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Chapitre 2 : Un genre mondain

A. La mode des contes de fées

2. Les influences italiennes

Si le genre du conte de fées littéraire est apparu grâce à des auteurs essentiellement féminins et à Charles Perrault, il faut néanmoins préciser que les Contes furent fortement inspirés par les italiens Giovani Francesco Straparola et Giambattista Basile. Ces écrivains ont également été influencés par le récit-cadre du Decaméron de Boccace2, publié au XIVe siècle, sous forme de « nouvelles » en italien et en français.

La « novella », nommée aussi « conto », était un court récit, qui ressemblait fort à la forme qu’emploie Charles Perrault au XVIIe siècle. Ce

genre s’inspira des productions livresques du Moyen Âge comme les romans de chevalerie, mais aussi de la tradition orale et des fables.

Straparole maîtrisait les techniques littéraires issues des humanistes et employait un style dépouillé. Son œuvre Le Piacevoli Notti (Les nuits

facétieuses), publiée en deux volumes en 1550 et 1553, est composée de

1 L’Abbé Pierre de Villiers, Entretiens sur les contes de fées et sur quelques autres ouvrages du temps, pour servir de préservatif contre le mauvais goût, Paris, J. Collombat, 1699, p.69. 2 Jack Zipes, op.cit., p.73.

42 récits enchâssés dans un cadre, qui constitue lui même un récit dans lequel s’englobent tous les autres. Sur l’île de Murano, Maria Sforza réuni une cour de dix jeunes femmes et reçoit régulièrement des érudits. À la fin du Carnaval, chaque personne est amenée à raconter une histoire. En treize nuits, soixante-quatorze fables sont contées. Ce procédé narratif fait référence aux Mille et une nuits, où la narratrice Shéhérazade est hétérodiégétique, c’est-à-dire qu’elle raconte un récit, dans lequel elle ne figure pas. Les récits de Straparole sont essentiellement marqués par le pouvoir et la fortune. C’est le cas du conte La chatte de Constantin le

Fortuné, dont s’est probablement inspiré Charles Perrault pour Le Chat botté. Le récit de Straparole1 diffère peu de son contemporain, dans la mesure où il est question d’une chatte à la place d’un chat, et que le héros se nomme Contantin le Fortuné et non le marquis de Carabas. L’intrigue reste la même, excepté que l’ogre de Charles Perrault est remplacé par le seigneur Valentin qui « par malheur, avant d’atteindre la maison de sa chère femme, [fut] pris en route d’un mal subit dont il mourut sur-le-champ ». Les personnages masculins, récurrents dans les récits de Straparole, obtiennent le pouvoir et assoient leur autorité en profitant des opportunités, qui s’offrent à eux. Ainsi, Constantin tout comme le marquis de Carabas accède à un statut social élevé grâce au personnage du chat servant d’adjuvant. Le nom prédestiné de « Constantin le Fortuné » fait référence explicitement à l’allégorie de la Fortune, qui très représentée au Moyen Âge, désigne ici la chance qui le touche.

Les contes de fées littéraires furent en parti, grâce à Straparole, très répandus en Europe. Cependant, ils s’institutionnalisèrent au fil du temps et des auteurs tels que Giambattista Basile, Charles Perrault ou Mme d’Aulnoy furent à l’origine d’une véritable tradition littéraire, qui parvint jusqu’à la jeunesse actuelle. Cette importante production permit de créer des personnages de contes de fées types.

Giambattista Basile a écrit Lo cunto de li cunti (Le conte des contes), plus connu sous le nom Pentamerone, en 1634 et 1636. Ce recueil est

43 composé de cinquante contes populaires, qui sont narrés en cinq jours par dix femmes du peuple. Il est possible que Giambattista Basile ait connu l’œuvre de Straparole. Il s’inspira de nombreuses sources littéraires et historiques et possédait une bonne connaissance du folklore de Naples, sa région natale. Giambattista Basile maîtrisait parfaitement le dialecte napolitain et mêla dans son œuvre des formes littéraires à des expressions vulgaires. Comme Straparole, il évoque des sujets relatifs au pouvoir et aux problèmes qu’ils engendrent. La chance permet, de cette façon, aux personnages de s’élever dans la société et d’accéder au bonheur. Le conte de

Cendrillon de Perrault, par exemple, reprend la trame de celui de

Giambattista Basile intitulé La Gatta cennerentola. Cependant, l’intrigue diffère, dans la mesure où Zezolla (l’héroïne que l’on rapproche de Cendrillon) tue sa marâtre avec la complicité de sa gouvernante, qui épouse par la suite son père. La marraine de la version de Perrault est remplacée par des fées et un dattier magique, mais l’héroïne garde son statut de domestique. Les références au bal et à la pantoufle sont conservées dans la version de Giambattista Basile. Son récit souligne l’ambivalence du comportement de Zezolla. Au contraire de Cendrillon et sous son apparente innocence, l’héroïne prémédite le meurtre de sa marâtre en suivant les conseils de sa gouvernante et menace son père « [de ne pouvoir] ni avancer ni reculer », s’il ne demande pas aux fées de lui apporter un cadeau. La cupidité et la jalousie de Zezolla sont ainsi mises en avant. Giambattista Basile donne une approche « italianisante » de Cendrillon, en ayant recours à des situations cocasses comme le valet, qui n’arrive jamais à savoir où demeure l’héroïne. Dans sa version, Charles Perrault ôte ce genre de détails pour privilégier un style sobre.

Ainsi, Giovani Francesco Straparole et Giambattista Basile furent des auteurs dont s’inspira sans doute Charles Perrault, qui les adapta en fonction du contexte littéraire de son époque.

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