• Aucun résultat trouvé

302. Au sein de la catégorie des contrats de distribution, il est possible de discerner une myriade de contrats qui accomplissent, de manière plus ou moins intense, une fonction de diffusion et de mise sur le marché des produits du fournisseur615. Constatant la diversité des combinaisons permettant en pratique d’assurer une diffusion des produits en masse, un auteur a pu constater que « ces opérations présentent une caractéristique constante, l’exploitation d’une clientèle en commun, qui offre à la jurisprudence l’occasion d’unifier la protection à laquelle les différents créateurs peuvent légitimement prétendre »616. Il est ainsi possible de discerner une fonction économique commune à ces contrats, qui peut être appréhendée à travers la notion de prestation caractéristique étudiée par la doctrine française de droit international privé. L’unité des prestations caractéristiques joue un rôle fédérateur qui permet de justifier l’instauration d’un régime commun de la cessation des contrats de distribution (Section 1). Il reste que l’identification d’une unité fonctionnelle ne suffit pas à notre démonstration, dans la mesure où cette fonction peut être réalisée en utilisant des techniques contractuelles diverses. Fournisseurs et distributeurs peuvent effectivement donner naissance à un groupement d’entreprises617 par la création d’une société commerciale ou d’une joint-venture de distribution non sociétaire618. Les contrats qui font précisément l’objet de notre étude sont ceux par lesquels un fournisseur conclut un contrat avec un commerçant qui, agissant pour son propre compte ou

615 D. et N. Ferrier, Droit de la distribution, 8e éd., 2017, LexisNexis, nᵒ 61, p. 40. En droit français, les

auteurs affirment que « la grande diversité des formules contractuelles et surtout de leur régime en matière de distribution rend discutable l’affirmation d’une théorie générale des contrats de distribution qui se distingueraient par là des autres contrats ».

616 A. Brunet, « Clientèle commune et contrat d’intérêt commun », in Études dédiées à Alex Weill, Dalloz-

Litec, nᵒ 34, p. 105.

617 V. à cet égard, Cl. Champaud, « Les méthodes de groupement des sociétés », RTD com., 1967, p. 1003

et s. J. Paillusseau, « Les groupes de sociétés », RTD com., 1972, p. 813 et s. V. égal, G. Parleani, « La sécurité des réseaux de distribution et la réforme du droit des contrats », Gaz. Pal., 12 juin 2017, hors- série, p. 74 et s. L’auteur distingue entre les réseaux sociétaires et les réseaux contractuels.

618 Rappr. Ph. Le Tourneau, « Ouverture », in Le droit de la distribution, Droit commun ou droit spécial

?, Université de Poitiers, LGDJ, 2005, p. 153 : « Les réseaux sont le signe d’une époque qui est passée d’une économie indépendante à une économique contractuelle. Une bonne partie de l’activité économique de distribution est assurée par eux c’est-à-dire par des ensembles contractuels. Dès lors, il apparaît clairement que les alliances et les groupements d’entreprises ne supposent pas nécessairement l’utilisation du Droit des sociétés. Les techniques du Droit commun remplissent très bien cet office ».

pour le compte du fournisseur, commercialise des produits sur un marché619. Il apparaît dès lors essentiel d’identifier les caractères communs aux structures juridiques des contrats de distribution spécialisée analysés dans le cadre de notre étude, spécifiquement les rapports entre les éléments contenus dans ces contrats qui permettent l’accomplissement des prestations caractéristiques identifiées. En effet, les rapports qui se tissent entre les intérêts et pouvoirs des parties dans ces contrats, ainsi que les limites communes à l’intérieur desquelles se situent ces rapports, constituent également un fondement de ce régime commun de cessation des contrats de distribution (Section 2).

Section 1 : L’unité des prestations caractéristiques

303. Un régime commun de cessation ne se justifie que par l’existence d’un critère fédérateur, c’est-à-dire par un élément qui permet de rassembler les contrats de distribution pour lesquels les régimes de cessation se sont révélés contestables620. Pour déterminer ce critère fédérateur, à l’instar de la doctrine française, relevons que le contrat, conçu comme un accord de volontés producteur d’obligations, est devenu un instrument au service des intérêts privés et, plus récemment, un instrument doté de fonctions économiques621. Plus concrètement, au cours du XXe siècle, les regards se sont portés sur la finalité de l’opération envisagée par le contrat. Comme il l’a été constaté, « à l’heure actuelle les catégories prennent leur sens dans les résultats, dans les prestations objectives que leurs éléments (les contrats entrant dans lesdites catégories) permettent de réaliser, dans les prestations objectives qu’ils procurent aux parties »622. Le contrat est, dès lors, pensé comme un processus finalisé qui dépasse la seule production d’obligations. Naturellement, la fonction économique concrète envisagée par les parties imprègne les éléments composant le contrat, notamment sa cause et son objet623. Cependant, tous les éléments du contrat ne sont pas concernés de la même manière.

