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L’ÉVOLUTION DES ENJEUX ÉCONOMIQUES

Dans le document Communauté métropolitaine de Montréal (Page 157-161)

La région métropolitaine : évolutions

4.1 L’ÉVOLUTION DES ENJEUX ÉCONOMIQUES

Deux rapports marquent la réflexion stratégique sur le développement économique de la région de Montréal. Chacun, bien que très inscrit dans son temps, tente de déceler les voies du développement futur de la région de Montréal, au travers de constats sur la situation passée, les tendances lourdes, les forces et faiblesses de la région. Il s’agit du rapport Higgins-Martin-Raynauld de 1970 et du rapport Picard de 1986.

Tous deux ont marqué la région, bien que leurs recommandations n’aient pas tou-jours été suivies. Ils fournissent à la fois un résumé de l’évolution de la situation économique de Montréal depuis les années 1940 et une indication des concepts de développement alors en cours. À bien des égards, certains de leurs enseigne-ments restent d’actualité, malgré la transformation rapide de l’environnement économique nord-américain.

4.1.1 Le rapport Higgins-Martin-Raynauld

Produit en 1970, le rapport HMR (Higgins-Martin-Raynauld)23 traite du développement économique du Québec, sous l’angle du développement régional.

L’étude est réalisée à la demande du ministère fédéral de l’Expansion économique régionale. Son objectif est d’élaborer une stratégie spatiale de développement économique au travers de quatre régions : Montréal, Québec, Sept-Îles et Trois-Rivières.

Ce rapport marque une étape historique importante dans la compréhension des mécaniques du développement régional et aussi dans celle du rôle de Montréal dans l’économie du Québec. Il insiste en effet sur le rôle moteur de la région de Montréal pour le Québec et sur la nécessité pour le Québec et l’ensemble de ses régions de soutenir en conséquence son développement économique. Écrit après Expo 67, période que l’on considère aujourd’hui comme l’apogée de Montréal, il alerte le Québec sur la fragilité croissante de l’économie de Montréal. Selon le rapport Picard, malgré cette recommandation, « les gouvernements fédéral et provincial ont favorisé depuis 1970 le développement du reste de la province, n’accordant que très peu d’attention à Montréal, et ce, de façon irrégulière ».

Le rapport présente la situation de la région de Montréal comparativement aux autres métropoles nord-américaines et canadiennes24. Cette comparaison est réali-sée sous un angle bien particulier qui traduit l’état des préoccupations de l’époque en matière de développement économique régional.

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23 Benjamin Higgins, Fernand Martin, André Raynauld, Les orientations du développement économique régional dans la province de Québec, rapport soumis au ministère de l’Expansion économique régionale, le 21 février 1970.

24 Les auteurs ressentent en effet la même nécessité que celle qui a présidé à l’élaboration du présent rapport, c’est-à-dire « remettre les pendules à l’heure » : « Toute politique régionale au Québec doit tenir compte de Montréal, tant à cause de sa dimension que de sa position géographique dans la province. Il n’est donc

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La conclusion tirée des analyses est la suivante : « La concurrence est plutôt inter-provinciale qu’interrégionale au Québec… Le renforcement de la position concurrentielle de toutes les régions, y compris Montréal, s’impose beaucoup plus que les tentatives d’influencer les localisations à l’intérieur du Québec. Une politique de décentralisation industrielle au Québec contribuerait à ralentir non seulement la croissance de la région de Montréal et diminuerait sa capacité de générer les économies externes susceptibles d’améliorer sa position concurren-tielle, mais en fin de compte tout ralentirait au Québec ». Alors qu’aujourd’hui la mondialisation projette directement les métropoles et les régions dans une concurrence de niveau continental, on peut se demander si la problématique abor-dée dans le rapport HMR n’est pas toujours présente : la vision d’une région métropolitaine en concurrence avec les autres régions du Québec n’a pas en effet complètement disparue du débat économique et social.

