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Aller au « café » recouvre une variété d’usages, de projections, de façons d’investir cet espace. Nous présenterons ici les plus éloquent parmi ceux qui nous ont été restitués. En termes de fréquence, parmi les trente-quatre discours recueillis, cinq

seulement évoquent des visites régulières au « café », il faut entendre en journée, plusieurs fois par semaine. Pauline s’y rend tous les jours de la semaine, Pierre un jour sur deux, Marcel une à deux fois par semaine, Caroline selon les périodes peut s’y rendre trois ou quatre jours par semaine, Anne-Sophie au moins une fois par semaine. Quelques autres évoquent de façon exceptionnelle des passages en matinée, accompagnés d’un journal mais c’est anecdotique. Les exemples retranscrits ici sont le fruit de visites régulières pluri-hebdomadaires. Pour certains, elles rythment les journées et les cafés viennent les agrémenter. Dans tous les cas les visites s’effectuent seul. Les moments et les usages qui sont fait de l’espace en revanche divergent. Nos interlocuteurs font état à travers plusieurs exemples d’un rapport très particulier qui s’instaure entre eux, les cafés, et la ville.

Si la pratique est moins répandue parmi nos répondants, en revanche elle est riche de sens. Caroline résume dans ce passage les raisons qui sous-tendent ces pratiques. « Quand je me pose seule dans un café, ça va être au final quelque chose d’assez personnel. C’est moi que je retrouve parce que je vais être dans ma bulle, un peu en introspection, parce que je vais simplement observer ce qui va se passer autour de moi, et que c’est aussi une façon, du coup, de me retrouver en faisant ça, parce que je vais me prendre un moment de décontraction et de tranquillité pour lire. Ça va être mon cadre de travail plusieurs fois par semaine également, donc c’est vraiment dans ces moments-là, quelque chose qui est ultra centré sur moi-même. Du coup c’est ma division journée/soir. Journée c’est pour moi, soir pour autrui ».

S’instaure dans cette démarche solitaire une relation particulière entre soi et les autres. Se rendre au café seul est associé à une forme de plaisir, partager l’espace, ne pas être chez soi ou profiter simplement du moment. Observer, travailler, bouquiner ou même flâner : quel que soit le verbe, il participe toujours d’une relation entre soi, et la ville, le café. Les venues en journée au café se couplent à des activités, l’espace proposé se prête à ce rapport particulier entre soi et les autres dans la perception et les usages qui en sont fait.

…pour travailler

Le café peut être investi comme un lieu de travail. Nous avons déjà fait référence à l’empreinte qu’ont laissée les écrivains dans l’imaginaire collectif. Qu’il s’agisse de

l’utilisation du café, comme une annexe du bureau tel que Sartre l’évoque172, ou du plaisir qu’ils décrivent à être au contact de la vie environnante. Des exemples qui résonnent avec les façons de vivre le café le jour que nous avons entendu. Un usage qui se retrouve dans les propos de Pauline, Johana ou Caroline. Ils aiment à se rendre dans les cafés pour y trouver un espace qu’ils investissent comme lieu de travail. Le café est vécu comme un lieu tiers entre salon et bureau, un cadre de travail privilégié. Pour Pauline qui s’y rend tous les jours c’est une façon de s’atteler à sa tâche, réaliser sa thèse, gérer ses activités associatives, de s’imposer un rythme, dans un cadre préférentiel, hors de son domicile, et loin de son bureau « je suis indépendante dans

mon métier, donc ça me permettait d'avoir un lieu autre que chez moi pour travailler, d'avoir une coupure. Parce que c'est assez difficile de travailler dans l'environnement dans lequel tu vis. Du coup, ça me permettait de travailler à côté. A l'époque, j'habitais rue du Faubourg National, j'étais encore plus près. ». Elle n’hésite pas à fixer ses rendez-vous professionnels dans ce cadre, au café, et reste parfois des après-midis entiers à alterner entre des moments de travail, des réunions ou des visites amicales. Elle aime à prolonger ces moments et considère ceux-ci comme une partie de son mode de vie. « Je connais des gens qui séparent le travail, la vie personnelle et la vie

publique. Moi, je mélange tout. C’est venu comme ça, c'était plus intéressant comme ça ».

