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L’absence de contrôle du délai de préavis

L’inadaptation du droit commun des contrats

Section 1 : Les insuffisances du droit commun des contrats

B. L’absence de contrôle du délai de préavis

227. Les parties à un contrat de distribution peuvent stipuler un préavis pour la mise en œuvre de la clause de résiliation unilatérale d’un contrat à durée indéterminée ou pour empêcher le jeu d’une clause de renouvellement automatique. Puisque telle est leur volonté, le juge n’a pas à contrôler ce choix en principe librement exprimé. La solution du droit positif conformément à laquelle le délai de préavis est inattaquable, même dans le cas où il est devenu disproportionné par rapport à la durée du contrat, est cependant discutable (1). Un contrôle n’est envisageable que lorsque l’une des parties peut fixer unilatéralement le délai de préavis de rupture (2).

1. L’intangibilité du délai de préavis convenu 228. Certes, les parties sont les mieux placées pour déterminer le délai de préavis selon la nature de l’opération économique en question. Le principe doit dès lors être celui de l’impossibilité pour le juge de modifier la durée du préavis librement convenu. Pourtant, il peut arriver que les parties stipulent un délai de préavis et que l’exécution de la relation contractuelle s’étende sur plusieurs années. Il en va ainsi lorsque le contrat à durée indéterminée continue à être exécuté ou le contrat à durée déterminée est renouvelé à plusieurs reprises. Dans ces cas, le préavis peut devenir disproportionné par rapport à la durée globale des relations contractuelles entretenues par les contractants.

229. En guise d’illustration, dans un arrêt du 23 août 2013, la Cour de cassation colombienne a examiné le cas d’un contrat de distribution conclu le 16 septembre 1994 et renouvelé par un autre contrat le 16 mars 1998. Les parties avaient inséré une clause qui permettait la rupture du contrat moyennant un préavis d’un mois. En se prévalant de ce droit, le producteur avait donné un préavis de rupture le 8 août 2006 pour une cessation du contrat le 16 septembre486. Même si la Cour de cassation ne s’est pas prononcée expressément sur ce point, il doit être relevé qu’en réponse à la demande de réparation du préjudice de la part du distributeur en raison de l’insuffisance du délai de préavis de rupture, la Cour d’appel avait affirmé que « la cessation de l’accord moyennant un préavis d’à peine 30 jours d’anticipation était prévisible conformément

486 CSJ, chambre civile, 23 août 2013, M.R. Arturo Solarte Rodríguez, n° 47001-3103-005-2007-00285-

à la clause huitième et, par conséquent, aucun grief ne pouvait être fait à la partie qui a exercé cette faculté dans le délai et la forme stipulés dans le contrat »487. En somme, après une relation contractuelle de douze ans, un préavis de cessation de trente jours convenu dans le contrat a été considéré comme légitime dans la mesure où il faisait partie des prévisions des parties.

230. Force est ainsi de constater que pour mesurer le délai de préavis, les juges colombiens limitent leur analyse à la vérification de la stipulation contenue dans le contrat et ne prennent en considération que la durée du contrat renouvelé. Ils font donc fi de la durée totale des relations contractuelles des parties pour apprécier le caractère raisonnable ou adapté du délai de préavis convenu. Pourtant, la nature du contrat de distribution appelle une analyse différente. Concrètement, lorsque le contrat a été renouvelé à maintes reprises, le juge ne peut cantonner son appréciation au dernier contrat résultant du renouvellement, mais doit considérer la durée totale des relations contractuelles. Cependant, un contrôle judiciaire exceptionnel peut avoir lieu lorsque les parties sont demeurées silencieuses sur le délai de préavis.

2. Le contrôle exceptionnel du délai de préavis fixé par une partie

231. Un contrôle du juge n’est envisageable que lorsque les parties n’ont pas précisé le délai de préavis et qu’il revient à l’auteur de la rupture de le fixer unilatéralement au moment d’exercer son droit. Cependant, souvent, l’autre partie conteste le délai en considérant que la rupture est brutale. À cet égard, il convient de citer un arrêt du 13 mai 2014488 dans lequel la Cour de cassation colombienne a étudié un contrat qui avait pour objet la fourniture de cigarettes en vue de leur distribution. Les parties avaient stipulé une clause de prorogation automatique et la possibilité pour chacune d’elles d’empêcher sa mise en œuvre avec l’envoi d’une lettre à son partenaire. Le contrat ne précisait toutefois pas le délai dans lequel la décision de ne pas proroger le contrat pouvait être annoncée489. Or, le fournisseur a communiqué au distributeur sa volonté de ne pas continuer l’exécution du contrat le jour même de l’échéance du terme du contrat. La question s’est alors posée de savoir si, à défaut de délai spécifique de préavis, les parties pouvaient exercer ce droit à n’importe quel moment. Pour y répondre, la