Le rapport présente ensuite un modèle de développement régional basé sur le rôle de l’innovation dans le développement des grands centres urbains et sur la crois-sance induite dans leur zone d’influence. « La relation qu’on peut établir entre l’innovation et le phénomène urbain est plus étroite que jamais. » Les grandes villes sont les lieux des grands problèmes sociaux contemporains qui nécessitent des solutions originales; c’est dans les grandes agglomérations que naissent les idées nouvelles, par la concentration des ressources intellectuelles et la diversité des opinions; les grandes villes sont des lieux de diffusion des pouvoirs qui favorisent l’innovation. Mais surtout, l’ensemble urbain est le siège par excel-lence des économies externes : « Un bon nombre d’activités ne peuvent prendre place que dans les grands ensembles; elles sont suffisamment connues pour avoir un nom : activités “ quaternaires ” ou “ tertiaires supérieures ”. Il est admis aujourd’hui que la présence de ces activités dans le milieu environnant est plus déterminante pour la localisation des entreprises que les coûts de transport ou même les salaires. Deux variables-clefs des modèles traditionnels. » Ces grands centres urbains sont appelés pôles de développement; ils diffusent dans leur

« zone d’influence » : « Dans ces zones, on trouve par définition des activités de croissance, i.e. des activités induites par le pôle de développement [...] Un pôle et une zone forment un espace polarisé, soit un ensemble de circuits d’informa-tion, d’échanges et de migration [...] Les zones d’influence entourent les pôles de développement parce que la distance est un des éléments majeurs dans les échanges. »

« Les espaces polarisés entretiennent aussi des rapports entre eux [...] qui donnent naissance [...] à une hiérarchie des espaces. » Les auteurs notent qu’« un espace économique comme Montréal est dans un rapport de subordination avec celui de New-York; il est dans un rapport de concurrence avec celui de Toronto [...] Du point de vue du Québec, l’avenir est principalement déterminé par l’amélioration ou la détérioration de la position concurrentielle de Montréal relativement à

La problématique de développement régional a évolué depuis le rapport HMR.

L’innovation continue à jouer un rôle critique dans le développement, mais le haut savoir, le capital, la qualité de l’environnement sont les nouveaux facteurs déterminants. Le modèle « pôle de développement – zone d’influence – espace polarisé – hiérarchie de villes » a tendance à éclater avec la mondialisation : l’accès aux marchés est possible à travers le continent, les nouveaux systèmes de logistique diminuent l’importance de la distance, les régions métropolitaines se spécialisent et ne dépendent plus de la ville de taille supérieure pour assurer leur développement. Montréal peut ne plus être en concurrence avec Toronto; ses rela-tions avec New-York ne sont pas forcément de l’ordre de la subordination; les régions du Québec et leurs industries peuvent développer leurs créneaux et trouver leur place dans l’ensemble nord-américain. L’ordre décrit par le rapport HMR est bousculé et les modèles d’intégration dans l’espace économique devien-nent multiples et complexes. Les auteurs ressentent cependant cette réalité émer-gente, car ils indiquent qu’« une politique économique relative à Montréal doit miser sur l’envergure canadienne et internationale de Montréal. Les liens avec l’extérieur doivent être renforcés dans tous les domaines parce que Montréal en dépend pour sa survie. »

Le rapport affirme le rôle unique de Montréal dans le développement du Québec.

Il mentionne que « la grande taille d’une agglomération est une condition préa-lable à l’existence de services hautement spécialisés et aux économies externes qui caractérisent les foyers d’innovation [...] La taille de la région de Montréal est petite par comparaison avec les ensembles urbains extérieurs, mais sa taille sem-ble suffisante déjà pour produire des effets d’agglomération. » Ce pôle de développement est cependant jugé « faible et fragile ». À partir de l’analyse de la localisation des filiales canadiennes d’entreprises américaines, le rapport, produit en 1970, note que « la suprématie de Toronto sur Montréal est écrasante » en ce qui concerne les liens avec les pôles américains. « Montréal est surtout reliée à New York [...] Chose surprenante, Toronto est d’abord reliée à New York, tout comme Montréal… Cependant, les villes du centre et de l’ouest des États-Unis représentent une force additionnelle énorme pour Toronto [...] Toronto a déjà pris une avance décisive sur Montréal en ce qui concerne son intégration aux marchés nord-américains. »

Selon le rapport, les avantages de Toronto sont les suivants :

• le pôle montréalais est concentré sur l’île et sa diffusion à l’extérieur de l’île n’est pas structurée autour de villes satellites, comme à Toronto. Cependant,

