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Les chiffres du United States Department of Housing and Urban Development (HUD) indiquent qu’en 2017, il existe 553 742 sans-abris, dont un cinquième (21%) sont des enfants

3. Être autre en Amérique

3.2. Violences policières, tensions et controverses

3.2.1. L’affaire Diallo et la violence policière

Le 4 février 1999, Amadou Diallo est abattu par quatre policiers blancs dans le Bronx au cours d’un simple contrôle de routine. Les policiers, qui l’ont reconnu à tort comme étant un violeur recherché, tirent 41 balles dont 19 atteignent le jeune immigrant Guinéen. Ils pensaient que Diallo allait sortir un revolver alors qu’il tentait de sortir son portefeuille. Les médias américains évoquent alors la bavure policière et l’affaire Diallo devient le symbole de la répression policière à l’encontre des personnes issues de la communauté africaine-américaine.

La mort du jeune Diallo, qui n’avait pas de casier judiciaire, provoque plusieurs manifestations à New York. Le révérend Al Sharpton est présent avec des membres de la communauté africaine-américaine pour soutenir la famille de la victime. Les quatre policiers sont acquittés au terme d’un procès de près d’une année mais la famille Diallo recevra ultérieurement des compensations par la municipalité de la ville404. Jesse Jackson critique le verdict du jury et déclare : « this was the result of racial profiling and stereotyping »405. Le maire de New York, Rudolph Giuliani, qualifie quant à lui la mort de Diallo comme une tragédie et soutient la police de sa ville en critiquant ce qu’il appelle « a vicious form of anti-police bias, which means entertaining every doubt against the anti-police »406. Le maire Giuliani rappelle qu’en dépit de la tragédie Diallo, la police de sa ville fait un travail exceptionnel en protégeant ses citoyens contre le crime.



404 Jane Fritsch, « The Diallo verdict: the overview; 4 officers in Diallo shooting are acquitted of all charges »,

The New York Times, 26 février 2000, [en ligne], consulté le 7 décembre 2017.

URL : http://www.nytimes.com/2000/02/26/nyregion/diallo-verdict-overview-4-officers-diallo-shooting-are-acquitted-all-charges.html

405 Julie Deardorff, « Jury Acquits 4 Nyc Cops In Diallo Case », The Chicago Tribune, 26 février 2000, [en ligne], consulté le 7 décembre 2017. URL :

http://articles.chicagotribune.com/2000-02-26/news/0002260079_1_diallo-case-death-of-amadou-diallo-kadiatou-diallo

Il faut préciser que d’un point de vue légal, on parle de violence policière lorsque des policiers en services perpètrent des actes violents justifiés envers d’autres personnes. Cette violence est légitime, c’est-à-dire que la loi l’autorise dans certains cas pour protéger les citoyens d’actes criminels comme lors des arrestations, les évasions ou les répressions de manifestations. L’article R431-3 du

Code pénal de la République Française

(version abrogée au 1er janvier 2014) stipule que « L’emploi de la force par les représentants de la force publique n’est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public […] La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé ».

Nous retrouvons la notion de « violence légitime » chez Max Weber qui définit l’État de « monopole de la violence physique légitime »407. L’État est le seul groupement politique à bénéficier, sur son territoire, de la violence physique légitime. Il passe donc selon Weber pour « l’unique source du droit à la violence »408.

Or, il existe une autre forme de violence policière qui est illégitime lorsqu’il y a des actes d’abus policiers, c’est-à-dire non nécessaires ou exagérés. Kenneth Adams cite David Carter qui définit ces formes illégitimes de violences policière ainsi : « any action by a police officer without regard to motive, intent, or malice that tends to injure, insult, tread on human dignity, manifest feelings of inferiority, and / or violate an inherent legal right of a member of the public »409. Le cas d’Abner Louima, l’immigrant haïtien victime de viol et de brutalités par des policiers de New York en 1997 est un exemple qui illustre l’abus de pouvoir de la police. Nous exposerons sous peu d’autres cas de brutalités policières.

