qui mobilise l’énergie de l’action future. La commémoration est un théâtre où les spectateurs signifient par leurs gestes, leurs cris, leurs applaudissements que le sens symbolique a été perçu et accepté comme moyen de mobilisation82.

En résumé, pour Gérard Namer, commémorer, c’est d’abord jouer au présent le théâtre du passé. C’est dans une deuxième phase revenir à ce présent, renouvelé en ses imaginaires et son idéologie, pour mobiliser les acteurs et les spectateurs en une dramaturgie tournée vers l’avenir.

La mémoire est en ce sens considérée comme un vecteur d’actualisation des identités collectives. Elle se décline entre autres en une « mémoire de papier » et une « mémoire de pierre ». Elle est une mise en récit diachronique de l’histoire d’un groupe qui légitime son caractère unique et contribue au renforcement positif de son identité collective. Elle est

81

Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 32.

82

aussi une pratique d’appropriation de l’espace au moyen de monuments commémoratifs. En ce sens, l’étude de la commémoration est liée à celle de la mémoire d’un groupe social et nous oblige donc à faire appel à la notion de mémoire collective.

Commémoration et mémoire collective

C’est au sociologue Maurice Halbwachs83 que revient le mérite d’avoir le premier soutenu que la mémoire collective correspond à une réalité sociale, transmise et entretenue par les efforts conscients et les institutions des groupes84. Selon Halbwachs, le passé ne se conserve pas, on le reconstruit en partant du présent85. Avant lui, ni Durkheim, Marx ou Weber ne se sont intéressés à cette question. En d’autres termes, il existe une mémoire de groupe dont au premier plan se détachent les souvenirs des événements et expériences qui concernent le plus grand nombre de ses membres.

Halbwachs distingue en fait deux types de mémoires : la mémoire vécue et la mémoire non vécue qu’il appelle aussi mémoire historique. (Jan Assmann qui reprend cette dichotomie distingue quant à lui « mémoire communicative » et « mémoire culturelle86 ». La mémoire communicative correspond à la mémoire vécue, aux souvenirs partagés tandis que la mémoire culturelle se base sur des points fixes dans le passé, sur des points symboliques.) La seconde mémoire, appelée « culturelle » par Assmann et « historique » par Halbwachs nous intéresse tout particulièrement87. Il en va ainsi, par exemple, des souvenirs d’événements historiques non vécus. Nous les portons avec nous comme des bagages88. « Quand je les évoque, je suis obligé de m’en remettre à la mémoire des autres […] qui est la source unique de ce que j’en peux répéter […]. C’est là une mémoire

83

Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1996 [1925] ; Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 [1950].

84

Yosef Hayim Yerushalmi, Zakhor : Histoire juive et mémoire juive, Paris, Gallimard (coll. « tel »), 1991 [1982], p. 13.

85

La mémoire collective « ne conserve pas le passé, mais elle le reconstruit, à l’aide des traces matérielles, des rites, des textes, des traditions qu’il a laissés, mais aussi à l’aide de données psychologiques et sociales récentes, c’est-à-dire avec le présent. » Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, p. 221.

86

Jan Assmann, Das kulturelle Gedächtnis: Schrift, Erinnerung und politische Identität in früheren

Hochkulturen, Munich, Beck, 1999 [1992]. C’est ainsi que J. Assmann peut dire que le mythe appartient à la

mémoire culturelle, et c’est ainsi que s’établit alors clairement la distinction entre mémoire et histoire, puisque cette dernière est censée refuser le mythique.

87

La notion de mémoire culturelle selon Assmann correspond, peu ou prou, à la mémoire historique de Halbwachs.

88

empruntée qui n’est pas la mienne89. » Partant de cette position, Halbwachs dégage deux choses :

1 - Chaque mémoire individuelle est un point de vue sur la mémoire collective du groupe, l’individu serait un relais du groupe dont il entretiendrait sa mémoire collective90.

2 - Les groupes dont nous faisons partie ont une influence sur notre mémoire individuelle91.

En 1940, Evans-Pritchard a développé la notion d’« amnésie structurelle92 » (dans son étude sur les Nuers). Dans la mesure où la mémoire est constituée de souvenirs et d’oublis, cette notion permet d’orienter l’intérêt de la recherche sur les oublis. Oublier permet d’alléger la mémoire, sachant qu’il est impossible de se souvenir de tout. Freddy Raphaël, auteur d’une étude sur la construction de l’oubli remarque lui aussi que la mémoire est un enjeu vital pour les groupes et les institutions qui les sous tendent. Selon lui, « la mémoire des individus subit l’influence du groupe auquel ils adhèrent, et celui-ci s’efforce de canaliser et d’infléchir les représentations et les comportements de ses membres93. » Ce constat permet de souligner la dimension sociale de la mémoire, mais encore sa dimension politique.

