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L’alimentation aux époques almoravide et almohade

Dans le document Le Maghreb XIe-XVe siècle (Page 104-107)

Les céréales constituaient la part essentielle de l’alimentation sauf dans les régions sèches ;

ainsi dans les régions sahariennes, la base du régime alimentaire était constituée de dattes, de petit

lait et de viande. Dans certaines zones de montagne, comme le Rîf, c’était la farine de gland. Dans

le reste du Maghreb, tant à la ville qu’à la campagne, les céréales demeuraient la nourriture de base

et étaient consommées sous forme de pains (khubz), de galettes, de pâtes diverses (fidawsh,

kuskusu), de soupes, de brouets (‘asîda), de panades et de beignets fourrés ou pas. Dès le

XIIe

siècle,

le couscous, plat originaire du Maghreb Extrême et composé de pâtes cuites à la vapeur et arrosées

de bouillon de viande et de légumes, devient en al-Andalus et en Orient le plat emblématique du

Maghreb.

La fabrication de la semoule de couscous, selon un traité culinaire du

XIIIe

siècle

« On prend de la semoule tendre qu’on dispose dans un grand plat ; on l’arrose d’eau légèrement salée ; on la travaille du bout des doigts jusqu’à ce que les graines soient homogènes ; on les frotte délicatement avec la paume de la main jusqu’à ce qu’elles atteignent la taille d’une tête de fourmi ; On passe alors le tout au tamis fin pour faire partir le reste de farine ; on laisse ensuite reposer en couvrant. »

Il se répandit alors sur les traces des Empires berbères, en Ifrîqiya et dans la péninsule

Ibérique, où les chrétiens l’adoptètent après la conquête. On trouve d’ailleurs dans le mobilier

fouillé en al-Andalus, notamment à Murcie, des couscoussiers datant des

XIIe

XIIIe

siècles. Le

couscous est l’un des rares plats étrangers qui soient mentionnés dans le Gargantua de François

Rabelais, au

XVIe

siècle, sous le nom de coscosson ou coscoton.

Recette du couscous fityânî (« des jeunes » ou « des esclaves »)

« Al-Fityânî est une variété de couscous qui cuit avec de la viande et des légumes, comme il est d’usage ; quand cela est fait, on retire la viande et les légumes de la marmite et on les met de côté ; on nettoie ce que la sauce comporte d’os et d’autres impuretés, puis on remet la marmite sur le feu. Quand la sauce bout, on y verse le couscous cuit et plein de graisse ; on laisse la marmite cuire à feu doux, jusqu’à ce que le couscous s’imbibe complètement de sauce ; on le verse alors dans un plat où il s’égalise, on dépose au-dessus la viande bouillie, on saupoudre le tout de cannelle et on le présente. C’est ce qu’on appelle à Marrakech, al-fityânî. »

D’après al-Idrîsî (m. 1166), l’un des mets les plus appréciés au Maghreb Extrême était

connu sous le nom d’asalû, il s’agissait de blé grillé, que l’on pilait pour en faire de la semoule

mélangée par la suite avec du miel et du beurre rance ; c’était le mets par excellence des voyageurs.

La qualité de la farine employée servait de marqueur social, les classes aisées utilisaient de

la farine de froment d’excellente qualité (darmak), là où les ruraux faisaient du pain avec de l’orge,

du sorgho ou du millet. Dans les villes, les contrôleurs des poids et mesures des marchés (muhtasib)

veillaient scrupuleusement à ce que la farine ou le pain ne soient pas frelatés. Les céréales

constituant la base du régime alimentaire, la fluctuation de leur production avait des conséquences

majeures, l’homogénéité climatique du pays contribuant à aggraver les crises. Les disettes

périodiques s’accompagnaient d’épidémies et d’une augmentation significative de la mortalité, par

exemple en 1171 ou en 1216-1217, ce que les sources appellent « la sécheresse et la peste ». Au

cours de ces crises, on cueillait des plantes sauvages, comme des cœurs de lauriers ou de

rhododendrons, et on les faisait bouillir pour les consommer.

