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L’Afrique sub-saharienne et le Maghreb

Dans le document Le Maghreb XIe-XVe siècle (Page 101-104)

L

ECOMMERCETRANSSAHARIEN

L’importance de l’or

Des spécialistes du commerce transsaharien : la famille Maqqarî de Tlemcen d’après Ibn

al-Khatîb (

XIVe

s.)

« Les enfants de Yahyá al-Maqqarî se rendirent célèbres par leur profession de commerçants. Ils facilitaient l’accès à la route du Sahara aux caravanes de marchands, soit en creusant des puits, soit en s’assurant de leur sécurité ; à ce titre, ils se faisaient payer une redevance pour les guides qu’ils fournissaient aux voyageurs, lesquels durant le trajet devaient se conformer à leurs avis. Les enfants de Yahyá étaient au nombre de cinq. Ils avaient mis leurs biens en commun et formé une association dans laquelle ils se partageaient d’une manière égale le produit de leurs opérations commerciales respectives. À Tlemcen s’établirent les deux frères Abû Bakr et Muhammad ; ‘Abd Rahmân, le frère aîné, alla s’installer à Sijilmâssa. Enfin leurs frères cadets, ‘Abd al-Wâhid et ‘Alî, choisirent Ilûlâltan [au sud de la Mauritanie actuelle] pour y fonder leur maison de commerce. Dans ces contrées, ils firent l’acquisition d’enclos et de maisons ; ils y épousèrent des femmes et eurent des enfants de leurs esclaves. Celui qui était resté à Tlemcen expédiait à celui qui demeurait au Sahara les marchandises qu’il demandait ; en retour, celui-ci expédiait à Tlemcen des peaux, de l’ivoire, des noix [de cola] et de la poudre d’or (tibr). Quant à celui qui habitait Sijilmâssa, il devait informer ses frères de la hausse et de la baisse des prix, les tenant au courant des affaires des négociants et les renseignant sur la situation du pays qui pouvaient les intéresser. Grâce à cette association, la fortune des cinq frères s’accrut de manière considérable ; en fort peu de temps, ils atteignirent un haut degré d’opulence et de bien-être […] Lorsque les frères al-Maqqarî obtinrent, grâce aux pactes et traités signés avec le roi de Takrûr [vallée du fleuve Sénégal situé près du gisement aurifère de Bambuk], des aides et des protections pour leur commerce, ils purent parcourir librement toutes les routes et acquérir d’immenses richesses. En effet, à cette époque, les marchands de l’Égypte ne connaissaient pas encore le chemin du Sahara où convergeait une quantité prodigieuse de marchandises dont les Maghrébins retiraient le prix qu’ils voulaient. »

Le commerce transsaharien

La recherche contemporaine, de Jean Devisse à Mohammed Kably, établit une corrélation

entre la puissance des souverains musulmans d’Occident, à commencer par celle des Almoravides,

et leur déclin postérieur, respectivement à l’essor des échanges entre le Maghreb et l’Afrique

sub-saharienne à partir du

XIe

siècle, et à la réhabilitation des routes de l’est du continent africain dans la

seconde moitié du

XIVe

siècle. Le contrôle des routes de l’or par les Berbères, c’est-à-dire en fait la

souveraineté exercée par les dynasties berbères sur leurs débouchés septentrionaux — le carrefour

caravanier de Sijilmâssa, et les villes de Tlemcen, d’Aghmât, ainsi que les ports de Ceuta et

d’Almería —, se traduit par l’importance administrative et politique de ces cités, érigées, dès

l’époque almoravide, en gouvernorats pourvus d’ateliers monétaires. Leur importance stratégique et

économique est attestée par les combats acharnés dont elles firent l’objet. Cette corrélation a parfois

été jugée comme trop mécanique et déterministe. Pourtant il est indéniable que l’apparition d’États

puissants dans l’Occident musulman maghrébin est contemporaine du rôle d’intermédiaire joué par

les souverains et les marchands maghrébins entre les régions sub-sahariennes et la Méditerranée,

tandis que leur disparition coïncide avec le rayonnement de l’Égypte et l’émergence des Portugais

au

XVe

siècle.

L’importance de l’or

Parmi les richesses principales importées de l’Afrique sub-saharienne figurait le tibr,

c’est-à-dire de l’or d’une qualité suffisante pour être utilisé sans affinage et sans alliage dans la frappe

des monnaies. L’or était extrait des gisements aurifères situés dans ou autour de la forêt tropicale

(gisements de Bambuk, du Bouré et du territoire des Lobi…), puis il était envoyé dans les grands

centres caravaniers de Kûgha, de Ghâna, d’Awdâghust et de Gao, mais c’est seulement au nord du

Sahara qu’il était transformé en monnaie. Les tonnages concernés ont été évalués à deux ou trois

tonnes par an, ce qui impliquait, pour l’extraction, la mobilisation de plusieurs dizaines de milliers

de personnes. Grâce aux données fournies par les géographes arabes, sept itinéraires nord-sud ont

été identifiés dans l’ouest du Sahara, s’étendant depuis le littoral atlantique et l’axe Awlîl-Nûl, vers

les routes de l’est reliant Tâmdakka à Ghadamés et à Tripoli, en passant par le Tibesti. Les ateliers

de frappe de l’or étaient situés dans les cités où débouchaient ces grandes voies du commerce

transsaharien : Sijilmâssa, Aghmât, Marrakech, Nûl Lamta et Tlemcen, ainsi que dans les villes

stratégiques de Fès et de Salé. Les dinars almoravides permirent la politique impériale menée par

les Sahariens et ils furent même connus par les Européens sous le nom de maraboutins,

morabetinos, puis maravedis. On en trouve dans des trésors des

XIIe

et

XIIIe

siècles jusqu’en

Auvergne et au nord de l’Europe.