487 Ibid.

488 CSJ, chambre civile, 13 mai 2014, M.R. Margarita Cabello Blanco, n° SC5851-2014.

489 La clause affirmait : « Le contrat aura une durée d’un an à partir du moment de la signature des parties

Cour de cassation a indiqué que l’exercice du droit était efficace tant qu’il avait opéré à la date limite indiquée par la clause (le jour de l’arrivée du terme). Néanmoins, elle a ajouté que même s’il pouvait être considéré comme efficace, il avait été exercé en l’espèce de façon brutale. La Cour a fait grief au fournisseur d’avoir dédaigné l’intérêt du distributeur dans la mesure où son comportement l’a privé de la possibilité de prendre les mesures nécessaires pour se préparer à la cessation du contrat. Selon la Cour, le fournisseur n’a en effet pas respecté l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi (art. 1603 C. civ. col.), commandant de donner un préavis raisonnable au distributeur qui « aurait permis de créer, pour le commerçant, des conditions favorables pour changer d’activité ou de prendre des mesures pour éviter de subir des préjudices »490.

232. Les juges peuvent, en conséquence, exercer un contrôle sur le délai de préavis lorsque les parties sont restées silencieuses à cet égard et qu’il appartenait à l’auteur de la rupture de le fixer. Il s’agit d’un pouvoir exceptionnel du juge qui lui permet de vérifier le caractère raisonnable du délai de préavis de la cessation du contrat. Il est néanmoins insuffisant dans la mesure où il ne recouvre pas les situations dans lesquelles le délai de préavis fixé par les parties devient dérisoire par rapport à la durée effective d’exécution du contrat. Une autre insuffisance du droit des contrats peut également être relevée concernant la question des stocks invendus à la fin du contrat de distribution.

§2. L’absence de réponse spécifique à la question des stocks invendus à la fin du contrat de distribution

233. La question des stocks restant à la fin du contrat parce qu’ils n’ont pas été vendus se pose différemment selon que le distributeur a acquis ou non la propriété des produits. Il se peut qu’en vertu d’un contrat de dépôt ou d’un contrat estimatoire491, le fournisseur remette les produits au distributeur, un agent commercial par exemple, pour que celui-ci les conserve dans ses locaux et les livre aux clients. Puisqu’il conserve la propriété des produits, le fournisseur

490 Ibid.

491 Le contrat estimatoire est un contrat typique en droit colombien. L’article 1377 C. com. col., indique :

« Par le contrat de consignation ou estimatoire, une personne dénommée consignataire, assume l’obligation de vendre les marchandises d’une autre partie, dénommée consignant, après la fixation d’un prix que celui-là doit remettre à celui-ci. Le consignataire a le droit de conserver la plus grande valeur ajoutée de la vente des marchandises et doit payer au consignant le prix de celles qu’il a vendues ou ne lui a pas retournées à l’expiration du terme convenu ou, à défaut, de celui indiqué par la coutume ».

récupère en fin de contrat les produits en possession du distributeur492. Corrélativement, si ce dernier ne restitue pas les produits en fin de contrat, il engage sa responsabilité contractuelle. Ce point ne pose aucune difficulté particulière.

234. À l’opposé, une vraie difficulté se pose s’agissant du distributeur qui acquiert la propriété des produits. Il va chercher à les écouler avant la cessation du contrat afin d’éviter tout risque de perte. Après l’extinction du contrat, en raison de l’épuisement du droit des marques, le fournisseur ne peut s’opposer à la revente des produits revêtus de sa marque qu’il a mis en circulation493. L’ancien distributeur, concessionnaire ou franchiseur, peut faire usage de la marque du fournisseur afin de commercialiser les produits qui restent en sa possession. Il est alors dans la situation d’un revendeur parallèle qui s’est régulièrement approvisionné494. Certes, il peut éventuellement les revendre et sortir du contrat sans éprouver de perte ; cependant, force est de constater que son cadre d’action est restreint. En effet, le distributeur ne détient plus l’enseigne du fournisseur et il a déjà restitué d’autres éléments qui permettaient l’adéquate commercialisation des produits (moyens publicitaires, aménagement mobilier, biens d’exploitation)495, il doit s’abstenir de tout comportement qui puisse constituer un acte de concurrence déloyale, notamment celui qui créerait un risque de confusion dans l’esprit des consommateurs quant à la qualité de concessionnaire ou de franchisé qu’il ne détient plus496.

