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L’évolution du processus d’adjudication sur les concessions

La question des mécanismes d’attribution des titres est centrale dans la gestion forestière, car ils constituent l’accès à la ressource, et leurs dysfonctionnements ont entraîné par le passé des difficultés d’approvisionnement des usines, des attributions à des non professionnels, la constitution des rentes foncières, la pratique du fermage, et le développement de l’exploitation illégale.

Le Cameroun est passé d’une situation caractérisée par un important désordre avant 2000 du fait d’un manque de critères d’attribution clairs, de l’absence de transparence dans les appels d’offres (appel d’offres des concessions de 1996 et des ventes de coupe 1999), d’un accès anarchique à la ressource et l’importance des pratiques frauduleuses, à une situation après 2000 où un système d’adjudication par enchères a été mis en place avec des critères d’attribution définis, le domaine forestier permanent a été découpé en unités forestières d’aménagement (UFA) mis en appels d’offres, avec comme mesure d’accompagnement la seule existence de deux types de titres légaux d’exploitation : les concessions composées de une ou plusieurs UFA, et les ventes de coupe (domaine forestier non permanent). En effet, les réformes telles que l’adoption d’un arrêté sur les critères de sélection et la procédure d’attribution, l’instauration d’une caution bancaire pour rendre les offres financières réalisables et comme système de sanction en cas de non respect des engagements par l’adjudicataire, l’intégration d’un observateur indépendant à toutes les étapes de l’attribution en vue de la sécuriser, améliorer la transparence et l’objectivité, ont permis d’améliorer notablement les procédures d’attribution concurrentielles des titres d’exploitation forestière.

Le processus d’attribution a connu deux étapes principales depuis 2000 :

1. L’amélioration progressive du système

Cette phase correspond aux appels d’offres des UFA de juin 2000, juin 2001, janvier 2002, et des ventes de coupe de décembre 2000 et décembre 2003, au cours de laquelle les différents acteurs (Administration, soumissionnaires, membres de la commission interministérielle d’attribution), ont assimilé et observé le processus.

D’une manière générale les travaux des commissions successives ont permis :

- de donner un signal fort dans la lutte contre l’exploitation illégale par l’élimination des soumissions des entreprises fortement impliquées dans l’exploitation frauduleuse,

- le relèvement des critères de soumission a permis d’écarter bon nombre d’aventuriers, et a rendu le secteur plus difficile d’accès,

- l’attribution des titres à des opérateurs qui ont investis durablement

- une remontée significative des offres financières des adjudicataires vers la valeur réelle de la ressource (bien que sur ce point certains opérateurs disent que les conditions des appels d’offres et la méconnaissance de la ressource les ont poussé, dans certains cas, à la surenchère).

- la possibilité laissée de continuer à présenter des offres « fictives », en raison d’une vérification non pertinente de certains critères tels que la possession des engins (les cartes grises sont fournies par toutes les sociétés y compris celles qui ne disposent pas de matériel), les garanties de financement, les investissements programmés ou réalisés.

- L’utilisation non transparente de la liste des sociétés sanctionnées, frappées d’infractions disqualifiantes, a parfois permis d’orienter les appels d’offres.

- Le fait que certains soumissionnaires avaient connaissance d’être seuls, a limité leurs au niveau du prix plancher. Ce phénomène pose un problème d’équité avec les soumissionnaires qui avaient été contraints lors des appels d’offres précédents de gagner les UFA à des prix très élevés en raison d’une forte concurrence.

Depuis 2000, le contexte de l’économie forestière a été marqué par l’attribution de 52 UFA (sur 76) dans des conditions de concurrence nettement renforcées par rapport aux attributions de 1996 et de 1997. Les 24 UFA attribuées en 1996 et 1997 ont vu leurs RFA relevées à 1.500 FCFA/ha (le plancher de l’époque), alors que les UFA attribuées depuis 2000 présentent une RFA moyenne de 3.353 FCFA/ha. On peut considérer que les adjudications significatives ont été réalisées à partir de 2000, quand des procédures plus sécurisées et améliorées ont été mises en place. Toutefois, des attributions se sont faites avec des montants de RFA proches du prix plancher, et ces montants plus modestes que la moyenne résultent d’un manque de concurrence et non pas de conditions particulières de la forêt mise en adjudication, comme le montre notamment l’analyse d’un des appels d’offres de 2005.