Cependant les commerçants maghrébins ne disposaient pas d’une entière liberté de

circulation et seuls certains d’entre eux purent mettre à profit les bonnes relations qu’ils

entretenaient avec les souverains africains pour se déplacer où ils voulaient, comme le prouvent les

clauses avantageuses obtenues du roi de Takrûr par les frères al-Maqqarî. Dans l’Empire almohade,

c’était le gouverneur de Sijilmâssa qui était responsable du bon fonctionnement du commerce

transsaharien et des relations diplomatiques avec le plus important des royaumes africains du

XIe

au

XIIIe

siècle, c’est-à-dire le royaume du Ghâna. Les risques étaient grands. Ainsi, dans les années

1190, le souverain du Ghâna fit emprisonner les commerçants maghrébins résidant dans sa capitale.

En réaction, le gouverneur almohade de Sijilmâssa envoya une lettre qui, à mots couverts, menaçait

le roi de représailles contre les commerçants originaires de son royaume et résidant dans l’Empire

almohade. Cette lettre confirme que les Maghrébins n’étaient pas les seuls à traverser le désert. La

rupture des relations avec les régions subsahariennes mettait en péril l’approvisionnement du

Maghreb en or et fragilisait toute l’économie, d’où l’importance de la fonction de gouverneur de

Sijilmâssa : il était chargé d’assurer le cadre diplomatique général, cependant que les commerçants

négociaient leurs contrats directement avec les autorités locales.

Lettre du gouverneur almohade de Sijilmâssa au roi du Ghâna transmise par al-Maqqarî (

XVIe

s.)

« Nous sommes voisins dans la bienfaisance en dépit de nos différences en matière de religion. Nous nous entendons sur une ligne de conduite agréée [par Dieu] et nous veillons sur nos sujets. Il est bien connu que l’équité est l’une des obligations des rois pour ce qui touche à la mise en œuvre d’une politique vertueuse. L’iniquité provient seulement des âmes malfaisantes, ignorantes et brutales. Nous avons appris l’emprisonnement de malheureux marchands. Il leur a été interdit de vaquer à leurs affaires. Or la fréquentation de ce pays par les marchands d’esclaves est utile pour ses habitants. Cela aide à la consolidation de son peuplement. Si nous l’avions voulu, nous aurions pu emprisonner les habitants de ces contrées se trouvant sur nos terres. Mais nous ne prendrons pas de mesures de rétorsion. Car il nous importe peu d’interdire des choses, pour les voir se produire quand même. Salut. »

Les commerçants maghrébins n’avaient pas directement accès aux gisements aurifères. En

effet les rois du Ghâna, du Takrûr et du Mali, ou plus exactement leurs représentants, jouaient le

rôle d’intermédiaires, entre les exploitants des gisements d’or ou leurs mandataires, connus sous le

nom malinké de « wangara », et les Maghrébins, qui eux-mêmes étaient dans la même position sur

le littoral méditerranéen vis-à-vis des puissances chrétiennes (Pise, Gênes, Aragon…). En échange

de l’or, les marchands maghrébins exportaient en direction du pays des noirs (Bilâd al-sûdân) les

productions de leur pays : couvertures, vêtements de laine, turbans, manteaux, verroterie, nacre,

objets en fer forgé, cuivre teint, parfums et épices, c’est-à-dire principalement des produits finis

contre des produits bruts (or, ivoire, noix de cola, esclaves, peaux…). Les échanges étaient donc

plutôt favorables aux marchands musulmans.

C’est probablement l’appât de cet or qui incita les Pisans à signer dès 1133 des traités de

commerce avec les Almoravides. Il convient de rappeler qu’après les dernières monnaies

carolingiennes au début du

IXe

siècle, le monde latin ne frappa plus de monnaies d’or, car ce métal

était thésaurisé dans les monastères et les églises. Le système monétaire était donc mono-métallique

argent au nord de la Méditerranée, et bi-métallique or et argent au sud. Par la conquête des terres

ibériques et maghrébines, par le butin, par la solde des mercenaires chrétiens, par les tributs exigés

des principautés musulmanes et par le commerce, les puissances européennes s’assurèrent un

premier accès à l’or africain. C’est uniquement avec la découverte des Amériques que les

intermédiaires musulmans allaient perdre leur fonction et leur importance, lorsque les Européens

eurent un accès direct aux gisements du continent américain.

Compléments bibliographiques

BENHSAIN R. et DEVISSE J., 2000, « Les Almoravides

et l’Afrique occidentale

XIe

XIIe

siècle », Arabica,

47/1, pp. 1-36

B

OULÈGUE

J., 1987, Le Grand Jolof (

XIIIe

XVIe

siècles), Blois, Façades.

D

EVISSE

J., 1978, Histoire générale de l’Afrique, Études et documents, Paris, UNESCO.

Dans le document Le Maghreb XIe-XVe siècle (Page 101-104)