Marcel fréquente rrégulièrement les cafés. Plusieurs fois par semaine, sur le trajet du retour après son travail, il prend du temps pour travailler dans des cafés. Son choix en matière d’établissements est orienté en fonction de cet objectif, travailler ses voyages, ses projets, avant de regagner son domicile. Les cafés qu’il choisit sont alors déterminés en fonction de leur proximité avec ses déplacements domicile travail, à proximité d’un arrêt de tram et doivent pouvoir lui fournir un accès Wifi. Ces moments sont pour lui l’occasion de se rendre dans des cafés. Les cafés offrent la possibilité de s’inscrire dans un ensemble vivant, une façon de travailler en étant au contact de la ville.

172 CHAUVEAU, Agnès. Paysages Sartriens, Sartre et la télévision. Catalogue de l’exposition Sartre, BNF [En ligne]. URL : http://classes.bnf.fr/rendezvous/pdf/Sartre3.pdf

…ou flâner

Les cafés offrent aussi la possibilité de s’extraire de chez soi et de profiter d’un espace privilégié. Ce plaisir, cette façon de se délecter, de mettre en scène un moment pour soi, dans une interaction distante entre soi et les autres ne nécessite pas automatiquement d’avoir un travail à effectuer. Se rendre au café seul en journée est une façon assumée de profiter de son temps, de se faire plaisir, de flâner… Anne-Sophie aime s’y rendre pour s’isoler, se plonger dans une lecture, par plaisir : « Le

Trolley bus, quand j’habitais Grand-rue. C’est un lieu où je peux aller seule. Ça doit d’ailleurs être un des seuls. Où j’aime bien bouquiner.... J’aime bien, il a changé, mais j’aime toujours bien. (…) Si je vais dans un bar seule, c’est parce que j’ai envie de changer d’ambiance par rapport à chez moi. Parce qu’en général si je vais dans un bar seule, c’est parce que j’ai envie de bouquiner. Quand je faisais mes études, de bosser ailleurs que chez moi, parce que je trouve ça pénible de toujours bosser chez toi, ça a un autre goût, c’est pas pareil quand tu fais un truc chez toi ou pas chez toi. Voilà, et puis après c’est des lieux que j’aime bien, où je me sens bien. ».

Le café en solitaire est synonyme de plaisir dans sa capacité à opérer un mouvement double, à la fois seul et au milieu des autres, permettant quelle que soit la raison, flâner, marquer un arrêt dans ses trajets, ne pas vouloir rentrer d’emblée chez soi, de se mêler au rythme à la ville, aux autres, de s’immerger dans une douce effervescence et de s’en tenir éloigné. Il y est possible de jouer avec les distances, de s’y impliquer

a minima : se plonger dans un livre, dans son travail sans être coupé de l’extérieur, mais sans y participer. « Quand j’y vais en journée, ou quand j’y vais avec mon livre, je suis plus en observation de ce qui s’y passe, je suis beaucoup plus à l’affût »

(Caroline).

Pierre aime, à la sortie d’une journée de travail, faire un détour par tel ou tel café, une façon de couper avec la journée de travail, de profiter de sa « liberté » fraîchement retrouvée après une journée de labeur ; c’est une façon d’occuper son après-midi, lorsque l’envie de rentrer chez lui vient à manquer. Se fondre dans la ville, trouver un espace où l’on aime à se retrouver seul, au milieu des autres, quitte à se mêler à des tables déjà occupées.

Sortir seul au café est un prisme dans lequel se réfractent de nombreuses nuances de pratiques, de désirs, de plaisirs recherchés, d’usages. Une modalité moins usitée,

comme en témoigne l’activité des établissements la journée, largement inférieure à celle des fréquentations nocturnes. Pour autant elle est tout aussi propice à des usages spécifiques, qu’il s’agisse de la flânerie ou d’un moyen de profiter de son temps.

« Flâner de passage en passage et s’arrêter dans un café, même quand il ne pleut pas, est l’un des plaisirs du promeneur entre deux moments d’activité intense »173.