Selon les saisons, les légumineuses jouaient un rôle plus ou moins grand dans

l’alimentation. Dans les deux traités culinaires qui nous sont parvenus de cette époque et qui

mentionnent des recettes en lien avec les dynasties almoravide, almohade et ziride, on trouve la

mention des légumes suivants : choux, céleri, fenouil, pois chiches, lentilles, fèves, aubergines,

cucurbitacées, carottes et navets. L’assaisonnement principal était fait de matières grasses : huile

d’olive et d’argan, lait et lait caillé, beurre rance. On utilisait aussi des condiments comme l’oignon,

l’ail, la coriandre séchée ou fraîche, la lavande, la feuille de menthe, l’olive séchée ou fraîche ainsi

que le citron macéré. Dans la cuisine urbaine et aristocratique, on rajoutait des épices telles que le

cumin, la cannelle, le poivre, le clou de girofle et le safran.

Il y avait aussi un condiment aujourd’hui disparu, le murrî. C’était une sauce composée de

farine d’orge ou de blé fermenté et parfumée. Le murrî se préparait en grande quantité et se

conservait pendant longtemps ; de même, il existait plusieurs façons de l’apprêter. Ibn Razîn (fin

XIIIe

s.) ne donne pas moins de quatorze recettes de murrî, toutes réservées à la classe aisée. Selon

Halima Ferhat, à Ceuta, les riches faisaient appel à des spécialistes qui venaient à domicile

fabriquer la quantité de murrî nécessaire à la consommation, mensuelle ou annuelle, de la famille.

Sa composition et son goût rappellent le garum antique et peut être comparer à grands traits à

l’actuel nuoc-mâm vietnamien. Certains pensent que sa disparition est liée à l’introduction

progressive de la tomate au Maghreb, à partir du

XVIe

siècle après la découverte des Amériques.

Sur le littoral, les populations consommaient du poisson, et des pêcheries de thon sont

attestées à Ceuta, et d’aloses sur les bords de l’Oued Umm Rabî‘. En ce qui concerne la viande, elle

était généralement peu consommée en milieu rural. Cependant, dans les régions relativement

prospères comme celle d’Aghmât, c’était une nourriture courante, d’abord parce que les troupeaux

ovins, bovins et caprins étaient nombreux, ensuite parce que la chasse n’était pas réservée aux

élites, comme dans l’Occident latin, mais qu’elle était pratiquée par toutes les couches de la société.

Ailleurs la consommation de lézards, de sauterelles, de tortues, d’escargots, de hérissons et de

chiens était sans doute destinée à pallier un manque de protéines. À l’inverse dans les milieux

urbains et aisés, il était de règle de manger de la viande plusieurs fois par jour ; de même, rôtie,

bouillie ou frite, elle était servie à la table des rois ; la diversité des viandes employées était un

marqueur social : certaines recettes font appel à une dizaine de viandes simultanément, alors que la

masse du peuple devait se contenter d’une consommation épisodique de viande de mouton ou de

chèvre. Il existait d’autres marqueurs sociaux, telle la consommation de sucre, limitée à l’élite, alors

que celle de miel caractérisait la cuisine populaire.

L’étatisation progressive des sociétés du Maghreb accrut vraisemblablement l’écart entre

les habitudes alimentaires des élites et celles du peuple. A contrario, en période de crise, celui-ci

diminuait. C’est ce que laisse supposer Jean-Léon l’Africain lorsqu’il note, au début du

XVIe

siècle,

que contrairement à l’Italie de la Renaissance, il y avait au Maghreb peu de différence entre le repas

des grands seigneurs et celui du peuple (la région alors connaissait une grave crise).

