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Chapitre 2 : Un genre mondain

B. L'univers féminin des Contes

2. L’ambivalence des personnages féminins

Contrairement à l’éloge de l’ « honnête femme », Charles Perrault représente, dans ses Contes, des portraits féminins peu flatteurs. Ce constat paraît surprenant de la part d’un partisan des Modernes, et pourtant, l’ensemble des femmes s’attèlent à des tâches domestiques liées au foyer. La cadette du conte Les Fées ou Cendrillon sont considérées comme des servantes, Peau d’Âne fait un gâteau ou une vieille femme file la laine. On est loin des salons où les femmes s’adonnent à des loisirs mondains.

Les personnages féminins sont souvent humiliés et avilis comme Cendrillon et la cadette du conte Les Fées. Dans Cendrillon, Charles Perrault décrit avec réalisme la misère dans laquelle l’héroïne vit en affirmant qu’ « elle couchait tout en haut de la maison, dans un grenier, sur une méchante paillasse1 ». Cette « méchante paillasse » a pour but d’attirer

la compassion des lecteurs à l’égard de Cendrillon. La femme est soumise à l’autorité des hommes : le mari jaloux de Grisélidis l’humilie en la déshonorant et la jeune épouse de Barbe bleue doit faire face à la terrible colère de son époux. Les femmes sont alors érigées au rang de victimes.

Charles Perrault souligne également l’ambigüité des personnages féminins. Partagés entre les notions de bien et de mal, on ne peut les considérer comme des figures strictement positives ou négatives. Le comportement de ces personnages féminins est à l’origine de ce paradoxe. Alors que la Belle au bois dormant incarne la perfection grâce au symbole du chiffre sept (nombre de dons donnés à sa naissance par les fées), l’épouse de Barbe bleue fait preuve de curiosité. Le narrateur évoque son impatience pour découvrir ce qu’il y a dans le cabinet : « elle y descendit par un petit escalier dérobé, et avec tant de précipitation, qu’elle pensa se rompre le cou

51 deux ou trois fois1 ». Cette « précipitation » traduit un désir de connaissance

insatisfait. L’épouse souhaite transgresser l’interdit, alors qu’elle est consciente de l’avertissement de son mari. Elle s’écarte de la raison et de la vertu. Charles Perrault souligne cette « tentation », que l’on peut rapprocher du péché originel. En prenant pour exemple cette jeune épouse, l’auteur dénonce de façon virulente ce vice. Bien que victime de la violence de Barbe-bleue, ce personnage féminin ne peut faire totalement l’adhésion du lecteur. Pour Pascal, « la curiosité n’est que vanité.2 » ; autrement dit ce défaut mène à l’autosatisfaction. La clé du cabinet constitue l’unique préoccupation de l’épouse de Barbe-bleue. Tachée de sang, elle symbolise le mal déjà fait. L’épouse de Barbe-bleue est considérée comme un contre- modèle du christianisme, dans la mesure où, son comportement excessif et emporté la conduit à sa perte. Sa précipitation dans l’escalier en est un exemple. Charles Perrault précise que « la tentation [de l’héroïne] était si forte qu’elle ne put la surmonter.3 » L’auteur considère, comme Pascal, que

la curiosité est une passion que l’on ne peut contrôler. La jeune femme est si aveuglée par cette « tentation » qu’elle quitte ses convives. Charles Perrault fait donc de la curiosité un vice touchant principalement les femmes.

L’auteur évoque l’oisiveté des femmes. Dans Barbe bleue, il décrit les activités auxquelles s’adonnent les convives chez la jeune mariée : « Ce n’était que promenades, que parties de chasse et de pêche, que danses et festins, que collations : on ne dormait point, et on passait toute la nuit à se faire des malices les uns aux autres.4 » Cette énumération rend compte de

leurs multiples loisirs. La répétition du pronom relatif « que » traduit un certain agacement de la part de l’auteur. Il dénonce l’aspect superficiel de ces activités. Charles Perrault souligne également la cupidité de ces femmes, qui « ne cessaient d’exagérer et d’envier le bonheur de leur amie [à la vue de tous ces meubles, tapisseries, miroirs, sofas…].5 » Elles ne privilégient

que l’aspect matériel des choses. L’auteur dénonce implicitement leur

1 Charles Perrault, op.cit. , p.29.

2 Blaise Pascal, Pensées, Dijon, Victor Lagier, 1835, p.73. 3 Charles Perrault, op.cit. , p.30.

4 Charles Perrault, op.cit. , p.27-28. 5 Ibid, p.29.

52 conception erronée du bonheur. La vue de ces richesses les aveugle et les empêche de prendre du recul. Comme la jeune épouse, elles oublient la réputation cruelle de Barbe bleue.

