• Aucun résultat trouvé

L’accueil des conteurs professionnels en médiathèque

Les bibliothèques sollicitent de temps à autre des conteurs professionnels pour animer une séance de contes : ils peuvent être rémunérés directement ou par l’intermédiaire d’une association, ou encore intervenir de manière bénévole. La fréquence de ces prestations « clés en mains » varie beaucoup : certaines bibliothèques font appel à des conteurs une fois par mois373, d’autres une fois par an. Ces prestations peuvent se dérouler à une période particulière de l’année, par

370 Cécile Benoist, op. cit., p. 153. L’auteur n’indique malheureusement pas le nom de la

bibliothèque en question.

371 Cécile Benoist, op. cit., p. 154.

372 Agence Quand les livres relient, Quand les livres relient, Toulouse, Erès, 2012.

373 Par exemple la médiathèque municipale de Bassens (33), qui a une programmation très

Comment valoriser un fonds de littérature orale en bibliothèque ?

DRIANT Pénélope | DCB | Mémoire d’études | janvier 2014 - 85 -

exemple au moment des fêtes, ou s’inscrire dans des manifestations thématiques donnant lieu à d’autres types d’animations dans la bibliothèque, par exemple le mois de l’Afrique. Ces séances peuvent être organisées par la bibliothèque mais se tenir hors les murs : dans une école, une crèche, une maison de retraite, une salle communale, une MJC… Certaines bibliothèques ont fait le choix de faire systématiquement appel à des conteurs professionnels pour toutes leurs séances de conte, les bibliothécaires ne contant jamais eux-mêmes : c’est le cas de la médiathèque de Noisy-le-Grand, qui programme différents types de spectacles, pour les tout-petits, pour les familles, et plus rarement pour les adultes, en soirée.

Pour les bibliothèques, l’intervention d’un conteur professionnel garantit la qualité artistique de la séance. Comme le rappelle un document rédigé par l’ancienne Association Nationale des Conteurs d’En France (ANCEF), intitulé Conte et bibliothèque, « le travail du conteur demande des années, passe par toute les étapes de la recherche : collecte, lecture de recueils, constitution d’un répertoire, puis exploration, expérimentation, mûrissement, recherche de sens par rapport à la vie de maintenant ; travail théorique aussi, sur diverses portes d’entrée dans le conte374 », or les bibliothécaires n’ont généralement pas le temps d’effectuer un travail de cette ampleur. Les conteurs y trouvent quant à eux de nombreux bénéfices : outre la rémunération de leur prestation, ils peuvent rencontrer un nouveau type de public, plus restreint et avec lequel ils entrent en contact beaucoup plus facilement que dans une salle de spectacle : les bibliothèques sont « un lieu intime et privilégié pour une rencontre optimale avec les lecteurs-auditeurs375 ». Elles sont aussi un bon endroit pour permettre aux conteurs débutants de « se tester, s’exercer376 ». Les conteurs apprécient enfin la « nourriture » documentaire offerte par ces « lieux de ressources377 », mise en parallèle avec leur racontée, et à disposition du public à cette occasion.

Même si ces interventions font souvent l’objet de plusieurs partenariats locaux (MJC, structures de la petite enfance, mairies, conseils généraux, DRAC, centres régionaux du livre…), notamment du point de vue du financement, les bibliothèques ont toujours la responsabilité artistique de choisir le conteur programmé. Certains conteurs démarchent eux-mêmes les bibliothèques en leur envoyant un press-book ou des invitations pour un spectacle. Mais les bibliothécaires n’ont jamais la possibilité de faire une recherche approfondie de manière autonome, en assistant à de multiples spectacles. Pour pallier ce problème, la bibliothèque L’Heure joyeuse avait mis au point un système original : des conteurs venaient présenter gratuitement leur nouveau spectacle devant un public de scolaires dans l’auditorium de la bibliothèque, et tous les responsables des sections jeunesse du réseau de la ville de Paris étaient conviés à la représentation, ce qui facilitait leur repérage pour leur propre programmation378. Pour trouver des conteurs à programmer, les personnels peuvent aussi chercher des conseils de manière informelle auprès des bibliothèques connues pour leur spécialisation : « la médiathèque a acquis par son travail une certaine notoriété dans le département, de sorte que de nombreuses personnes ou structures désireuses d’organiser une manifestation autour du conte nous contactent pour avoir des idées ou des noms de

374 www.apple-paille.com/contepourenfants/fichecontebib.pdf (consulté le 17 juillet 2013). 375 Ibid.

376 Extrait d’entretien avec Lise Durousseau.

377 www.apple-paille.com/contepourenfants/fichecontebib.pdf (consulté le 17 juillet 2013). 378 La nouvelle directrice de L’Heure joyeuse espère pouvoir continuer cette formule.

