• Aucun résultat trouvé

Les critiques du pouvoir du juge de modifier le contrat

L’inadaptation du droit commun des contrats

Section 2 : Le rôle discutable du juge en droit commun des contrats

A. L’appréciation critique de la révision judiciaire pour imprévision 263 L’admission de la théorie de l’imprévision a pour objectif la conservation du contrat à

2. Les critiques du pouvoir du juge de modifier le contrat

268. L’article 868 C. com. col. dispose que le juge doit ordonner les réajustements que l’équité impose. Ce mécanisme de réajustement du contrat par le juge est cependant inadapté dans notre domaine. Plusieurs sont les raisons qui conduisent à cette affirmation.

269. Tout d’abord, le critère de l’équité est flou560 et l’on peut se demander si la fonction du juge doit être celle de rétablir l’équilibre du contrat561 ou de distribuer équitablement entre les parties les pertes et les profits qui résultent du changement de circonstances562, voire d’établir un équilibre permettant d’assurer la continuation du contrat de distribution à l’avenir indépendamment de celui initialement fixé par les parties563. En réalité, puisque les parties

559 Ph. Stoffel-Munck, « La réforme en pratique – La résiliation pour imprévision », AJCA 2015, p. 262. 560 F. Mantilla, « L’introduction de la révision ou de la résiliation pour imprévision – Rapport colombien »,

RDC 2010, nᵒ 1, p. 1047. Selon l’auteur, « cette solution risquerait d’entraîner le juge à entendre par "équité" ses propres principes moraux et sa conception intime de la justice, comme critère pour résoudre les cas particuliers ».

561 Cf. Principes d’Unidroit, 2010, art. 6.2.3. (4) : « Le tribunal qui conclut à l’existence d’un cas de

hardship peut, s’il l’estime raisonnable : a) mettre fin au contrat à la date et aux conditions qu’il fixe ; ou b) adapter le contrat en vue de rétablir l’équilibre des prestations ». En réalité, le juge peut établir un nouvel équilibre, mais ne peut revenir à l’équilibre initialement fixé par les parties.

562 C’est le critère adopté par l’article 6.111 des Principes européens du droit des contrats (version 1998). 563 Rappr. H. Bouthinon-Dumas, « Les contrats relationnels et la théorie de l’imprévision », Revue

internationale de droit économique 2001/3, p. 368 : « Le juge n’a pas à réinventer le contrat, mais il peut lui revenir de le compléter parce que le contrat relationnel est par nature incomplet. Le juge doit respecter et faire respecter le contrat (comme le commande l’article 1134 al.1). Dans le cas d’un contrat relationnel, cela peut passer par une adaptation de la partie instrumentale du contrat (ce qui constitue la révision) de manière à ce que le but poursuivi par les parties demeure ».

regardent comme équivalentes les prestations convenues dans le contrat - principe de commutativité subjective (art. 1498 C. civ. col., nouvel art. 1108 C. civ. fr.) -. Non seulement « prétendre respecter la volonté des parties dans ces hypothèses est un leurre, puisque ce sont les termes mêmes de la convention qui en compromettent la réalisation »564, mais un autre équilibre fixé par le juge sera toujours peu conforme aux attentes d’au moins l’une des parties. Plus encore, dans la généralité des cas, la solution dictée par l’équité peut conduire à un lien contractuel économiquement peu satisfaisant à l’avenir pour les deux contractants.

270. Ensuite, le juge n’est pas le mieux placé pour modifier le contrat en vue de sa continuation durable565. Sans doute, « l’équilibre auquel les parties parviennent d’un commun accord est préférable à celui qu’un juge aura déterminé »566. Toute modification qu’il réalise en dehors de l’accord des parties conduira probablement à un affaiblissement du lien contractuel, tant la partie mécontente cherchera à se libérer du contrat à la première occasion qui se présente. Également, a-t-on pu observer qu’« en réalité, le juge refait le contrat, contre la volonté de l’un des contractants au moins »567. Si les parties ont échoué à renégocier leur relation, « il serait bien étonnant qu’elle reprenne durablement après un passage plus ou moins long devant le juge »568. Ainsi, notre refus du pouvoir de révision judiciaire n’est pas la conséquence d’un sentiment de méfiance vis-à-vis du juge569, mais de la reconnaissance que son action est de fait peu utile pour garantir la pérennité du contrat de distribution.

564 E. Savaux « L’introduction de la révision ou de la résiliation pour imprévision – Rapport français »,

RDC 2010, p. 1057. Adde, ibid. : « L’extrême difficulté d’établir un critère précis et pertinent d’adaptation du contrat est une raison majeure d’hésiter sur son instauration. La révision du contrat pour imprévision attire irrésistiblement vers des standards, des concepts flous, du droit mou... ».