492 V. C. Diloy, Le contrat d’agence commerciale en droit international, LGDJ, 2000, p. 82, nᵒ 85. L’auteur

remarque que le maintien de la propriété permet au mandant de se prémunir contre le risque de faillite de l’agent.

493 En Colombie, les règles relatives aux marques sont établies par la Décision 486 de la Communauté

andine des Nations (CAN) relative au régime commun de la propriété industrielle. L’article 158, al. 1er

indique : « L’enregistrement d’une marque ne confère pas le droit d’empêcher un tiers d’effectuer un acte de commerce portant sur un produit protégé par cet enregistrement après que ce produit a été mis sur le marché de n’importe quel pays par le titulaire de l’enregistrement ou par toute autre personne ayant obtenu le consentement du titulaire ou lié économiquement à celui-ci, en particulier lorsque les produits et les conditionnements ou les emballages en contact direct avec les produits n’ont subi aucune modification, altération ou détérioration ».

494 N. et D. Ferrier, Droit de la distribution, op. cit., 8e éd., nᵒ 727, p. 438.

495 En cas d’utilisation de ces matériels, le distributeur pourrait être poursuivi pour concurrence déloyale

vis-à-vis du fournisseur ou du nouveau distributeur désigné sur le territoire.

496 L’article 158, al. 1er de la Décision 486 de la Communauté andine de Nations (CAN) exige que les

produits et les emballages n’aient subi aucune altération ou détérioration. Comp., en droit français, la Cour de cassation française a admis que les conditions de vente de produits de luxe pouvaient constituer un motif légitime susceptible de paralyser l’épuisement du droit de marque dès lors qu’elles affectent négativement la valeur de la marque en ternissant l’allure et l’image de prestige des parfums (Cass. com., 23 mars 2010, n° 09-65.839 : Propr. industr. 2010, comm. 40, note P. Tréfigny-Goy ; JCP E 2010, 1714, note M. Schaffner et S. Georges ; Comm. com. electr. 2011, comm. 3, note Ch. Caron). La Cour de cassation française a ainsi fait sienne la solution de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), qui avait admis que les mauvaises conditions de vente de produits de luxe, mis initialement sur le marché avec le consentement du titulaire de la marque, pouvaient constituer un motif légitime susceptible de paralyser l’épuisement du droit (CJCE, 23 avr. 2009, aff. C-59/08 : Comm. com. électr. 2009, comm.

L’usage de la marque ne doit pas donner l’impression qu’il existe encore un lien commercial entre l’ancien distributeur et le fournisseur titulaire de la marque, notamment qu’il appartient encore au réseau. Le distributeur ne doit pas laisser planer d’ambigüité sur sa situation497. Le distributeur peut également se trouver dans une impossibilité de fait ou dans une impossibilité juridique de revendre les produits restants en stock (produits et pièces de rechange). Il en va ainsi lorsqu’il a déjà quitté les locaux. L’écoulement des stocks qui portent la marque du fournisseur devient impossible et le distributeur subit alors un préjudice important. Dans le cas du contrat de franchise, le franchisé se voit dans l’impossibilité absolue de revendre les produits, car il ne peut plus utiliser le savoir-faire et l’enseigne du franchiseur ni compter sur son assistance. Il se peut également que les parties aient stipulé une clause de non-concurrence post-contractuelle qui interdit au distributeur toute activité concurrente après la cessation du contrat. De plus, si le fournisseur a accordé un droit d’exclusivité territoriale au nouveau distributeur, l’ancien ne peut plus les revendre sur le marché concerné. Dans le cas contraire, il commettrait un acte de concurrence déloyale à l’encontre de son ancien concédant et à l’égard du nouveau concessionnaire installé sur le territoire498.

235. Certes, le droit positif octroie aux parties une large marge de manœuvre pour régler le sort des stocks invendus au terme du contrat. Les parties peuvent éventuellement aménager à leur discrétion des modalités de reprise des stocks restants en possession du distributeur à l’issue du contrat (A). Cependant, en l’absence de stipulation conventionnelle, aucune obligation de rachat des stocks invendus ne pèse sur le fournisseur. Cette solution découle non pas d’une règle spéciale du droit positif mais de son silence, qui favorise les intérêts du fournisseur ne voulant pas racheter les stocks restants en fin de contrat. On ne peut que constater une insuffisance du droit positif à cet égard (B).

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