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L’adaptation de la posture : les professionnels comme ressources

l’organisation de l’ESMS autour des parcours scolaires

3.2. Questions du cadrage

3.4.4. L’adaptation de la posture : les professionnels comme ressources

Il apparaît dans la littérature plusieurs éléments qui concernent l’impact qu’ont les professionnels sur la scolarité des enfants qu’ils accompagnent, en protection de l’enfance, à travers leurs propres repré-sentations, leurs attentes et in fine leurs postures vis-à-vis de la scolarité.

En effet, dans les dispositifs de l’aide sociale à l’enfance, il semble que les professionnels ou sup-pléants de l’autorité parentale investissent peu, voire pas d’ambition scolaire pour les enfants (42, 62, 68).

C’est encore plus vrai pour les enfants « déplacés » avec de nombreuses ruptures de parcours : les professionnels « n’investissent pas l’enfant d’attentes scolaires dans la mesure où la situation n’offre aucun gage de continuité », ce qui induit pour le jeune un « déficit d’encouragements durables » (42, 62, 68, 69).

Or, le soutien et l’encouragement de l’enfant dans sa scolarité de la part d’une figure d’autorité avec laquelle il a pu construire une relation de confiance et d’attachement apparaissent comme un facteur fort de protection de la scolarité (60) et de résilience pour l’enfant (49). Avoir une relation constante et de confiance avec un adulte en dehors du système de protection de l’enfance, qui s’engage à ses côtés, améliore l’expérience scolaire de l’enfant. Ce soutien se manifeste par la fiabilité de l’adulte, le respect dont il fait preuve à l’égard du jeune, sa capacité à le soutenir, le temps d’écoute qu’il lui consacre, l’aide pratique qu’il peut lui apporter et le fait d’avoir une vision globale de la vie du jeune plutôt que de se focaliser sur ses problèmes (49).

3.4.4.1. En établissement collectif de protection de l’enfance

B. Denecheau et C. Blaya se sont intéressés à cette question en établissement collectif de protection de l’enfance dans un article qui compare les approches de la scolarité en France et en Angleterre du point de vue des professionnels (62). Ils se sont appuyés sur une étude par entretiens semi-directifs auprès de 60 professionnels (éducateurs spécialisés, éducateurs scolaires, travailleurs sociaux, psy-chologues, enseignants), dans 8 établissements (MECS et residential units), dont les résultats ont ensuite été croisés avec les dossiers administratifs des enfants.

Principaux résultats :

dans les deux pays, les parcours scolaires sont décrits par les professionnels comme « chao-tiques, difficiles, douloureux, presque tous en échec scolaire » ;

pris dans leurs tâches quotidiennes (dont la scolarité n’est pas considérée comme un élément à part entière), ils ont ainsi peu de recul sur leurs pratiques à ce sujet et ont une vision en général négative de l’avenir pour les jeunes placés ;

pour ces professionnels, les causes des difficultés scolaires sont de trois ordres :

• les traumatismes causés par les membres de la famille, considérés comme étant davantage du ressort des psychologues et qui mettent les éducateurs en difficulté,

• le manque de soutien de valorisation de la scolarité par les parents (phénomène plus global de démission parentale sur cette question),

• le manque de motivation ou d’implication du jeune dans sa scolarité, ou même son manque de compétences ou de capacités ;

considérant que ces derniers sont trop en souffrance ou manquent de capacités, les profes-sionnels ont des attentes faibles vis-à-vis de la scolarité et de l’avenir des enfants. Cette faible exigence est définie comme une vision « réaliste » de leur part sur le parcours des jeunes, ils considèrent que l’important réside plus dans l’apprentissage de l’autonomie que dans l’obten-tion d’un diplôme ;

leur propre opinion quant au système scolaire est globalement négative : ils le perçoivent comme inégalitaire. Leur propre parcours et leur rapport à la scolarité jouent souvent sur cette opinion ;

les professionnels estiment avoir peu d’emprise sur cette question et sur les causes d’échec scolaire des enfants.