Il faut préciser que le fait de parler de police aux États-Unis revient souvent à parler de violence illégitime perpétrée par les officiers de police dans les quartiers difficiles de la communauté africaine-américaine. Il y a donc une forme de suspicion de la part des citoyens issus de cette communauté à l’encontre de l’institution policière. Jack R. Greene note : « some citizens feel brutalized by the mere presence of the police because they have come to represent the establishment and symbolize violence used to oppress minority groups »410.

Les violences policières aux États-Unis sont une question délicate susceptible de provoquer des manifestations et des émeutes intenses. On se souvient des images de l’arrestation de Rodney King, le 3 mars 1991 qui ont fait le tour du monde et qui montrent la



407 Max Weber, Le Savant et le politique, op.cit., 29.

408Ibid.

409 Jack R. Greene, (éd.), The Encyclopedia of Police Science, New York, Routledge Taylor & Francis, 2007, 6.

brutalité et l’acharnement des policiers de Los Angeles. L’agression de l’automobiliste a provoqué l’indignation et la colère de la population africaine-américaine. Par la suite, l’acquittement des policiers qui l’ont agressé fut le facteur déclencheur des émeutes de Los Angeles du 29 avril 1992 causant la mort de 55 personnes et faisant 2300 blessés411.

Des émeutes ont aussi eu lieu dans différentes villes des États-Unis après la mort de Sean Bell à New York en 2006, Michael Brown à Ferguson, Missouri en 2014 ou encore Keith Lamont Scott à Charlotte, Caroline du Nord en 2016. Toutes ces personnes, non armées et issues de la communauté africaine-américaine, étaient victimes de violence policière412.

Un recensement du

Washington Post

indique que 1502 personnes ont été abattues par les forces de polices du 1er janvier 2015 au 11 juillet 2016. Sur l’ensemble des personnes décédées, 732 étaient des Américains blancs d’ascendance européenne413 alors que 381 étaient des Africains-Américains414. Le nombre de décès des Blancs Américains est plus élevé que celui des Africains-Américains. Toutefois, le

Washington Post

indique qu’il faut analyser ces chiffres par rapport au nombre global de la population américaine selon ses catégories raciales. En 2016, les États-Unis comptent près de 234 millions de Blancs d’ascendance européenne, ce qui représente 73.3% de l’ensemble de la population alors que les Africains-Américains représentent 12.6% avec près de 40 millions de personnes415. Si on examine le recensement des décédés, on note que les Blancs Américains représentent 49% de l’ensemble des personnes abattues par les forces de polices alors que les Africains-Américains représentent 25%. Cela signifie qu’un Africain-Américain non-armé a deux fois et demie plus de chances de se faire tuer par la police qu’un Blanc416.



411 « Ex-police chief : morale law in Los Angeles force », CNN Access, 29 avril 2002, [en ligne], consulté le 7 décembre 2017 .URL : http://edition.cnn.com/2002/US/04/29/la.riot.gates.cnna/index.html

412 « Charlotte officer will not be charged in fatal shooting of Keith Lamont Scott », 30 novembre 2016, [en ligne], consulté le 7 décembre 2017.URL : http://www.latimes.com/nation/nationnow/la-na-no-charges-keith-scott-20161130-story.html

413 Le Bureau de recensement des États-Unis définit cinq catégories raciales : les Blancs Américains (Europe, Latino, Moyen Orient, Afrique du Nord), les Africains-Américains, les Amérindiens, les Asiatiques et les Hawaïens de souche US Census Bureau, [en ligne], consulté le 7 décembre 2017.

URL: https://www.census.gov/topics/population/race/about.html

414 Wesley Lowery, « Aren’t more white people than black people killed by police? Yes, but no », The Washington Post, 11juillet 2016, [en ligne], consulté le 7 décembre 2017.

URL: https://www.washingtonpost.com/amphtml/news/post-nation/wp/2016/07/11/arent-more-white-people-than-black-people-killed-by-police-yes-but-no/

415 En 2016, les États-Unis d’Amérique comptent 318.5 millions d’habitants (US Census Bureau, [en ligne], consulté le 7 décembre 2017.

URL: https://factfinder.census.gov/faces/tableservices/jsf/pages/productview.xhtml?src=CF).

La population du pays est de 325 719 178 habitants au 1er juillet 2017(US Census Bureau, [en ligne], consulté le 7 décembre 2017.