Evolution des offres gagnantes pour la RFA sur les concessions depuis 1996 0 1000 2000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 9000 1996 1997 1997 2000 2000 2000 2001 2002 2005 2005 Année d'attribution FCF/h a /an

Figure 10 : Niveau des offres financières gagnantes pour l’attribution des UFA

2. L’érosion du respect du principe concurrentiel de l’adjudication

Les dernières adjudications de mai-juin et novembre-décembre 2005 ont deux caractéristiques :

- le nombre anormalement élevé d’offreurs restant seuls en lice pour l’attribution d’une UFA (éviction de la concurrence potentielle initiale) ;

- le niveau nettement plus faible que la moyenne des offres financières découlant de ces « offres sans concurrence » (2216 FCFA/ha/an, contre une moyenne précédente des offres de 3673 FCFA sur les UFA depuis 2000)

L’appel d’offres de mai 2005 concernait 11 concessions. Au départ, 46 soumissions ont été enregistrées, mais 20 ont été écartées à l’ouverture administrative des plis, 15 autres à l’issue des travaux de la sous-commission d’analyse des offres. Il ne restait donc que 11 soumissions pour 10 concessions à attribuer, aucune offre n’ayant été enregistrée sur l’une d’elles…

Sur les 10 concessions, 9 d’entre elles n’avaient qu’un seul offreur. Bien que l’offreur resté seul en

lice a déposé son offre sous pli scellé conservé – c'est-à-dire que l’offreur devrait ignorer au moment de déposer son dossier qu’il sera seul en lice – on constate que les offres financières au dessus du taux plancher de 1000 FCFA/ha/an sont nettement plus faibles que sur la seule UFA où il y a eu une compétition entre deux offreurs. Dans le premier cas, la moyenne des offres supplémentaires (sur le taux plancher) est de +1217 FCFA, tandis que dans le second cas (concurrence) elle se monte à +3938 FCFA.

En novembre 2005, 8 concessions étaient mises en adjudication, dont 4 réservées aux nationaux. Sur 29 soumissions enregistrées, 12 ont été écartées à l’ouverture administrative des prix, 8 autres l’ont été à l’issue des travaux de la sous-commission d’analyse des offres. Il restait donc 9 offres pour 8 concessions. Cependant, dans ce cas la moyenne des offres est supérieure en l’absence de concurrence (moyenne de +2144 FCFA de renchérissement sur le taux plancher) que dans la seule concession où deux offreurs sont restés en lice (moyenne de +1159 FCFA au dessus du taux plancher). La liste des pièces demandées pour la confection du dossier d’appel d’offres varie selon que l’on se réfère aux pièces demandées par l’art. 65 du décret 095-531, aux pièces demandées par l'administration des forêts pour ces appels d’offres, aux pièces à fournir par les soumissionnaires prévues par l’art. 23 du Code des marchés publics. Cette diversité des sources est favorable à des interprétations fluctuantes permettant d’écarter ou de conserver en lice tel ou tel dossier. Le nombre de pièces demandées par l'administration des Forêts est le plus complet, mais sans doute également le plus superflu : est-il bien nécessaire de demander le bilan de 5 années comparées, le Plan d’investissement et les réalisations sociales pour que soit déclaré recevable le soumissionnement ? Tout se passe comme si l’objectif de l'administration était d’écarter le plus possible de soumissionnaires sur des critères non financiers16, dans des conditions parfois douteuses vu les conflits d’intérêt qui concerne certains membres de la Commission. Au risque de multiplier les offres uniques par concession, ces offres uniques étant d’un niveau financier plus bas que la moyenne. Le second appel d’offres de 2005 ne présente pas les mêmes problèmes, et semble donc indiquer que toutes les sessions d’attribution ne se ressemblent pas.