565 Ph. Stoffel-Munck, « La réforme en pratique – La résiliation pour imprévision », AJCA 2015, p. 262 :

« Fixer pour l’avenir les termes d’un contrat, c’est métier d’homme d’affaires. Le juge n’est pas dans son élément, spécialement dans les secteurs dont la compréhension nécessite une culture technique qu’il n’a pas ».

566 H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette et F. Chénedé, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, T. 2, 13e

éd., Dalloz, 2015, p. 182.

567 E. Savaux, « L’introduction de la révision ou de la résiliation pour imprévision – Rapport français »,

RDC 2010, p. 1057.

568 Th. Genicon, « Théorie de l’imprévision... ou de l’imprévoyance ? », D. 2010, p. 2485.

569 Rappr. R. Cabrillac, « Perspectives d’évolution du droit français en matière d’imprévision à la lumière

du droit comparé », in Liber Amicorum, Mélanges en l’honneur de Camille Jauffret-Spinosi, Dalloz, 2013, nᵒ 215, p. 235 : « On peut donc constater que le projet Catala traduit une évolution importante par rapport à notre droit positif qui ne prévoit que la continuation du contrat originaire, tout en restant fidèle à la traditionnelle méfiance du droit français vis-à-vis du juge, lui refusant le pouvoir de s’immiscer directement dans le contrat qui doit rester la chose des parties ».

271. En outre, une procédure de révision judiciaire suppose des dépenses importantes pour la justice étatique et les parties. Pour les raisons qui viennent d’être évoquées, la partie mécontente des modifications réalisées par le juge voudra sortir du contrat le plus rapidement possible ou, dans le meilleur des cas, les parties renégocieront autour des modifications imposées par le juge afin de permettre le maintien de l’opération de distribution. Il est possible alors de se demander si autant d’efforts et de ressources investis valent la peine en sachant que ceux-ci aboutiront probablement au maintien d’un lien contractuel fragile. En réalité, l’instauration d’un pouvoir de révision judiciaire ne serait utile que pour inciter les parties à corriger elles-mêmes l’excessive onérosité570. D’autre part, la nécessité de l’intervention du juge est également discutable lorsque l’une des parties souhaite se libérer du lien contractuel à la suite d’un manquement grave de son cocontractant.

§2. La critique de la nécessité de recourir au juge en cas d’inexécution 272. Le principe en droit colombien est celui de la résolution judiciaire en cas d’inexécution du contrat par l’une des parties571. En l’absence de clause résolutoire, chacune des parties a l’obligation de solliciter l’intervention du juge lorsque le cocontractant se soustrait à l’exécution de ses obligations572 (A). Toutefois, le législateur permet la résolution extrajudiciaire du contrat pour inexécution s’agissant des contrats d’agence commerciale et de fourniture. Il existe ainsi une différence de régime entre ces deux contrats et les autres contrats de distribution dans lesquels l’application du droit commun entraîne l’obligation de recourir au juge. Cette différence conduit à s’interroger, d’un point de vue critique, sur l’adaptation du principe de la résolution judiciaire à l’égard des contrats de distribution dans lesquels le législateur n’autorise pas une résolution extrajudiciaire en cas d’inexécution (B).

570 Rappr. G. Rouhette, « Préface », Colloque sur la réforme du droit français des contrats en droit positif,

RDC 2009, p. 265. V. aussi, H. Bouthinon-Dumas, « Les contrats relationnels et la théorie de l’imprévision », Revue internationale de droit économique 2001/3, p. 372.

571 Nous utiliserons ici le terme de « résolution » pour faire référence à l’anéantissement du contrat pour

cause d’inexécution, indépendamment des effets rétroactifs ou non de cet anéantissement. Nous réserverons celui de « résiliation » à la rupture unilatérale du contrat à durée indéterminée. À cet égard, en droit français, il a été démontré que la résolution peut avoir des effets rétroactifs lorsqu’elle concerne un contrat à exécution successive (V. Th. Genicon, note sous Cass. civ. 3e 1er oct. 2008, RDC 2009, p. 70).

Critiquable, la jurisprudence colombienne maintient la distinction entre les effets rétroactifs de la résolution à l’égard des contrats à exécution instantanée et les effets pour l’avenir à l’égard des contrats à exécution successive. V. CSJ, chambre civile, 4 juin 2004, M.R. Manuel Ardila, n° 7748 ; 19 août 2016, M.R. Ariel Salazar, n° SC1287-2016 ; 25 juin 2018, M.R. Aroldo Quiroz, n° SC2307-2018.

572 Naturellement, les parties peuvent stipuler une clause résolutoire qui permet à l’une des parties de faire

A. Le principe de la résolution du contrat pour inexécution

Outline

Documents relatifs