619 J.-B. Blaise et R. Desgorces, Droit des affaires, 9e éd., LGDJ, 2017, nᵒ 1039, p. 585. Concernant le

fournisseur qui met en place un réseau de distribution, les auteurs distinguent l’intégration structurelle lorsque l’organisation du fabricant est composée de succursales ou de filiales et l’intégration contractuelle lorsque le fabricant fait appel aux services de commerçants indépendants qui achètent pour revendre. Les auteurs restreignent cette dernière catégorie aux distributeurs qui acquièrent la propriété des produits. Cependant, le réseau de distribution fondé sur des contrats d’agence commerciale devrait être pris en compte dans cette catégorie d’intégration contractuelle.

620 Première partie, Titre I.

621 M.-E. Ancel, La prestation caractéristique, nᵒ 121 et s. A.-S. Lucas-Puget, Essai sur la notion d’objet

du contrat, préf. Muriel Fabre-Magnan, LGDJ, nᵒ 311 et s.

622 Ibid.

623 Sur les divers critères qui permettent de regrouper les différents contrats spéciaux, v. F. Collart-

304. Si la notion d’objet du contrat doit être ici écartée624, en revanche, l’examen de la notion de cause peut se révéler utile625. À cet égard, l’article 1524, 1er et 2e alinéas, C. civ. col. dispose qu’« Il ne peut pas y avoir d’obligation sans cause réelle et licite ; mais il n’est pas nécessaire

de l’exprimer. La pure libéralité ou bienfaisance est une cause suffisante. On comprend par cause le motif qui induit [la conclusion de] l’acte ou du contrat ; et par cause illicite celle interdite par la loi, ou celle qui est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ». À une

époque, la Cour de cassation colombienne avait semblé admettre la conception classique objective de la cause l’envisageant comme un instrument de justice commutative qui impose l’équivalence dans les transactions626. Cependant, elle a récemment affirmé que la cause ne

624 L’objet est une notion polysémique. Le Code civil colombien se sert de cette notion de trois manières

différentes. Tout d’abord, l’article 1517 C. civ. col. désigne l’objet de la déclaration de volonté, qui peut être de donner, faire ou ne pas faire. Il indique ainsi l’objet de la prestation. Ensuite, l’article 1518 C. civ. col. énonce que les choses futures peuvent être l’objet d’une déclaration de volonté. Il s’agit de l’objet de la prestation : la chose ou les services fournis. Enfin, l’article 1523 C. civ. col. prévoit que le contrat prohibé par la loi a un objet illicite. Il s’agit, dans cette dernière acception, de l’objet du contrat. Cette notion permet de considérer l’opération contractuelle dans sa globalité, au-delà des prestations à la charge de chacune des parties. Mais la difficulté réside dans le fait qu’il n’existe pas de conception unitaire de l’objet du contrat (V. G. Ospina Fernández et E. Ospina Acosta, Teoría general del contrato y del negocio jurídico, 7e éd., Temis, 2014, n° 276, p. 238). En droit français, la doctrine a identifié l’objet du contrat à

l’obligation principale, fondamentale ou essentielle de celui-ci (V. G. Ripert et J. Boulanger, Traité élémentaire de droit civil, t. II., LGDJ, 1957, p. 99, nᵒ 241). Des auteurs plus contemporains rejettent la réduction de l’objet du contrat à l’objet de l’une des obligations du contrat. On peut distinguer plus récemment deux conceptions. Pour certains auteurs, selon une approche que l’on pourrait dénommer « statique », l’objet du contrat désigne « l’ensemble des éléments relatifs à la constitution et à l’exécution du contrat et qui concourent tous, chacun pour leur part, à la réalisation de l’acte envisagé par les parties » (H. Mayer, L’objet du contrat, thèse Bordeaux, 1968, p. 170. Rappr. G. Cornu (sous dir.), Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant, 12e éd., PUF, 2018, V° « Objet » : « b/En un sens technique,

l’ensemble des droits et des obligations que le contrat est désigné à naître à faire naître (en ce sens, la vente a pour objet de transférer la propriété d’un bien moyennant le payement du prix convenu, le bail de conférer l’usage d’un bien moyennant le versement d’un loyer) ». D’autres auteurs, selon une approche téléologique, désignent par objet du contrat le but poursuivi par l’ensemble des obligations qui fait naître le contrat. Il désigne ainsi « l’opération juridique voulue par les parties, la finalité immédiate sur laquelle elles s’accordent, l’effet global du contrat » A.-S. Lucas-Puget, Essai sur la notion d’objet du contrat, préf. Muriel Fabre-Magnan, LGDJ, n° 502, p. 285. Pour l’auteur, les objets possibles du contrat sont l’échange, la fourniture de prestations ou une opération procédant de l’association de prestations. Comp. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit des obligations, op. cit., nᵒ 302. Pour dresser une typologie de l’objet du contrat, les auteurs mettent l’accent sur l’agencement des obligations auxquelles donne naissance le contrat selon l’opération qu’il réalise : contrat-échange, contrat d’intérêt commun (ou coopération) et contrat-organisation.

