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Les enjeux d’un festival à l’échelle du territoire départemental en zone rurale

Dans la synthèse de l’enquête menée par Marie-Claude Julié et dans la majorité des dossiers de presse et des programmes que nous avons consultés, il apparaît que les deux enjeux principaux de ces festivals de conte organisés par les BDP sont d’une part de fédérer les bibliothèques du réseau autour d’un événement fort et d’un projet mené en commun397, et d’autre part d’instaurer une politique

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http://biblio.manche.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=1010:histoires-den- decoudre-11-g-19-octobre-2013&catid=22:agenda&Itemid=105 (consulté le 14 août 2013).

395 Le programme n’est plus disponible sur le site de la médiathèque, mais on peut retrouver sa

présentation à l’adresse suivante : http://www.ladepeche.fr/article/2013/02/03/1551676-caussade- trois-veillees-en-quercy-caussadais.html (consulté le 14 décembre 2013).

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http://www.lr2l.fr/agenda/contes-en-balade-2012.html (consulté le 12 août 2013).

397 Pour le Conseil général des Alpes-Maritimes, « le festival est né de l’idée de tendre une toile

Comment valoriser un fonds de littérature orale en bibliothèque ?

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culturelle durable à l’échelle du territoire : pour la BDP d'Indre-et-Loire, « grâce à ce festival, les bibliothèques peuvent affirmer leur rôle, souvent mal appréhendé, d’acteur culturel municipal398 ». Il s’agit de montrer les bibliothèques du réseau sous un nouvel angle, et « d’accompagner l’évolution des métiers de la lecture publique, vers un dépassement de la simple fonction “livre”, par l’animation399 ». Le but poursuivi est « que les bibliothécaires apprennent comment organiser un spectacle, qu’elles prennent conscience que cela fait partie du métier400 ». Pour les petites communes, les festivals de conte représentent une occasion unique d’accueillir un spectacle professionnel de qualité, qu’elles n’auraient pas eu les capacités financières ni techniques de programmer sans le soutien de la BDP. Or dans de nombreuses zones rurales, les bibliothèques constituent le seul médiateur culturel à disposition des habitants. En 2002, le Centre Régional du Livre en Limousin signalait que pour certaines personnes, le spectacle du festival « Coquelicontes » programmé dans leur commune constituait « le seul spectacle culturel de l’année401 ». L’enquête menée en 2011 sur les publics du festival de conte du Territoire-de-Belfort révèle que 35% des publics n’ont aucune autre pratique culturelle dans l’année. Et le conte permet de faire apprécier les textes à des publics parfois très éloignés de la lecture : « Dans ces moments, […] on touche un public qui ne lit pas ou qui lit des choses très fonctionnelles. Par l’intermédiaire du récit oral, l’envie est donnée d’accéder au texte, dont on n’imagine souvent pas l’émotion qu’il peut receler402 » ; « la rencontre avec le conteur, son récit […] permet au plus grand nombre d’aborder la littérature et donc la lecture403 ».

La notion de spectacles « tout public » est donc primordiale dans ces festivals. Elle est sans cesse présente dans les dossiers de presse ou dans les introductions des programmes : « le conte s’adresse à tous, petits et grands, hommes et femmes, de nulle part et de partout404 », « les contes s’adressent à chacun : à l’enfant qui a besoin d’apprendre à lire et à parler, à l’adolescent qui cherche ses marques, aux parents et grands-parents qui voient là un moyen de transmettre leurs valeurs, à ceux qui réfléchissent comme à ceux qui ont besoin de se distraire405 »… La majorité des spectacles programmés portent donc la mention « tout public à partir de… ». Certains sont plus ciblés : ceux programmés par la BDP du Pas-de-Calais s’adressent aux « adultes et adolescents à partir de… », à un « public familial à partir de… », ou bien au « jeune public à partir de… ». D’autres festivals affichent la volonté de faire redécouvrir l’univers du conte à un public d’adultes. Dans une interview publiée dans la revue La Parole, les organisateurs

habitants/loisirs/mediatheque-departementale/les-manifestations/les-manifestations/ (consulté le 12 août 2013).

398 Dossier de presse de l’édition 2012 de « Conteurs en Touraine » : http://www.cg37.fr/fileadmin/pdf/presse/Dossier-presse-A5_4.pdf (consulté le 12 novembre 2013).

399 Emmanuel Négrier, Félix Dupin-Meynard, op. cit., p. 10.

400 Extrait d’entretien avec Emmanuelle Herry, cité par Emmanuel Négrier et Félix Dupin-

Meynard, op. cit., p. 11.

401 ADBDP, op.cit.

402 Ibid. (intervention de Marie-Pascal Bonnal suite à l’exposé de Muriel Bloch « Contes et

conteurs »).

