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L’adolescent délinquant et l’après-coup du stade du miroir

CO NSTI TUTION DU S UJET

3.2 L’adolescent délinquant et l’après-coup du stade du miroir

L’adolescence étant une reprise des premiers processus identificatoires ainsi que le moment de l’insertion sociale, c’est dans cet après-coup que l’identification spéculaire bascule. Il faut construire une nouvelle image de ce nouveau corps, dans laquelle le sujet puisse s’y reconnaître à travers le regard de l’autre. Alors il sera possible de savoir si la première identification était porteuse de la possibilité pour l’enfant d’advenir en tant que sujet.

Selon Pennot126, la crise adolescente s’accompagne d’une entrée en crise des figures de référence intrapsychiques, les imagos parentales. Un tel processus entraîne la déstabilisation des figures idéales, incarnées par les parents de la réalité ou leurs substituts ayant soutenu la référence imaginaire à l’enfant. Ainsi, la crise adolescente – avant de se situer par rapport à l’entrée en crise du référant symbolique paternel – se pose sur sa consistance imaginaire ; autrement dit, sur la valeur que l’adolescent peut donner à la figure paternelle construite lors du stade du miroir.

L’adolescence est le moment d’un travail de rapport intense, nécessaire mais assurément contradictoire entre les processus identificatoires imaginaires constitutifs du Moi apportés par les modèles du Moi idéal et l’émergence du sujet du désir propre, dont les possibilités relèvent de l’Idéal du moi. Les racines de cette dernière instance se sont instituées au cours des premières perceptions acquises par l’enfant au stade du miroir et de la puissance parentale. La question qui se pose à présent est celle de la possibilité donnée à ce premier temps de l’identification spéculaire de devenir le sujet de son désir.

Les modifications corporelles, et l’émergence de la sexualité en particulier, interrogent l’adolescent sur la possibilité de se soutenir comme sujet et de s’approprier une image du corps transformée et désormais sexuée. La Mère primordiale, qui a donné la place

126 PENNOT, B. La passion du sujet freudien : entre pulsionnalité et signifiance. Toulouse: Érès, 2000, pp.

64-65.

possible à des incarnations de l’Autre, est à nouveau questionnée. Alors que l’être de l’enfant a été soutenu par le regard et la voix de la Mère au moment de l’identification spéculaire, l’adolescence va être l’après-coup qui révèle les possibilités acquises pendant ce premier moment spéculaire.

Rassial127 observe que le travail de l’adolescent consiste à s’approprier, incorporer et surtout symboliser le regard et la voix de la Mère. Si l’Autre du nourrisson est en rapport à la Mère et l’Autre de l’Œdipe aux parents, l’Autre de l’adolescent est imaginairement lié à l’Autre sexe. C’est à travers la symbolisation nécessaire de ces objets, le regard et la voix en tant que non figurables, que l’expérience du miroir se réactualise et s’éprouve.

Tant que la consistance parentale imaginaire vacille en même temps que les avatars de l’image du corps à l’adolescence, l’identification spéculaire doit être reformulée à partir d’une nouvelle position, dans laquelle l’Autre et l’objet possèdent une autre valeur psychique. Le corps n’est plus le même que celui de l’enfance, son statut est autre, en raison surtout de la mise au premier plan de la génitalité à l’adolescence. La structuration de l’image du corps qui a eu lieu à l’enfance se réactualise au moment de l’adolescence, et les castrations montrent leurs effets en dehors de l’environnement familial, c’est-à-dire des parents qui ont dû les soutenir.

L’adolescent doit sortir du soutien de l’Autre pour se construire dans son statut de sujet sexué, et ce à partir du signifiant qui rend compte de la différence des sexes, le signifiant phallique. Les enjeux du regard de la Mère primordiale porté sur l’enfant ainsi que les paroles prononcées lors du stade du miroir seront au centre de la constitution de la sexuation à l’adolescence. À défaut, le corps capté par le regard de sa Mère peut prendre la valeur imaginaire du représentant phallique, tant chez le garçon que chez la fille. Le corps, pris dans le regard de la Mère, serait le phallus, le représentant de cette possession.

127 RASSIAL, J.-J. L’adolescent et le psychanalyste.Op. cit., , p. 27.

L’objet phallique imaginaire s’articule dans le rapport mère-enfant du stade du miroir.

Pour exister, l’enfant doit sortir de la soumission au désir de l’Autre maternel, et donc se rendre compte qu’il n’est pas capable de la satisfaire. Quant à la mère, il lui revient de montrer qu’elle désire ailleurs. Alors, l’enfant trouve dans l’environnement l’existence d’un objet, le père phallicisé imaginaire, celui qui a le phallus et qui est donc capable de satisfaire la mère. Le phallus devient le représentant de la marque de la différence sexuelle dans le corps et le sujet se construit à présent autour de l’avoir. Le monde se sépare entre ceux qui ont le phallus et ceux qui ne l’ont pas, objet permettant au sujet de désirer et d’être désiré par l’Autre.

