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ANALYSE 2. Les coûts cachés de la qualité du travail professionnel : L’entretien de

3. La limitation des perspectives de carrière

3.1. L’accès à l’association

Comme nous l’avons évoqué, la possibilité pour le collaborateur de développer une clientèle est une condition déterminante pour accéder à l’association. Cet apport en clientèle est d’autant plus important dans le cas des associations qui pratiquent la « patrimonialisation de la clientèle ». Comme le montre cet extrait d’entretien de E2, il existe deux types d’association :

On ne comprend pas ce que ça veut dire « clientèle patrimonialisée »

Quand vous avez un cabinet d’avocat, la question c’est QUE VAUT le cabinet. Donc vous avez en termes d’associations des associations qui sont payantes et très chers où vous avez le droit d’être associés en payant, et on valorise le cabinet d’avocat en tenant compte du chiffre d’affaire pratiqué - ça c’est ce que les conseils ont beaucoup apporté dans la profession sur la valeur de l’actif d’un amortissement de la clientèle, avec le fait qu’il y a tout un débat théorique sur le droit d’apport de clientèle qui est un droit cessible ou incessible. Donc il y a des cabinets où l’association ne vaut RIEN et il y a des cabinets où l’association vaut avec un prix en fonction du chiffre d’affaire réalisé par le cabinet.

En termes juridiques, ça correspond à quelles structures ?

Ce n’est pas lié à la structure. Que ce soit en SCP en SELAS ou SELAFA, ça ne change rien sur la VALEUR de la part. Après ça, pour valoriser le prix, vous avez des gens qui tiennent compte de la clientèle, donc du chiffre d’affaires, et d’autres qui n’en tiennent pas compte. Après ça, ça dépend pas de la…

Ça dépend de quoi alors ?

Du chiffre d’affaires. Alors ça dépend c’est trois ans de bénéfice ou un an de chiffre d’affaires par exemple, qui sont des chiffres couramment retenus. C’est comme toutes les sociétés de service.

Vous êtes en train de dire qu’il y a deux modes de valorisation, d’évaluation, d’estimation : il y a le CA réalisé et…

Non, non, non. Ce n’est pas ce que je dis. Soit vous comptez la clientèle d’où la patrimonialisation de la clientèle, qui… après il y a différents indicateurs dont les indicateurs les plus courants sont le chiffre d’affaires ou le bénéfice.

D’accord, c’est la patrimonialisation de la clientèle

Voilà c’est la patrimonialisation de la clientèle. Et puis après vous avez des structures dans lesquelles la clientèle n’est pas patrimonialisée, sachant que le droit de cession – la clientèle n’est pas un actif cessible, mais en revanche c’est le droit de présentation de la clientèle, enfin lié à un certain nombre de choses…. et vous avez donc deux systèmes d’organisation dans la profession d’avocat.

Alors dans ce cabinet R, comme la clientèle était patrimonialisée, ça veut dire que la valeur des parts intégrait le développement du cabinet et en fait c’était une des façons de constituer un capital retraite. Parce qu’on était parti de zéro et arrivé à pas grand-chose – mais enfin quand même, ça finissait par faire

Ce que je ne comprends pas c’est quand la clientèle n’est pas patrimonialisée, comment est-ce qu’on fixe…

C’est gratuit. Donc pour moi la clientèle est gratuite. Alors par exemple quand j’ai quitté la place des Vosges où se trouve ce cabinet, je ne voulais pas signer une charte d’associés aux termes de laquelle, si on s’en allait avec la clientèle, on avait une pénalisation de 20 % pour emporter la clientèle et, si on partait avec sa clientèle, elle était valorisée en fonction du chiffre d’affaires qu’on faisait, avec une pénalité de 20% si on l’emportait, pour sécuriser la structure. Donc moi j’ai dis que la liberté était non négociable et qu’en plus juridiquement c’était nul. Donc j’ai refusé de signer, donc je suis partie.

Qu’est-ce que ça veut dire « juridiquement c’était nul » ?

Je pense que la jurisprudence est confuse, mais je pense que la cession du droit de clientèle n’est pas possible. En revanche, le droit de présentation de la clientèle, c’est très ambigu ?

A partir de cet extrait, on voit comment la clientèle est devenue, via un long travail antérieur des anciens conseils juridiques épris de calcul actuariel, un actif susceptible d’être valorisé lors de l’entrée ou de la sortie d’une association, même si la jurisprudence, comme le précise E2, est confuse. Néanmoins, sur ce point, la législation pourrait être modifiée, afin de donner la possibilité aux avocats de déterminer la valeur de leur structure d’exercice7. Ce qui constitue un bon indice de l’évolution des cabinets d’avocat vers une logique entrepreneuriale et par suite la possibilité donnée à des acteurs étrangers à la profession de prendre des parts sociales.

Cette orientation marchande se retrouve dans le mode de rémunération du collaborateur libéral. Le montant de la rétrocession d’honoraires est mis en équivalence avec le droit à la clientèle. Cette rétrocession n’est plus considérée comme un simple défraiement. Elle peut dès lors être d’une certaine manière négociée à la hausse si le collaborateur s’engage à ne pas s’approprier la clientèle du cabinet, et inversement. Comme l’avons vu plus haut, c’est l’argument utilisé pour trancher les litiges opposant les collaborateurs à leur cabinet. Une rétrocession basse doit être justifiée par le fait qu’on donne les moyens au collaborateur de développer sa clientèle. Sinon c’est le risque pour le cabinet d’une requalification en contrat de travail.

Dans les faits, au-delà des arrangements contractuels entre les parties, il y a place à des ajustements suivant les contextes. Comme nous l’avons déjà souligné, les cabinets peuvent encourager leurs collaborateurs à aller chercher le client. Il y a des normes implicites qui s’installent pour réguler les tensions. C’est ce que BC, collaborateur en droit social au cabinet GLP, évoque :

Sur la question de l’attachement à la clientèle, il y a un devoir de retrait du collaborateur. Le client et nous-même, on sait où mettre la frontière entre ce qui revient à l’associé et ce qui revient à nous- même.

Il n’en reste pas moins que les trois collaborateurs interrogés dénoncent le manque de moyens mis à leur disposition pour développer une clientèle personnelle. Par ailleurs, c’est un

7 Pour résorber cette confusion, un rapport récent du CNB (2008) sur la patrimonialité des cabinets d’avocats a

proposé de modifier la législation afin que, dans les sociétés exerçant une activité libérale, « les statuts peuvent prévoir une règle de calcul de la valorisation des droits sociaux applicable à toute cession et à toute souscription, qui fasse la loi des parties. Cette règle ne peut être adoptée et modifiée qu’à l’unanimité ». Cette liberté contractuelle n’est possible aujourd’hui que dans les SELAS à partir de clauses statutaires qui définissent la méthode de valorisation des droits sociaux.

processus très lent lorsqu’il s’agit d’une clientèle formée de grandes entreprises (voir supra E23).