« depuis 1961, un mouvement de déconcentration vers la zone périphérique s’est amorcé; reste à voir si les villes naîtront. » On peut constater aujour-d’hui que la région reste concentrée dans sa partie centrale et qu’aucun pôle multifonctionnel fort n’a émergé;

• la position concurrentielle de Montréal se détériore et sa structure indus-trielle vieillit. On sait aujourd’hui que la structure indusindus-trielle de Montréal s’est transformée, suivant en cela la tendance nord-américaine, et que le virage de la nouvelle économie a été pris;

• Montréal n’est le siège d’aucun gouvernement supérieur : l’éloignement de l’État ne doit pas priver le pôle de développement de l’attention nécessaire;

• l’espace économique de Toronto s’appuie sur des espaces voisins aux États-Unis qui sont plus dynamiques.

Le rapport émet enfin quelques réflexions sur la structuration de l’espace régional montréalais. L’objectif est « de renforcer et de consolider l’espace économique de Montréal [...] donner plus de poids aux axes de la croissance induite par le pôle, puis favoriser la concentration des activités périphériques dans des villes satel-lites. » Le rapport note que « l’erreur serait que, sous prétexte de renforcer Montréal, on laisse la région évoluer de manière anarchique avec des implanta-tions industrielles situées n’importe où. Les villes satellites actuelles, à part quelques-unes, ne semblent pas avoir un potentiel d’accueil favorable, du moins l’augmentation de la population est-elle très faible. » Les villes satellites en crois-sance sont alors Sorel et Joliette.

Pour expliquer le « désordre et l’anémie » de la zone périphérique, le rapport HMR mentionnent le rapport La Haye, issu des travaux d’une autre Commission marquante de l’époque, la Commission provinciale d’urbanisme. Le rapport La Haye note que « la région montréalaise est la moins bien outillée pour résoudre ses problèmes d’aménagement physique » : état actuel des lois d’urbanisme, émiettement des administrations locales, concurrence de ses nombreuses munici-palités, crainte de collaborer. La Commission recommande l’adoption d’un plan régional d’aménagement, couvrant une aire de 35 à 40 milles du centre-ville, incluant Saint-Hyacinthe, Saint-Jean, Valleyfield et Saint-Jérôme. Le rapport HMR y ajoute Joliette et Sorel.

Le modèle régional prôné par le rapport HMR est fortement marqué par une hypothèse implicite de forte croissance démographique qui serait alors organisée autour de villes satellites à Montréal. D’une part, cette croissance n’a pas été au rendez-vous, d’autre part, on peut constater que le développement s’est produit selon un schéma inverse à deux composantes :

• premièrement, expansion interne par étalement du développement à l’inté-rieur de la région de Montréal, selon des logiques de localisation indus-trielles et commerciales axées sur l’accessibilité au réseau autoroutier et des logiques économiques et de qualité de vie pour le développement résidentiel;

• deuxièmement, contraction externe dans un périmètre plus vaste, conduisant à un appauvrissement de régions périphériques, déjà affaiblies par leur struc-ture manufacturière ancienne, et qui se cherchent de nouvelles vocations aujourd’hui.

4.1.2 Le rapport Picard

Le rapport Picard25a également été commandé par le gouvernement fédéral et le premier ministre, Brian Mulroney. Il est déposé en novembre 1986. Il s’agit d’identifier les objectifs de revitalisation de l’économie montréalaise et de for-muler un plan d’action.

Le président Picard, lui aussi soucieux de maintenir l’objectivité dans l’analyse de la situation économique de la région26, établit un diagnostic qu’il ne croit pas pessimiste : « Il est clair que les tendances lourdes ne sont pas encourageantes;

mais beaucoup peut être fait pour redéfinir un rôle et une mission propre à Montréal. »

Le contexte général est celui du déclin du poids démographique et économique de Montréal dans l’ensemble canadien, sous l’effet :

• d’un déplacement de l’activité vers l’ouest et le sud du continent favorisant de plus en plus Toronto;

• de la libéralisation des échanges depuis les années 1960 qui rapproche Toronto des régions américaines prospères;

• de l’accord canado-américain sur l’automobile de 1965;

• de l’aménagement de la voie maritime du Saint-Laurent;

• de l’établissement de la ligne Borden avec ses effets sur l’industrie pétrochimique;

• de l’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE;

• et d’une baisse de la natalité.