DRIANT Pénélope | DCB | Mémoire d’études | janvier 2014 - 86 -

conteurs379 ». Nous avons évoqué plus haut le répertoire de conteurs établi par la médiathèque départementale de Seine-Maritime : ce document a aussi pour vocation d’aider les bibliothécaires du réseau à faire leurs choix de programmation, car il renseigne sur le type de répertoire de chaque conteur et le public auquel il s’adresse. La responsable du fonds de littérature orale du Centre de Ressources, de Documentation et d’Information de la médiathèque aimerait aussi établir un partenariat avec l’Agence régionale du livre de Normandie, pour mettre au point une liste de conteurs à l’échelle de la région, sur le même modèle que la « charte des auteurs » éditée par l’agence. Une autre difficulté déjà soulevée par l’ancienne ANCEF dans son document est celui des appels d’offre : « de plus en plus, pour les interventions et les spectacles, les bibliothécaires sont contraints de lancer des appels d’offre, avec tout le système de mise en concurrence des tarifs. La parole du conteur devient-elle une marchandise380 ? »

Les bibliothèques recherchent des conteurs professionnels pour la richesse de leur répertoire, souvent étendu à des contes de natures multiples (contes merveilleux, comptines, randonnées…), à d’autres genres de la littérature orale, et à différentes aires géographiques et culturelles. La variété des répertoires des professionnels permet donc aux bibliothécaires d’effectuer des demandes précises, afin de relier la séance de conte à une manifestation culturelle plus large, ou à la mise en valeur de documents sur une thématique donnée. Mais la diversité de ces demandes peut susciter de vives réactions parmi les conteurs. Lors du colloque organisé en 1989 sur le Renouveau du conte, ce phénomène suscitait déjà des interrogations : « on demande maintenant au conteur d’être totalement universel, de pouvoir répondre à toutes les demandes, dans toutes les circonstances, dans tous les lieux, sur les thèmes les plus variés. N’y aurait-il pas moyen de faire savoir qu’un conteur n’est pas un robot381 ? ». A cette intervention, Bruno de La Salle avait ainsi réagi : « peut-être avons-nous le tort d’accepter n’importe quelle proposition. Il serait temps peut-être de se définir382 ». De semblables interrogations ont été soulevées lors des Rencontres de septembre 2004 organisées par le CMLO sur « Le patrimoine, la transmission et les enjeux contemporains de la littérature orale » :

Je voulais simplement mentionner des choses […] sur la question de la pratique artistique et à un moment donné les sollicitations diverses des institutions, que ce soient les écoles, les collèges, les bibliothèques qui arrivent avec des demandes de produits, « est-ce que vous pouvez me faire un truc sur Noël, mais Noël du monde, pas l’Afrique mais… », où on se dit, « mais attends, ce n’est pas du tout ce que je fais, ce n’est pas du tout mon travail. En même temps, il faudrait quand même qu’on arrive à finir la fin de mois », et se dire, comment est-ce que les conteurs à un moment donné pourraient se mettre en réseau pour qu’il y ait quelque chose qui se passe et qu’on puisse proposer quelque chose de beau et pas bâclé à ces institutions- là. Aujourd’hui, pour moi qui ne conte pas beaucoup, c’est juste un truc qui me

379 Extrait d’entretien avec Hélène Touzel-Paillard. 380

www.apple-paille.com/contepourenfants/fichecontebib.pdf (consulté le 17 juillet 2013).

381 Intervention de Simone Lalmant à la suite de Bruno de La Salle, « Tentative de définition du

répertoire idéal d'un conteur contemporain par rapport à son répertoire existant », dans Geneviève Calame-Griaule (dir.), op. cit., p. 151.

382

Comment valoriser un fonds de littérature orale en bibliothèque ?

DRIANT Pénélope | DCB | Mémoire d’études | janvier 2014 - 87 -

branche, comment est-ce que je peux répondre à ces gens-là […] en disant, « il y a cette personne-là qui fait ce travail-là, qui essaye de le faire le mieux possible383 ? »

On voit à quel point la notion de réseau est tout aussi capitale pour les conteurs que pour les bibliothécaires dans la programmation de ces séances de conte. Et il faut souligner la nécessité absolue pour ces institutions de savoir comment un conteur travaille, de connaître le temps que suppose le travail de recherche sur les sources et l’appropriation d’un récit : pour garantir une séance réussie, il faut indiquer suffisamment tôt au conteur le thème de la commande, lui dire précisément ce que l’on attend de sa prestation ou si, à l’inverse, on le laisse totalement libre. Il faut aussi lui donner des informations précises sur le public qui assistera à sa racontée, et sur les conditions matérielles de la séance. Citons l’intervention du conteur Mohamed Adi au cours des mêmes Rencontres de septembre du CMLO :

La BDP m’a demandé, suite à une audition faite du côté d’Arles, de jouer, dans le cadre de « Lire en fête », sur 18 bibliothèques du département des Bouches-du- Rhône. Dans le contrat que nous avons établi, il y avait un repérage à faire sur les différentes bibliothèques pour spécifier un peu plus la demande, voir les décors, les éclairages, préparer la venue ; [...] je me suis rendu compte que le repérage, c’était 50% de problèmes en moins par rapport à notre venue et que, effectivement, le fait de faire ce travail de repérage me permettait d’arriver plus sereinement et déjà de travailler quelques temps en avance sur ces interventions384.