URL: https://factfinder.census.gov/faces/tableservices/jsf/pages/productview.xhtml?src=bkmk).

La communauté africaine-américaine est surreprésentée parmi les victimes de violences policières. Jill Nelson affirme qu’il existe un problème culturel qui explique la surreprésentation des Africains-Américains.

The notion of the « black male predator » is so historically rooted in the American consciousness that we have come to accept the brutalization and murder of citizens by the police as an acceptable method of law enforcement. The assumption is that Black men are the bad guys, the police are the good guys, and if the police killed someone it must have been for good reason. They must have done something417.

Nelson affirme qu’aux États-Unis, il existe une culture policière fondée sur le racisme qui fait que tuer un Africain-Américain est devenu une chose banale. Les policiers, selon lui, procèdent à des arrestations en se basant sur les préjugés et stéréotypes raciaux qui catégorisent les Africains-Américains comme étant plus dangereux que le reste de la population. La figure de l’homme noir dangereux a donc parfois des conséquences tragiques comme nous l’avons mentionné ci-dessus.

Nelson procède à une analyse qui se focalise sur le genre masculin alors que les femmes africaines-américaines sont aussi victimes de brutalités policières. Le 21 novembre 2006, Kathryn Johnston, 92 ans, a été abattue dans sa maison et a reçu 39 balles dans le dos par des policiers d’Atlanta qui la soupçonnait faussement de vendre de la drogue. La jeune Tarika Wilson a été aussi abattue dans sa maison le 4 janvier 2008 à Lima, Ohio, lors d’un raid de la police qui recherchait son compagnon. Le 15 mars 2012 Shereese Francis, souffrant de schizophrénie, a été interpellée par quatre policiers new-yorkais et est morte suite à une arrestation brutale. De même, Tanisha Anderson est morte subitement d’un arrêt cardiaque le 13 novembre 2014 lorsque des policiers de Cleveland ont immobilisé au sol la jeune femme psychologiquement fragile418. Toutes ces femmes africaines-américaines ont été tuées par des officiers de police.

Les femmes africaines-américaines font face à des brutalités policières plus que les femmes blanches américaines. Les statistiques de l’

USA Today

indiquent qu’une Africaine-Américaine (née en 2001) sur 18 va finir par se faire contrôler par la police et être enfermée en prison. Le ratio d’arrestation correspond à une femme sur 111 chez les Blanches



417 Jil Nelson, Police Brutality: An Anthology, New York, W.W. Norton & Company, 2001, 6.

418 Miranda Lindsey, « Five Black Women You Didn’t Know Were Killed By the Police », Odyssey, 29 juillet 2015, [en ligne], consulté le 7 décembre 2017.

Américaines419. L’analyse genrée montre que les hommes et les femmes de la communauté africaine-américaine sont les plus exposés aux brutalités policières et subissent donc le plus de préjudice.

Si on examine le nombre de contrôles d’identité dans la ville où a été abattu Diallo, on note que sur les 12 404 New-yorkais contrôlés en 2016 par la police, 6 498 sont des Africains-Américains, ce qui représente 52%. Les Latino-Américains viennent en deuxième position avec plus de 3 626 personnes contrôlées (29%). Les Blancs Américains représentent 10% de l’ensemble des contrôles d’identité avec 1 270 individus420. Les contrôles policiers sont effectués principalement dans les quartiers difficiles où vivent les Africains-Américains et les Latino-Américains. Cela ne fait qu’augmenter les tensions raciales entre la police et les membres des communautés minoritaires. Les déclarations du président Clinton après l’acquittement des quatre policiers accusés de l’assassinat de Diallo montrent à quel point il est difficile pour un Africain-Américain de vivre dans la ségrégation résidentielle.

We’ve had all the turmoil in New York City over this Diallo case. And I don’t wantʊas I said before, I don’t pretend for a moment to second-guess the jury. I didn’t sit there and listen to the evidence. But I know most people in America of all races believe that if it had been a young white man in a young, all-white neighborhood, it probably wouldn’t have happened421.

Après avoir donné un aperçu sur l’affaire Diallo et une définition de la violence policière étatsunienne, il nous faut à présent examiner la polémique provoquée par la chanson de Springsteen et voir comment elle a été rapportée par les médias américains.