403 Dossier de presse de l’édition 2012 de « Conteurs en Touraine », op. cit. 404 Ibid.

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des « Soirées Contées en Lot-et-Garonne » évoquent avec fierté le « grand succès » que le festival a rencontré « auprès d’un public très majoritairement composé d’adultes », ce qui « est satisfaisant pour les organisateurs qui souhaitent faire découvrir aux adultes que le conte leur est destiné, et pour les conteurs qui peuvent jouer sur un registre plus large406 ». De nombreuses introductions de programme insistent donc sur ce point : « on a coutume de croire que les contes sont des “histoires pour les enfants” ; on oublie que de tout temps, les “contes populaires”, les légendes et les mythes s’adressaient aux adultes407 ».

S’adressant à tous, le conte est un art qui rassemble : les notions d’échange et de partage au sein d’une même communauté d’écoute reviennent souvent dans les plaquettes de présentation. Pour la BDP du Tarn-et-Garonne, « le festival renoue avec la chaleur des veillées d’antan408 » ; ce sentiment de convivialité et de chaleur est largement présent dans les commentaires recueillis lors de l’enquête menée auprès des publics du festival du Territoire-de-Belfort en 2011 : « je trouve ça plus convivial que le théâtre […] (F, 34 ans, secrétaire) », « ce que j’aime dans le conte, c’est la convivialité et l’imaginaire, […] c’est une manière de renouer avec de très vieilles traditions, avant ça se faisait autour du feu, ou dans les cuisines en campagne ; on se sent au chaud avec un conte (F, 74 ans, retraitée)409 ». La dimension interactive du spectacle, la proximité du conteur avec son public expliquent aussi ce sentiment de convivialité. Dans le cas de spectacles programmés dans les salles polyvalentes des petites communes, lieux qui n’ont donc pas de vocation proprement culturelle, on peut aussi évoquer « l’opportunité de créer un nouveau rapport au spectacle vivant, plus informel, moins “écrasant”, “dédramatisé”, ce qui permettrait, à long terme, une plus grande diversification des publics410 ».

Une autre vertu du conte affichée de manière récurrente par les différents programmes de ces festivals est celle de l’ouverture aux autres cultures. En 2002, la BDP de la Manche indiquait dans le questionnaire envoyé par Marie-Claude Julié vouloir « favoriser l’accès du public à des univers culturels différents, dans un esprit d’ouverture aux autres, lui permettre de faire le lien entre les traditions locales et les coutumes d’autres régions ou d’autres pays, [et] ouvrir la réflexion sur les coutumes diverses et la richesse des différences humaines411 ». D’autres BDP insistaient elles aussi sur cette dimension : « le conte n’est pas seulement un patrimoine culturel qui mérite d’être transmis, c’est aussi l’ouverture à toutes les cultures, la diversité et la richesse dans la différence, l’universalité », car il « invite à voir ce qui rapproche les hommes au-delà des frontières, des mœurs, de la couleur de peau », tout en montrant « l’autre dans sa richesse et sa diversité412 ». Ces notions d’ouverture et de découverte sont toujours très présentes dans les programmes actuels. L’édition 2013 du festival « Coup de contes en Côte-d’Or » était d’ailleurs entièrement consacrée au thème du voyage, présentant « la richesse

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« Soirées contées en Lot-et-Garonne », La Parole, n°27, 15 septembre-15 décembre 2001.

407 Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt, op.cit. 408

Le programme n’est plus disponible sur le site de la médiathèque, mais on peut retrouver sa présentation à l’adresse suivante : http://www.ladepeche.fr/article/2013/02/03/1551676-caussade- trois-veillees-en-quercy-caussadais.html (consulté le 14 décembre 2013).

409 Emmanuel Négrier, Félix Dupin-Meynard, op. cit., p. 76. 410

Emmanuel Négrier, Félix Dupin-Meynard, op. cit., p. 42.

411 ADBDP, op.cit. 412

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de l’oralité » comme un remède au « repli sur soi413 ». Le site de la BDP de la Corrèze qualifie les contes « d’extraordinaires passeports pour mieux comprendre et apprécier les cultures du monde414 ». Cet élément est loin d’être un simple « argument de vente », il est là encore présent dans les commentaires recueillis lors l’enquête menée dans le Territoire-de-Belfort : « c’est scotchant, ça apprend sur les autres pays, ça nous fait voyager, tout en restant sur une chaise, on est pris dedans, ça nous fait énormément rêver […] (F, 43, femme de ménage)415 ».

Dans son analyse des champs sémantiques présents dans les plaquettes de présentation des programmes, Marie-Claude Julié a relevé un très grand nombre de termes évoquant les sentiments provoqués par l’écoute des contes : « rêve », « évasion », « magie », « envoûtement », « émerveillement »… En regardant les programmes de ces dernières années, nous avons remarqué qu’une dimension militante était aussi souvent présente : « véritable art majeur, le conte transmet des valeurs tout en stimulant la réflexion416 » ; « le conte inspire, le conte séduit par son authenticité et constitue en cela un « produit culturel » à part entière… Une histoire au coin du feu pour les enfants ? Un propos moralisateur ? Un genre mineur ? Non ! Non ! Trois fois non417 ! ». Ces propos montrent bien que le mouvement du renouveau du conte n’a pas encore entraîné une légitimation en profondeur du conte comme l’un des arts majeurs de la famille des arts scéniques, et qu’il a encore besoin de s’affirmer comme tel.