En outre, lorsque l’oubli est lié à des causes exogènes, les groupes peuvent recréer les éléments manquants d’une trame mémorielle donnée de sorte à rendre à la mémoire collective sa cohérence. Ce phénomène appelé « bricolage » par Roger Bastide94 - en référence à Claude Levi-Strauss - se distingue de l’invention, puisque le groupe recompose avec de l’existant. L’invention, ou plus précisément l’imagination, possèdent toutefois, elles aussi leur importance. D’ailleurs, pour Freddy Raphaël, « la mémoire collective qui relie l’imagination du groupe à des expériences fondatrices, est autant et d’avantage une mémoire “constituante” qu’une mémoire “constituée”95. » Se pose alors au niveau d’un

89

Ibid.

90

La mémoire collective est pour Halbwachs « un courant de pensée continu, qui ne retient du passé que ce qui est encore vivant ou capable de vivre pour dans la conscience du groupe qui l’entretient. Par définition elle ne dépasse pas les limites de ce groupe ». Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, p. 132.

91

Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 [1950], pp. 123 sq.

92

Edward Evans-Pritchard, The Nuer: A description of the Modes of Livelihood and Political Institutions of a

Nilotic People, Oxford, Clarendon, 1940.

93 Freddy Raphaël, Geneviève Herberich-Marx, « La construction de l’oubli dans la France contemporaine »,

Revue des sciences sociales, 17, 1990, pp. 192-210, p. 196.

94

Roger Bastide, « Mémoire collective et sociologie du bricolage », L’Année Sociologique, 21, 1970, pp. 65-108.

95

groupe la question de la construction de cette mémoire, c’est-à-dire la question de la sélection des souvenirs et des oublis96.

Une des thèses centrales de Maurice Halbwachs est que la mémoire se développe en même temps que le processus de civilisation chez l’être humain. Autrement dit, la mémoire est encadrée. Dans Les cadres sociaux de la mémoire, Halbwachs effectue une analyse de cadres, à l’intérieur desquels la mémoire travaille. L’individu reste donc le sujet de la mémoire et du souvenir, mais cette mémoire est encadrée97.

Les cadres désignent donc les mécanismes dont se sert un groupe pour se souvenir. Halbwachs en définit trois : le langage, le temps et l’espace. Parmi ces trois cadres, l’espace semble être le plus important car il s’inscrit dans une réalité qui perdure. C’est pour cette raison que « lorsqu’un groupe est inséré dans une partie de l’espace, il le transforme à son image, mais en même temps, il se plie et s’adapte à des choses matérielles qui lui résistent98. » Aussi, « la plupart des groupes […] dessinent en quelque sorte leur forme dans le sol et retrouvent leurs souvenirs collectifs dans le cadre spatial ainsi défini99. » La mise en lumière des relations qu’entretiennent, dans la durée, l’espace et le temps, sont l’objet de l’étude que Maurice Halbwachs a intitulée La Topographie

légendaire des Evangiles en terre sainte.

Dans cette étude de mémoire collective, Halbwachs montre que « lorsque les croisés arrivèrent à Jérusalem et qu’ils eurent pris possession des lieux saints, ils ne se contentèrent pas de rechercher les emplacements où la tradition situait les principaux événements rapportés dans les évangiles. Bien souvent, ils localisèrent, plus ou moins arbitrairement tels détails de la vie du Christ se guidant sur des vestiges incertains et même, en l’absence de tous vestiges, obéissant à l’inspiration du moment100. » Plus encore, après le retour des Croisés, les Chrétiens ont dans un second temps, reproduit en Europe,

96

Cette question est notamment abordée par Marie-Claire Lavabre dans un article intitulé « De la notion de mémoire à la production des mémoires collectives ». Des études approfondies de la construction des mémoires collectives nous sont aussi fournies par Reinhard Koselleck et Gérard Namer qui, dans leur analyse des pratiques commémoratives illustrent comment et par qui ces dernières sont produites ou, pour reprendre une expression chère à Maurice Halbwachs, comment ces mémoires sont encadrées. Cf. Marie-Claire Lavabre, « De la notion de mémoire à la production des mémoires collectives ». In Cultures politiques, Daniel Cefaï (dir.), Paris, PUF, 2000, pp. 233-51 , Reinhard Koselleck, Futures Past: On the Semantics of Historical

Time, Cambridge, MIT Press, 1985 ; Gérard Namer, La commémoration en France de 1945 à nos jours,

Paris, l’Harmattan (coll. « Logiques sociales »), 1987 [1983].

97

Halbwachs s’attache à montrer que la localisation spatio-temporelle des souvenirs touche à l’essence même de la mémoire : c’est précisément cette absence de cadres spatio-temporels qui distingue une image du rêve de ce que pourrait être un souvenir. Cf. Ibid., p.35.

98

Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 [1950], p. 195.

99

Ibid. p. 232.

100

dans l’église, sous forme de tableaux et de bas-reliefs, ou dans le jardin attenant à l’église, sous forme de niches consacrées, les scènes successives de la Passion. La société a reconstitué la Terre Sainte d’une façon symbolique101.

