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Les Contes à l’ère de la modernité

Chapitre 2 : L’imaginaire romantique d e Gustave Doré

C. Pour une autonomie de l'illustration

2. Un art du tableau

Gustave Doré souhaitait devenir un grand peintre, mais il a dû se contenter de son succès en tant qu’illustrateur. Ses gravures en pleine page des Contes se rapprochent de la peinture d’histoire par leur grand format. Cependant, comme Courbet, il n’utilise pas ce format pour évoquer des sujets nobles, mais plutôt des scènes de genre, comme pour Le Petit poucet. Il faut rappeler que l’édition est un in-folio et par conséquent un livre d’apparat. L’art de Gustave Doré se situe entre la gravure et la peinture. Son équipe de graveurs ont suivi ses indications pour recréer ses compositions. Gustave Doré reste, tout de même, un peintre puisque ses premières épreuves sont faites à partir de gouache, de lavis ou à la plume. Il souhaite que les graveurs reproduisent essentiellement le mouvement et qu’ils soient fidèles à l’ensemble de ses compositions.

La figuration des illustrations se rapproche de la peinture, dans la mesure où Gustave Doré respecte la perspective, les jeux de lumière, la diversité des plans etc. D’un point de vue technique, l’illustrateur peut être considéré aussi comme un peintre.

Cet art du tableau se retrouve également dans la façon dont Gustave Doré rassemble les différentes époques dans ses illustrations des Contes. Il mêle, par exemple, un décor moyenâgeux (armures de chevalier et du cheval) aux tenues de l’époque de la Renaissance que portent les amies de l’épouse de Barbe-Bleue. Il ne s’agit pas pour Gustave Doré de récréer un réalisme historique, mais de faire rêver essentiellement les enfants en idéalisant différentes époques.

Gustave Doré s’inspire également de l’imagerie populaire et rend compte de scènes de genre que l’on retrouve essentiellement chez Le Petit

poucet, Les Fées ou Cendrillon. Bruegel l’Ancien a sans doute eu une

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la houppe. Cette illustration a une ressemblance avec « Le repas de noces1 »

(1568). En effet, Gustave Doré comme Bruegel l’Ancien représente l’abondance de la nourriture. L’illustrateur reprend également ce thème pour

Gargantua et Pantagruel (Le Rabelais (1854).)

L’art de Gustave Doré consiste donc à mêler différentes sources artistique et littéraire pour recréer son propre imaginaire. Cet univers subjectif de l’artiste permet aux petits comme aux grands de s’évader.

Ainsi, l’imaginaire de Gustave Doré, à travers les Contes, est à l’origine de nombreuses interprétations. Comme l’affirme Tony Gheeraert, l’artiste est un « traditore », il trahit le texte de Charles Perrault et s’en éloigne afin d’imposer au public adulte et enfantin sa propre perception de l’œuvre. Cependant, cette hypothèse, bien que pertinente, s’avère être trop radicale. Gustave Doré, en effet, reste tout de même fidèle au texte de Perrault et s’intéresse aux réactions des enfants, notamment en adoptant leur point de vue (contre-plongée, personnages minuscules face au spectacle grandiose qu’offre la nature etc.)

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CONCLUSION

Les Contes de Charles Perrault constituent un patrimoine intemporel qui ne cesse de marquer les esprits. De la dernière décennie du XVIIe à la fin du XIXe siècle, on est passé progressivement d’un lectorat mondain à un lectorat enfantin grâce aux évolutions culturelles et sociales. L’édition Hetzel de 1862 constitue une transition dans l’histoire de la littérature de jeunesse. C’est, en effet, l’une des premières fois, qu’un éditeur s’intéresse de prêt au développement de l’enfant à travers le genre littéraire qu’est le conte. Mais en même temps, l’ambigüité de cette édition naît de l’intention de Gustave Doré. Illustrateur malgré lui, il souhaitait devenir un grand peintre. Ses illustrations des Contes semblent s’adresser davantage à un public averti, sensible à l’art qu’à des enfants. Il s’intéresse toutefois à la jeunesse en adoptant son point de vue et dédramatise le texte de Perrault. Avec cette édition de 1862, l’enfant n’est plus un prétexte pour asseoir une idéologie littéraire comme l’auteur des Contes a fait pour mettre en avant les Modernes lors de la Querelle. Hetzel prend vraiment en compte la dimension pédagogique du conte, en témoigne son long développement qu’il illustre d’historiettes dans sa préface.

Gustave Doré est un des précurseurs de l’album pour enfants, bien que son intention soit essentiellement artistique. L’image acquiert son autonomie par rapport au texte, mais avec l’édition Hetzel on se situe encore dans le livre illustré. L’illustration, dans ce type d’ouvrage, évoque un passage du récit dans un espace limité. Au contraire, l’image de l’album actuel se libère de toutes les contraintes typographiques anciennes. Il envahit l’espace de la page et peut même empiéter sur le texte. Bien avant l’édition Hetzel, l’édition Curmer de 1843 s’était déjà rapprochée de la notion d’album. Les illustrateurs actuels s’adaptent de plus en plus aux besoins des enfants en prenant en compte leurs émotions, en jouant avec les couleurs, la douceur ou la violence des tons. La fin du XXe siècle marque un tournant dans la littérature jeunesse. Les Contes connaissent, en effet, de nombreuses réécritures et sont des sources d’inspiration inépuisables. Gustave Doré comme ses illustrateurs contemporains ont su s’adapter au monde intérieur de l’enfant en jouant avec ses émotions par le biais de leur imaginaire bien

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BIBLIOGRAPHIE