Charles Perrault a recours au symbole du miroir pour dénoncer la vanité de certaines femmes. C’est le cas des sœurs de Cendrillon, qui ne cessent de se mirer. De façon comique, l’auteur n’hésite pas à se moquer de leur caractère égoïste en retranscrivant au discours direct leurs paroles :

-Moi, dit l’aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre1.

- Moi, dit la cadette, je n’aurai que ma jupe ordinaire ; mais en récompense2,

je mettrai mon manteau à fleurs d’or, et ma barrière de diamants, qui n’est pas des plus indifférentes.3

À tour de rôle, les deux sœurs mettent en avant leur ego en employant le pronom personnel « moi ». Comme dans Barbe bleue, leur cupidité est évoquée, à travers la description précise qu’elles font de leurs vêtements. Le lecteur devient le spectateur d’une comédie mettant en scène la rivalité des deux sœurs . Cette mascarade est peut être une façon, pour Charles Perrault, de se moquer de ces « Dames de Paris » qu’il évoque déjà dans la dédicace destinée à Mademoiselle***4 de Grisélidis. Au contraire de la patiente Grisélidis, ces femmes nobles ne sont pas vertueuses :

Une Dame aussi patiente

Que celle dont ici je relève le prix, Serait partout une chose étonnante, Mais ce serait un prodige à Paris. Les femmes y sont souveraines. Tout s’y règle selon leurs vœux, Enfin c’est un climat heureux Qui n’est habité que de Reines. […] Ce n’est pas que la Patience

Ne soit une vertu des Dames de Paris, Mais par un long usage elles ont la science De la faire exercer par leurs propres maris.5

De façon ironique, Charles Perrault les considère comme des « Reines ». Le terme « souveraines » dénonce, en partie, l’excès d’autorité qu’on les

1 Dentelle d’Angleterre. 2 En revanche.

3 Ibid, p.50-51.

4 Il s’agit peut être de Melle Lhéritier. 5 Charles Perrault, op.cit. , p.85-86.

53 femmes. On retrouve ce motif dans Cendrillon : la marâtre est « hautaine » et a une emprise absolue sur son mari faible. Charles Perrault évoque aussi la frivolité et les caprices de ces femmes nobles. De façon grinçante, l’auteur compare les « maris » à Grisélidis, qui doivent endurer leurs épouses. Par cette dédicace, l’auteur semble essayer de convaincre un public d’hommes en raillant ce type de femmes. Toutefois, son attitude est paradoxale et l’on ne sait pas exactement quel parti il veut prendre.

Les Contes mettent en scène des personnages féminins vertueux ou naïfs, mais n’est-ce qu’une apparence ? Le Petit Chaperon rouge est une petite fille naïve, mais son surnom ne semble pas relever du hasard. Il possède un double sens : la couleur rouge peut renvoyer soit à la chair ou soit à un caractère érotique. La scène du lit, par exemple, est ambiguë, dans la mesure où la petite fille se « déshabille ». La couleur rouge est une métaphore de la chair appétissante du Petit Chaperon rouge. Cela peut traduire un certain désir sexuel du Loup. La bonté de Cendrillon est considérée comme exemplaire, mais cette qualité exprime, comme nous l’avons vu, un certain désir d’ascension sociale. Elle le fait savoir explicitement à sa marraine, lorsqu’elle lui fait remarquer qu’elle n’a pas l’intention de se rendre au bal avec ses « vilains habits »1. Cendrillon fait

également preuve de ruse en demandant, sans en avoir à l’air, à Javotte une de ses vieilles robes pour se rendre au bal2. Charles Perrault montre qu’elle

n’est pas si innocente, mais son intelligence fait d’elle une héroïne consciente de sa future réussite sociale.

Charles Perrault fait peu de références au merveilleux pour discréditer les femmes. L’ogresse du conte La Belle au bois dormant est anthropophage. Son caractère monstrueux renvoie à un désir d’autorité extrême et elle se jette par orgueil dans une cuve remplie de reptiles. La caricature est donc un moyen pour Perrault d’insister sur ces deux défauts. L’attitude grotesque de l’ogresse est démesurée et extrême. Proche de l’animalité, elle ne peut contrôler ses pulsions et souhaite dévorer la Belle au bois dormant et ses enfants. En cela, elle est le contre-modèle de

1 Ibid, p. 53. 2 Ibid, p. 55.

54 l’esthétique classique.

Ainsi, malgré la grande influence qu’exercent les femmes au sein des

Contes et de la vogue des contes de fées, Charles Perrault ne se fait pas pour

autant un porte voix du féminisme. Cette affirmation reste, cependant, à nuancer, dans la mesure où son œuvre semble, essentiellement, s’adresser à ces mondaines. On peut penser que Charles Perrault a rédigé ses Contes dans le but d’éduquer les jeunes filles ou jeunes épouses.

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