La disparité entre Montréal et Toronto est déjà présente dans les 1940 : « Même si Montréal croissait très rapidement dans les années 1940 et 1950 et au début des années 1960, Toronto croissait plus vite ». La décennie 1960 voit l’emploi aug-menter de 31% à Montréal contre 39% à Toronto et 53% à Vancouver. Le début des années 1970 est favorable à Montréal qui surpasse Toronto pour la croissance de l’emploi, avec les Jeux olympiques et le développement des services publics d’éducation et de santé. Mais à compter de 1975, le ralentissement se manifeste

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25 Rapport du Comité consultatif au Comité ministériel sur le développement de la région de Montréal, novembre 1986.

26 « Pessimiste, peut-être fallait-il l’être pour contrecarrer l’effet de trop de discours et de prises de position

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à nouveau : croissance démographique à peine positive due à un faible accroisse-ment naturel et à une « saignée migratoire ». La glissade s’accentue entre 1976 et 1981, alors que Toronto revient à une forte croissance. Les éléments d’explica-tion sont multiples : la concurrence accrue des pays nouvellement industrialisés dans les secteurs traditionnels, les deux chocs pétroliers et leur effet sur l’activité de raffinage, la poussée des salaires qui atteignent la parité avec ceux de Toronto en 1978 malgré un chômage plus élevé, un lourd fardeau fiscal, les aspects tatil-lons de la législation linguistique et des lois du travail, une « hausse amorphe de la productivité ».

Montréal a cependant des forces : taille et diversité de la base économique, masse critique en recherche industrielle, institutions d’enseignement supérieur (mais niveau de scolarité moins élevé qu’en Ontario et enseignement secondaire lais-sant à désirer), institutions médicales, base solide en génie-conseil, services, classe dynamique d’administrateurs francophones, infrastructures diversifiées en transports et communications, milieu bilingue, qualité de vie remarquable.

De plus, certaines perspectives peuvent exister du côté de la libéralisation des échanges, du dynamisme retrouvé de la côte Est, Boston en particulier, de la mon-tée de la classe d’affaires québécoise.

Les défis sont cependant « au niveau de la productivité, particulièrement dans le secteur manufacturier » et de la faiblesse du tertiaire, moteur montréalais.

Le Comité recommande deux grands objectifs :

• « rétablir Montréal dans son rôle de pôle majeur de développement au Canada et au Québec;

• faire de Montréal une grande ville à vocation internationale ».

Les recommandations visent « à équiper Montréal pour qu’elle puisse faire face énergiquement à une concurrence internationale de plus en plus vive et étendue. » À cette fin, sept axes de développement sont recommandés :

• les activités internationales : attirer des organismes internationaux, créer une Cité internationale;

• la haute technologie : créer une masse critique dans les secteurs prometteurs des télécommunications, des technologies spatiales, de l’aéronautique, de la micro-électronique, de l’informatique, des biotechnologies;

• la finance et le commerce international : faire de Montréal un centre bancaire et financier international;

• le design : faire du design une stratégie majeure pour le développement de la base industrielle et pour la restructuration des industries traditionnelles mon-tréalaises;

• les industries culturelles : renforcer les avantages de Montréal dans le domaine;

• le tourisme : regrouper les intervenants autour de projets majeurs;

• le transport : développer le potentiel intermodal de Montréal, consolider les activités aéroportuaires à Dorval.

Des mesures correctives sont également demandées au gouvernement du Québec, portant sur les aspects suivants : fardeau fiscal des particuliers, législation du tra-vail, immigration de personnel qualifié et amélioration de la collaboration uni-versités-industries.

Le rapport Picard présente une analyse approfondie de la situation réelle de l’économie montréalaise, qu’il perçoit en concurrence dans un ensemble conti-nental plus vaste. Il propose donc une relance de Montréal sur la base de ses secteurs économiques concurrentiels, en insistant sur la nécessité d’une action concertée des secteurs publics et privés. Ces axes de développement n’ont pas changé depuis le dépôt du rapport. Ils préfigurent une approche de grappes indus-trielles. Le mérite du rapport est d’avoir tracé la voie d’une réflexion de type stratégique sur l’avenir économique de la région, qui doit cependant être actua-lisée et aussi approfondie.

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