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Les tavernes sont nombreuses et occupent une place importante dans la vie de la cité médiévale. À cette époque, les lieux sont simples, sans terrasse, sans décoration élaborée ni ornementation. Ils sont réduits à leur strict minimum, un sol souvent en terre battue, peu de lumière pour rester caché, une seule longue table. J.-P. Legeay dans La Rue au moyen âgeen comptabilise soixante-dix à Avignon, dix-sept à Reims. De son côté, Guillebert de Metz affirme qu’à Paris, en 1398, il en existe quatre mille37. Il n’existe pour autant aucun corps de métier, tout le monde peut être tavernier, chaque établissement fonctionne selon ses règles, les contrôles policiers s’avèrent difficile et les leviers d’actions pour faire respecter l’ordre, très faibles. La conjonction de ces éléments entraine de nombreux problèmes : sécurité, ordre et insalubrité.

En 1229 des affrontements opposent les étudiants du Quartier latin aux taverniers du Faubourg Saint-Marcel. Quelques étudiants refusent de payer un tavernier prétextant que le vin était coupé et de mauvaise qualité, la situation dégénère et prend des proportions considérables. Blanche de Castille envoie ses archers pour rétablir l’ordre, et veut poursuivre les étudiants qui ont mis les tavernes à sac. L’Université se met en grève et quitte Paris. Il faut une intervention du pape Grégoire IX pour convaincre l’Université de regagner la capitale. Les décisions du royaume convergent pour

36 BIHL-WILLETTE, Luc. Ibidem, page 21

essayer de minimiser les risques de violences dans et devant les tavernes, mettre fin aux abus et aux vols qui sont légion en leur sein, mais aussi de contrôler ces lieux et d’en tirer un bénéfice. En 1254 une ordonnance réserve la fréquentation des tavernes aux seuls étrangers : « Nul ne soit reçu à faire demeure en la taverne s’il n’est passant ou s’il n’a aucune maison en ville »38. Ce principe ne sera pas respecté puisque trois cents ans plus tard un édit d’Henri II reprend quasi mot pour mot cette ordonnance : « les taverniers et cabaretiers ne pourront recevoir que les passants et

étrangers et il leur est défendu de souffrir les habitants des villes, bourgs ou villages où ils sont établis sauf à leur vendre du vin à pot à emporter »39.

Le mélange du vin et de l’eau est monnaie courante à cette époque. Ainsi, en 1350, Jean II Le Bon s’attaque à la qualité des vins et interdit aux taverniers de mélanger les vins différents. Les taverniers escroquent parfois leurs clients en les faisant boire jusqu’à l’épuisement pour les détrousser pendant la nuit. Édicté en 1325 par Charles IV Le Bel, une ordonnance oblige l’hôte ayant gardé les effets d’un client mort chez lui, à rendre le triple de ce qu’il avait retenu. Ces textes n’ont pas un effet retentissant, ils traduisent cependant l’inquiétude du pouvoir et l’importance de ces établissements dans la vie du royaume.

Le pouvoir cherche également à réguler les heures d’ouverture : un règlement du 22 décembre 1541 empêche les taverniers de « recevoir aucune personne qui ne soit leur

domestique à heure de nuit, mais seulement de jour sous peine de châtiment corporel ». Plus tôt déjà celle du 27 février 1350 prescrit aux tenanciers de « ne point recevoir chez eux lorsque le couvre-feu de Notre-Dame aura sonné »40. A cette époque on vit à la lumière du jour, les larcins, les bagarres et autres forfaits ont principalement lieu la nuit. Cette mesure visant à fermer les tavernes à la nuit tombée essaye de lutter contre ce phénomène. Le clergé va chercher à faire fermer les tavernes pendant les heures de culte, après s’être aperçu que les tavernes leur faisaient de la concurrence. Un arrêt du parlement de Paris du 10 avril 1547 interdit aux cabaretiers de « recevoir quiconque pendant la durée du service sous peine de

dix marcs d’amende ». Une ordonnance de Charles IX de janvier 1560 prévoit même

une peine d’emprisonnement en cas de récidive.

38 LETAILLEUR, Gérard. Histoire insolite des cafés parisiens, Paris : Perrin, 2011, 338P, page 24

39 BIHL-WILLETTE, Luc. Op. cit., page 32

L’ensemble de ces textes et de ces mesures n’a que très peu d’effet, comme en témoigne leur redondance au fil des siècles. Elles sont difficilement applicables. Les tavernes ont souvent des façons de contourner les textes soit en présentant les clients comme leurs amis ou leur famille, soit en créant des portes à l’arrière de leurs salles pour pouvoir s’éclipser en cas de visite du guet ou bien en échangeant des informations avec les agents de police. Les débits de boissons sont difficile à réglementer, ils sont nombreux, ne sont pas structurés en profession ou en corps de jurande, ce qui fait qu’il n’existe pas de représentants ou de superstructures sur lesquelles agir. Ils sont dispersés, c’est un traitement au cas par cas qui est nécessaire ce qui rend l’entreprise impossible. Pourtant à travers ces différents textes on observe des préoccupations qui semblent encore très actuelles : le maintien de l’ordre public, à travers la régulation des consommations d’alcool et des horaires.

Jusqu’au début du XVIIe siècle les tavernes prospèrent, elles sont de plus en plus présentes dans la vie des cités et trouvent place dans les témoignages d’époque qui sont le fait de poètes ou de romanciers. Ainsi dans le Roman comique de Scarron on peut lire « dans toutes les villes subalternes du royaume il y a d’ordinaire un tripot où s’assemblent tous les jours les fainéants de la ville, les uns pour jouer, les autres pour regarder ceux qui jouent ; c’est là que l’on rime richement en dieu, que l’on épargne fort peu le prochain et que les absents sont assassinés à coups de langues »41 . Dans l’optique de faire enfin respecter les lois et de pouvoir surveiller les débits de boissons, une cellule spéciale de la police de Paris est créée. Puis le 30 mars 1635 intervient un règlement général pour la police des cabarets de Paris. Dans ce texte, il est interdit aux taverniers et aux cabaretiers de loger ni de recevoir de jour ni de nuit tout vagabond, fille et femme débauchées, sous peine de punition exemplaire42. Cette interdiction déjà émise dans un texte de loi du siècle précédent souligne la difficulté à faire respecter la loi, le contrôle et les sanctions sont encore réglés au cas par cas. Il est impossible pour l’Etat d’agir sur l’ensemble de la profession ou de surveiller toutes les tavernes. Il est également interdit à tous bourgeois et habitants de cette ville et faubourg d’aller dans les tavernes pour y boire et manger. Ces mesures très restrictives ne sont pas respectées à la lettre, mais font transparaitre une volonté de circonscrire les clients des tavernes à un type de population, laissant les femmes, et

41 SCARRON. Le Roman Comique, Paris : Desrez, 1835,189p., page 5

les bourgeois en dehors de celles-ci. Ce même règlement interdit de tenir des « académies de jeu » ou encore plus surprenant, puisque tellement d’actualité, de fumer du tabac dans les cabarets.