Ainsi que nous l’avons déjà signalé, c’est la fonction paternelle qui permet à l’enfant de sortir du désir de l’Autre maternel. La dimension paternelle rend compte du désir de la mère dans cette opération d’attribution phallique au père, lequel jouit des privilèges de la possession du phallus. Mais l’attribution phallique au père se construit par l’enfant dans l’espoir imaginaire et le rêve de l’avoir et d’en faire son usage plus tard, quand il sera grand. Ainsi, l’enfant en phase œdipienne va s’en tenir à l’espoir de la possession phallique, marqué par le désir du garçon de la possession de sa mère et du désir de la fille d’avoir un enfant du père.

L’adolescence réactualise les enjeux œdipiens et, dans ce sens, elle est la rencontre du manque nécessaire à l’organisation du désir. Le phallus s’élève à sa fonction symbolique puisqu’il n’est pas réel. Personne ne peut l’avoir car il est un lieu mythique du désir de l’Autre. Le moment est venu de savoir si la première identification spéculaire a été porteuse de la possibilité de l’enfant de se compter comme sujet de son propre désir.

Cependant, le parcours du travail adolescent de mise en place du phallus symbolique ne se fait pas sans variations. Le mouvement de refus de la place symbolique du phallus signale certaines formes de déviances, dont en particulier la délinquance juvénile. En effet, cette

pathologie adolescente témoigne du refus de la rencontre de ce manque, donc de l’assomption au Phallus symbolique.

L’adolescent délinquant est un sujet fixé à la fonction imaginaire du phallus. Il interroge à nouveau la Mère primordiale et la consistance imaginaire du père du stade du miroir. Il semble être quelqu’un n’ayant pas pu éprouver l’expérience d’un manque imaginaire possible au stade du miroir. Lorsqu’il part à la recherche de son autonomie, il ne rencontre que le désir de l’Autre. Le corps, pris dans le regard de la mère, devient le signe de la possession phallique. Dans la confusion d’une frontière floue entre le dedans et le dehors, chez l’adolescent délinquant, l’objet de la réalité extérieure est un objet investi qui devient aussi le représentant phallique. Entre être et avoir le phallus, le délinquant vacille.

En outre, en ce qui concerne les comportements observables relatifs à la phase spéculaire, on remarque aisément chez l’adolescent délinquant les fonctions de parade, de séduction et de despotisme, surtout dans les bandes. Une identification s’opère entre celui qui commet le délit et ceux qui l’observent, la partie de l’un se confond avec une partie de l’autre.

Au début de ce travail, nous avons souligné que dans le stade du miroir l’autre qui apparaît est à la fois moi et un autre. Le Moi est encore très vulnérable durant cette phase et l’identification, qui se fonde sur une logique d’exclusion – ou moi ou l’autre – sera sans issue sans la médiation d’un tiers. Le tiers médiateur est l’élément permettant de sortir de cette impasse. Les rapports affectifs de l’adolescent délinquant sont très souvent marqués par la non-reconnaissance de l’autre en tant qu’objet. La différence de l’autre engendre une pulsion destructrice. Elle est ressentie comme une tendance étrangère et produit des réactions d’agressivité, voire de violence.

La fonction de prestance entraînée par le regard est également observable dans des manifestations d’irritation et de colère. André, un adolescent délinquant de quinze ans en est l’illustration. Au début d’une séance, le visage pâle, il nous interroge : « - Tu n’as jamais eu envie de frapper quelqu’un qui te regarde parce que tu penses, tout simplement, qu’il faut le faire ? ». Le regard de l’autre porté sur lui semble menacer son existence, le renvoyant à la relation duelle du stade du miroir. L’incertitude d’un lieu comme sujet, antérieure à la phase de la castration symbolique, se représente dans le désir de violence, seul moyen pour provoquer une rupture. Le sujet ne rencontre pas dans l’autre un objet socialisé mais une image qui l’aliène.

Pour l’adolescent délinquant, tout se passe comme si l’expérience spéculaire pendant l’enfance n’avait pu lui assurer que c’était lui-même devant le miroir. Le discours nécessaire à cette reconnaissance de soi, non seulement en tant qu’autre mais aussi en tant que porteur d’un nom, n’a pas été énoncé ou s’est fait de manière inadaptée. Dans ce sens, ce discours inexistant ou insuffisant ne peut servir de support à l’éloignement de l’autre ou de la mère.

Le stade du miroir est un moment essentiel pour la construction subjective, et c’est aussi la condition préalable d’entrée dans le temps de l’œdipe. Les effets de ce premier moment d’identification à l’enfance se réactualisent à l’adolescence. Néanmoins, lorsqu’il y a défaillance, la limite entre le dedans et le dehors devient inconsistante.