Le phénomène décrit par Halbwachs traduit la transition d’un espace matériel physique à un espace symbolique dans un espace physique. L’espace est un cadre stable qui assure la conservation et la réactivation de la mémoire, car l’espace est à la fois porteur d’un temps historique et d’un temps éternel102. Le groupe est capable, en un lieu porteur de sa mémoire d’y réactualiser une mémoire103.

Une seconde conclusion que nous pouvons tirer d’Halbwachs est que ce n’est pas tant la recherche de la localisation historique d’un lieu qui compte mais l’usage social qui en est fait. C’est en ce sens qu’il faut le comprendre, lorsqu’il souligne que nous ne cherchons pas si les traditions sur les lieux saints sont exactes, sont conformes aux faits anciens, nous les prenons toutes formées à partir du moment où elles nous apparaissent et nous les étudions au cours des siècles qui suivent. Si comme nous le croyons la mémoire collective est essentiellement une reconstruction du passé, si elle adapte l’image des faits anciens aux croyances et aux besoins spirituels du présent, la connaissance de ce qui était à l’origine est secondaire sinon tout à fait inutile, puisque la réalité du passé n’est plus là104. Ainsi, lorsqu’un groupe ne peut disposer ou se satisfaire d’un lieu « réel », il crée un lieu « artificiel-authentique105 » qui servira de catalyseur de la mémoire du groupe et ce sont les usages sociaux de ces lieux qui attirent notre attention.

Homosexualité et commémoration

Qu’en est-il des commémorations homosexuelles qui sont, in fine, l’objet de cette étude ? Avant de nous y intéresser, revenons au préalable sur les membres du groupe social étudié, les homosexuels.

101

À ce sujet, cf. Roger Bastide, Mémoire collective et sociologie du bricolage, L’Année Sociologique, 21, 1970, pp. 65-108 et Roger Bastide, Les religions africaines au Brésil, Paris, PUF, 1995 [1960].

102

Cf. Gérard Namer, Halbwachs et la mémoire sociale, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 209.

103

Ibid.

104

Ibid.

105

J’emprunte cette expression à Isabelle Engelhardt. Isabelle Engelhardt, A Topography of Memory.

Representations of the Holocaust at Dachau and Buchenwald in Comparison with Auschwitz, Yad Vashem and Washington, D.C., Bruxelles, Peter Lang, 2002.

Le premier emploi public des termes homosexuel et homosexualité est attribué à l’écrivain Karl Maria Kertbeny qui, dans une lettre ouverte adressée en 1869 au ministre de la Justice de Prusse, demandait l’abrogation des lois pénalisant les relations « contre-nature » entre hommes106. Kertbeny définit l’homosexualité comme une « conduite sexuelle directement dirigée vers les personnes de même sexe107. » De là découle une définition des homosexuel-le-s en tant que personnes ayant ce type de conduites. « Les mots gay et lesbienne font, quant à eux, référence à des personnes ouvertement homosexuelles. Gay108 désigne un homme homosexuel, lesbienne une femme homosexuelle109. »

Le rapport Kinsey (Le comportement sexuel de l’homme, 1948) est la première étude scientifique qui nous fournit des données quantitatives au sujet du comportement sexuel des hommes110. Il présente l’éventail des pratiques sexuelles masculines et propose une classification allant de l’homosexualité exclusive à l’hétérosexualité exclusive via de nombreuses nuances de bisexualité. Cette palette remet en cause l’opposition jusqu’alors faite entre personnes hétérosexuelles et personnes homosexuelles. De plus, il met en avant la prévalence d’une bisexualité réelle ou imaginée chez l’homme.

C’est suite aux conclusions de ce rapport que les premières études sociologiques sur l’homosexualité masculine voient le jour. En effet, jusqu’alors les études sur l’homosexualité et les homosexuels relevaient des champs de la médecine et plus spécifiquement de la psychiatrie111. C’est sous l’influence des sociologues interactionnistes Howard Becker et Erving Goffman que les travaux de Maurice Leznoff et William Westley (1956), Albert J. Reiss (1961), William Simon et John Gagnon (1967), Mary

106

Le §143 du Code pénal prussien du 14 avril 1851 et sa réaffirmation en tant que §152 dans la proposition d’un Code pénal pour le Norddeutscher Bund : § 143 des preußischen Strafgesetzbuches vom 14. April 1851

und seine Aufrechterhaltung als §152 im Entwurfe eines Strafgesetzbuches für den Norddeutschen Bund,

Leipzig, Serbe Commissions-Verlag, 1869. Reproduction intégrale in : Jahrbuch für sexuelle Zwischenstufen, 7 (1), 1905, pp. 1-66.

Cf. Manfred Herzer, Kertbeny and the Nameless Love, Journal of Homosexuality, 12, 1985, pp. 1-25 ;

Jean-Claude Féray, Manfred Herzer, Homosexual Studies and Politics in the 19th Century : Karl Maria Kertbeny,

Journal of Homosexuality, 19 (1), 1990, pp. 23-47, ici p. 25.

107

Jean-Claude Féray, Manfred Herzer, op.cit., pp. 34-35.

108

Les auteurs utilisent généralement le vocable « gay » en appliquant les règles d’accord de la langue