Finalement, l’opinion négative et le manque d’attentes des professionnels quant à la scolarité des jeunes engendrent un manque d’intérêt de ces derniers pour l’école et augmentent leur risque de dé-crochage. En ayant des attentes réduites, les éducateurs participent, malgré eux, à la reproduction de la marginalisation scolaire des enfants placés. Leur posture peut ainsi impacter implicitement mais très nettement le parcours scolaire des enfants qu’ils accompagnent.

D’après l’expérience d’autres pays qui incluent les aspects scolaires dans la formation des profession-nels, comme au Danemark, on observe que le climat au sein de l’établissement peut au contraire être positif et soutenant sur les questions de scolarité, avec un engagement et un soutien plus forts des professionnels sur cette question. La scolarité des enfants gagnerait ainsi à être abordée dans la for-mation des professionnels, et portée collectivement, pour favoriser la réussite scolaire.

3.4.4.2. En accueil familial

Les représentations, attentes et postures de la famille d’accueil quant à la scolarité de l’enfant semblent aussi influencer le parcours et la réussite scolaire de celui-ci.

Comme vu pour la thématique précédente qui s’intéressait au rôle des parents dans la scolarité de l’enfant, de nombreux chercheurs ont montré que la famille est un outil de reproduction sociale. En effet, les différentes recherches, depuis la fin des années 1990, montrent que la réussite scolaire est fortement liée aux aspirations scolaires ou professionnelles des parents pour leurs enfants (47), mais aussi à certaines pratiques parentales qui privilégient l’encouragement, l’encadrement, le soutien et l’intérêt porté à la scolarité (48). Or, pour les jeunes placés en famille d’accueil, ce processus de re-production sociale est freiné, voire interrompu, du fait de l’éloignement de leur milieu familial d’origine pour être confié à un nouveau milieu familial.

Une étude longitudinale menée en Suède à partir des données concernant 2 167 jeunes accueillis en famille d’accueil (70) indique que le niveau scolaire atteint par les parents d’accueil n’aurait que peu d’influence sur les résultats scolaires de l’enfant accueilli.

En revanche, d’autres facteurs semblent jouer, à commencer par l’âge de l’enfant au moment du pla-cement par exemple. Dans ses travaux de thèse1 (44), analysés dans la première thématique de cet argumentaire, Alice Anton-Philippon montre que globalement pour les jeunes confiés avant l’âge de 10 ans, la famille d’accueil devient le principal agent de socialisation ; l’enfant développe alors des normes et valeurs conformes à celles de cette famille d’accueil. Pour les autres jeunes confiés après l’âge de 10 ans, la famille d’accueil ou l’éducateur peuvent jouer le rôle d’agent de socialisation secon-daire, venant compléter les normes et valeurs véhiculées par la famille d’origine (voir la thématique précédente pour plus de détail : « Impliquer les parents dans la scolarité de leur enfant pris en charge par la protection de l’enfance, Le regard soutenant d’une figure stable et sécurisante pour l’enfant est un facteur de protection de réussite scolaire »).

Lorsque l’enfant peut tisser des liens sécurisants avec une figure stable, appelée « tuteur de rési-lience », dans le cadre du placement en famille d’accueil (impliquant un accueil familial stable et idéa-lement précoce), alors le regard que porte ce tuteur sur la scolarité et le potentiel scolaire de l’enfant influence sa trajectoire scolaire. Un regard bienveillant et favorable au potentiel de réussite scolaire de l’enfant est un facteur de réussite scolaire.

Ces éléments sont confirmés par plusieurs études dont une étude qualitative menée en 2017 en Nor-vège (71) par des entretiens semi-directifs auprès de 16 jeunes poursuivant ou ayant poursuivi des études secondaires et 13 membres de familles d’accueil. L’ensemble des jeunes étaient accueillis au sein de la famille d’accueil depuis au moins trois ans ; plus de la moitié avaient été placés avant l’âge de 10 ans, l’autre moitié entre 10 et 16 ans. Leurs parcours et les traumatismes vécus par ces jeunes étaient représentatifs des divers parcours observés en protection de l’enfance.