625 En droit français, après l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats,

du régime général et de la preuve des obligations, le Code civil n’exige plus la cause comme condition de validité du contrat mais fait désormais référence au contenu licite et certain du contrat (art. 1128 C. civ. fr.). Si le terme a disparu, les fonctions de la cause sont cependant maintenues (V., p. ex., N. Rontchevsky, « Les objectifs de la réforme : accessibilité et attractivité du droit français des contrats », AJCA, 2016, nᵒ 10, p. 112).

626 CSJ, chambre civile, 7 oct. 1938, M. R. Furgencio Lequerica : « Dans le droit moderne, la notion de

cause a cessé d’être abstraite et inopérante pour devenir un instrument qui impose l’équivalence dans les transactions, comme l’expression de la justice commutative ».

s’identifie pas à la contreprestation mais qu’elle est « l’intérêt concret qui pousse les parties à conclure l’acte juridique »627. La cause ne désigne pas non plus des mobiles subjectifs propres à chacune des parties. En effet, la Cour a utilisé la notion de cause pour établir l’interdépendance des contrats en indiquant qu’il s’agit d’une notion objective628. En réalité, la Cour de cassation colombienne s’est inspirée de la notion de cause concrète du droit italien629. La doctrine italienne précise que la cause concrète désigne la raison ou l’intérêt concret poursuivi par les parties630. Cette conception de la cause a également été étudiée en droit français, en particulier par Mme Rochfeld dans sa thèse de doctorat. Elle y indique que la cause est « l’intérêt raisonnable que poursuit chaque partie au contrat, et qui permet de rendre ce dernier intelligible pour l’ensemble de la collectivité »631. La cause du contrat serait par conséquent « la finalité de la structure contractuelle dans son ensemble ou encore l’opération à réaliser »632. Par opposition à la cause concrète, le droit italien identifie la notion de « causa astratta », qualifiée de « cause- fonction » par Mme Rochfeld. L’auteur observe ainsi que « la cause typique conduit donc à l’émergence d’une cause-fonction, c’est-à-dire d’une cause, finalité du contrat, assignant une fonction à l’entité contractuelle. Son apport réside alors dans la prise en compte de la réception sociale d’un contrat, c’est-à-dire de sa compréhension par chacun des partenaires »633. La cause- fonction constitue dès lors une prolongation de la cause concrète en ce qu’elle reconnaît une fonction typique à chaque type de contrat.

627 CSJ, chambre civile, 2 janv. 2006, nᵒ 1 994-13368 : (…), es útil memorar que en el derecho patrio toda

obligación surgida de un contrato bilateral, debe tener una causa real y lícita, que según la doctrina mayoritaria se vislumbra en el interés concreto que impulsa a cada una de las partes a celebrar el respectivo negocio jurídico, sin identificarse con la contraprestación, como inicialmente lo sostuvo la escuela clásica ».

628 CSJ, chambre civile, 15 nov. 2017, M.R. Álvaro Fernando García, SC18476-2017.

629 La Cour de cassation colombienne cite, dans sa jurisprudence, des auteurs italiens dont les livres ont

été traduits en espagnol, tels que Luigi Cariota Ferrara ou Massimo Bianca. V. CSJ, chambre civile, 15 nov. 2017, M.R. Álvaro Fernando García, SC18476-2017.

630 M. Bianca, Derecho civil, El contrato, (trad. F. Hinestrosa et E. Cortés), Universidad Externado de

Colombia, Bogotá, 2007, p. 474. En jurisprudence, la Cour de cassation italienne a reconnu: « la Corte, dichiaratamente o meno, ha lasciato da parte la teorica della funzione economico sociale del contratto e si è impegnata nell’analisi dell’interesse concretamente perseguito dalle parti nel caso di specie, cioè della ragione pratica dell’affare ». (Suprema Corte di Cassazione, Sezioni Unite, Sentenza no. 4628 del 6 marzo 2015).

631 J. Rochfeld, Cause et type de contrat, préf. J. Ghestin, LGDJ, 1999, nᵒ 127, p. 122. 632 Ibid., nᵒ 504, p. 458.

633 Ibid., nᵒ 519, p. 467. Adde, ibid. : « Cette idée est très présente dans la doctrine italienne qui, défendant

l’idée de cause du contrat, emploie pour la désigner les expressions de « but juridico-économique, de "fin économique-juridique" ou encore de "fonction économico-sociale" du contrat ».

Outline

Documents relatifs