Un plat royal : le Sanhâjî (livre de recettes du

XIIIe

siècle)

« Prendre un tajine émaillé, le plus grand possible. Y mettre les parties nobles du bœuf, du mouton, du chevreau, du gibier. Autant que cela soit possible. Ainsi que du lièvre, du lapin de garenne, du poulet, de l’oie, de la perdrix, des pigeonneaux, des ramiers engraissés, des étourneaux blancs rondelets, des oiseaux gras. Découper le tout en morceaux de taille moyenne. Laisser entier ce qui ne saurait être découpé. Y ajouter des merguez, saucisses, harsh (autre type de saucisses), olives et citrons confits, amandes émondées, pois chiches trempés, feuilles de citron, branches de fenouil. Y ajouter de l’eau, du sel, de l’huile, du poivre, de la coriandre séchée et fraîche, des feuilles de menthe, un oignon découpé et une cuillère de murrî.

Badigeonner la viande de safran. Mettre le tajine sur le feu.

Prendre ensuite du chou-fleur de très bonne qualité, ainsi que des navets, des aubergines, du céleri et des carottes, s’il y en a. Les nettoyer, les laver, et les enduire de safran, puis les mettre dans le tajine. Quand le tout est cuit, y ajouter des pommes et des coings, préalablement nettoyés et épluchés. Puis rajouter du vinaigre de bonne qualité, selon le goût. Laisser le tajine sur le feu, jusqu’à ce que le vinaigre soit porté à ébullition, une à deux fois. Enfin il faut enlever le plat du feu pour le laisser cuire à feu doux. Tel est le véritable sanhâjî dont font usage les notables. Quant au sanhâjî du peuple, nous l’évoquerons en temps et lieu. »

L’opulence de la cuisine royale s’illustre par l’importance prise par des plats inventés et

élaborés pour les dignitaires almohades (Sansabûk des rois, al-Sâbûniyya, al-Isfîriyya, etc.). En plus

de ces créations originales, les recettes de plats créés à la cour abbasside et portant des noms perses

(sikbâj, sanbûsak, isfîdhabajât, fâlûdhaj, etc.) furent importées.

En ce qui concerne les boissons, la population consommait toute sorte d’alcool : vin cuit de

raisin (anzîr / rubb), alcool de figues et eau de vie de dattes, comme le prouvent certaines

consultations juridiques (fatwá) qui évoquent le comportement à adopter vis-à-vis d’enfants qui

arriveraient à l’école coranique en état d’ébriété. Malgré la condamnation par les oulémas de la

consommation des boissons alcoolisées, celles-ci constituaient un complément calorique important

dans des sociétés toujours proches de la famine.

Une consommation très répandue : l’anzîr (al-Idrîsî)

« Les Masmûda ont une boisson appelée anzîr : c’est un breuvage sucré qui donne une grande ivresse, plus forte que celle du vin, tellement il est consistant et concentré. Pour le préparer, ils prennent du jus de raisin sucré qu’ils font bouillir jusqu’à qu’il s’en évapore un tiers. Alors ils le retirent du feu et le laissent refroidir avant de le boire. Ils ne peuvent le boire que coupé d’eau à quantité égale. Les gens du Sûs al-Aqsá (extrême sud du Maroc actuel) pensent que la consommation de cette boisson est licite tant qu’il n’y a pas d’ivresse. »

Outre les consultations juridiques, la consommation de boissons alcoolisées est attestée par

le nom de la porte d’entrée principale du palais almohade de Marrakech : Bâb al-Rubb « la Porte du

raisiné ». C’est par cette porte que les grappes de raisin ou le vin en provenance des cépages de la

vallée du Nafîs pénétraient dans la cité en échange d’une taxe. Cependant, à l’époque almohade, on

assiste à un recul de la consommation en raison du rigorisme des dirigeants.

Compléments bibliographiques

Dans le document Le Maghreb XIe-XVe siècle (Page 104-107)