En plus de facteurs liés aux motivations et compétences personnelles de chaque jeune, l’étude a per-mis d’identifier plusieurs facteurs liés à la famille d’accueil elle-même, déterminants pour la réussite scolaire :

1 Dans le cadre de ses travaux, Alice Anton-Philippon a réalisé trente entretiens semi-directifs auprès de jeunes confiés ou anciennement confiés à des familles d’accueil ayant obtenu au minimum le niveau baccalauréat et réalisé dix entre-tiens auprès de familles ayant accueilli des enfants confiés ayant obtenu au minimum le niveau baccalauréat.

le sentiment d’appartenance à la famille d’accueil pour l’enfant : l’enfant peut créer un lien sé-curisant avec la famille d’accueil, il est considéré comme les propres enfants des parents d’ac-cueil, et il reçoit du soutien et de la compréhension, de l’amour et ressent leur intérêt réel pour son avenir. Ce facteur semble être le facteur de protection le plus important pour permettre à l’enfant de développer une résilience malgré les traumatismes qu’il a pu connaître. Cela est qualifié de fortes compétences parentales (parenting plus) : compréhension, respect, amour, intérêt et encouragement, lorsque les parents d’accueil savent l’exprimer au jeune ;

la transmission de valeurs fortes portées par cette famille d’accueil autour de l’importance de la scolarité : l’importance d’aller à l’école assidûment, de faire de son mieux et de travailler pour réaliser les objectifs que l’on se fixe (même si les résultats obtenus ne sont pas bons), et de considérer l’école comme une priorité dans le quotidien du jeune, « vitale » pour la construction de son avenir. Lorsque les parents observent des capacités malgré des notes médiocres, ils lui permettent de se rendre compte de ses capacités. L’attitude encourageante des parents d’ac-cueil est aussi importante que la communication explicite pour transmettre ces valeurs. Les parents d’accueil peuvent ainsi convaincre le jeune qu’il pourrait faire ce qu’il veut, mais que cela requiert des efforts et du travail ;

un cadre et une routine quotidienne en faveur de la scolarité : des relations sereines dans son environnement, un emploi du temps prévisible, un soutien et une routine quotidienne autour des devoirs scolaires, systématiques et prioritaires sur les activités de loisirs. Il apparaît égale-ment qu’au-delà des devoirs, une routine de soutien et de sérénité au sein de la famille joue : par exemple, le partage des repas avec les parents d’accueil comme temps d’échange autour des préoccupations ou des réussites favorise ce cadre quotidien rassurant.

Dans ce cadre, il apparaît par ailleurs utile de former les familles d’accueil à l’importance de l’appren-tissage à la maison (60).

3.4.4.3. Dans le champ du handicap

La littérature est là aussi moins développée dans le champ du handicap, concernant l’impact de la posture des professionnels vis-à-vis de la scolarité de l’enfant. Néanmoins, les études menées (17) permettent de proposer quelques préconisations qui rejoignent globalement celles du champ de la protection de l’enfance : les adultes qui entourent l’enfant au quotidien jouent bien sûr un rôle important dans la scolarité de celui-ci. L’impact sera positif si :

les professionnels sont dans une attitude positive vis-à-vis de l’enfant ;

ils sont convaincus que la participation de l’enfant est un facteur important pour une meilleure implication scolaire ;

ils coopèrent entre eux ;

ils sont bien formés et compétents pour proposer des rôles sociaux et des possibilités de parti-cipation à l’enfant.

Il s’agit donc de renforcer ces compétences. La littérature souligne également la nécessité de former les enseignants sur cette question d’implication de l’enfant comme facteur de protection de sa scolarité.

Globalement, en protection de l’enfance, en établissement comme en famille d’accueil, ainsi qu’auprès d’enfants en situation de handicap, les représentations des professionnels sur la scolarité et le potentiel de l’enfant influencent leurs attentes et leur posture, et in fine le parcours scolaire de l’enfant.

Si les représentations figurent parmi les éléments qui influencent le plus les pratiques professionnelles, elles sont également très difficiles à faire évoluer. L’un des axes est donc de travailler sur la prise de conscience de l’influence des représentations et du regard porté sur l’enfant et sa scolarité, pour pou-voir ensuite adopter une posture favorable qui sera un facteur de réussite fort pour l’enfant.

3.4.5. La mise en place de programmes ou de ressources spécifiques de

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