L’administration du MINFOF justifie la volonté d’écarter des soumissionnaires sur la base de documents administratifs non conformes par le souci de s’assurer de la qualité des offres et d’écarter les non professionnels. Bien sûr, la présentation de documents falsifiés doit être sanctionnée, et les infractions forestières passées prises en compte. Mais comme le note l’OI « la méthodologie et la procédure d’analyse des infractions ne permettent pas à tous les acteurs d’en comprendre les rouages. Les constats frauduleux établis et rédigés par les Agents assermentés du Ministère des Forêts sont transmis à leurs Responsables Hiérarchiques. Le circuit est long et favorise des délations justifiées ou injustifiées. Les dénonciations sont faites par certains forestiers sur les partenariats ‘réels’ existants sur le terrain entre des Opérateurs ». A travers l’ensemble de ces phénomènes, se glissent la subjectivité et les risques d’arbitraire. Avec comme conséquence un risque de jeter la suspicion sur la régularité de l’ensemble des opérations d’adjudication. Ce foisonnement des critères

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Dans l’appel d’offres de juillet 2006, une entreprise s’est vue écartée de la compétition au motif que le partenariat industriel qu’elle proposait avec une autre société dans le but d’acquérir une UFA, l’aurait conduit à une « surcapacité de transformation ». Cette appréciation n’est qu’un exemple parmi d’autres de la manière dont l'administration a réintroduit différents critères propres au gré à gré aux dépens de la logique concurrentielle du mécanisme d’adjudication (source : rapport de l’Observateur indépendant, rapport sur la 2è session spéciale des requêtes consécutives aux concessions forestières de la session de juillet 2006)

administratifs est donc dangereux à double titre : il favorise l’arbitraire, incite à la fraude sur le niveau de l’enchère ultime en conduisant à des soumissions sans concurrence, et il ne concourre en rien à sélectionner les meilleurs candidats.

Le fonctionnement de la Commission d’attribution donne lieu à de nombreuses critiques. De nombreux opérateurs avouent ne pas ou ne plus croire à une compétition loyale pour l’attribution des concessions. La complexité des « critères » est saisissante, comme l’indique ces extraits du dernier rapport de l’OI :

« Longues discussions sur le problème récurrent de la sémantique voire même de la lexicologie des termes d’engagement des banques: les attestations de surface financière libellées qui ne confirment pas toujours de la capacité réelle, effective de disponibilité ou de mise à disposition de ligne de crédit »

Par ailleurs, les critiques sont formulées au sein de la Commission elle-même, comme en témoignent ces extraits du rapport de l’OI déjà cité :

« (…) la Commission a encore manqué de rigueur en acceptant un dossier qui n'a pas justifié 10 jours après la caution bancaire qu'on lui exigeait. Cette société continue à exploiter les défaillances de l'Administration en ramenant des réponses dilatoires de la CBC. Pourquoi cette banque ne donne pas la garantie au lieu d'exiger que la Commission lui écrive ? (…) L'acceptation de [une société] qui n'a pas présenté de certificat de Non Redevances a été très mal prise par les autres Membres qui crient à l'injustice car les mêmes cas ne sont pas jugés de la même façon. Les autres Membres attirent l'attention du Président sur le fait que ce sont ces méthodologies qui confirment les accusations adressées par les Soumissionnaires sur l'absence d'objectivité de la Commission.

[une société] a été accepté sans que le critère objectif ait été respecté à savoir Disqualification pour non présentation de cette Attestation de présentation de l’original ».

La modification des niveaux d’offres financière par la Commission

Un autre fait singulier, relevé par l’OI dans l’appel d’offres du mai 2005, est la modification unilatérale des offres financières finales par la Commission, 15 jours après l’attribution des titres aux soumissionnaires déclarés attributaires. Les 3 offres les plus basses (respectivement 1500, 1620 et 2000 FCFA) ont été « remontées » à 2100 FCFA, tandis que l’offre la plus haute (celle issue de la seule attribution avec plus d’un soumissionnaire) était ramenée de 5375 à 5000 FCFA. Outre que cette pratique est contraire aux dispositions légales, comme le note l’OI, tout se passe comme si la Commission avait pris conscience que le caractère anormalement bas des offres à soumissionnaire unique pouvait jeter un doute sur la régularité de cet appel d’offres, et avait voulu rendre le résultat plus présentable. Quant au « rabotage » de l’offre la plus élevée, elle reste inexplicable et semble injustifiable.

Le même procédé a été relevé au cours des appels d’offres portant sur les Ventes de Coupe (VC) de juin-juillet 2005. L’aide-mémoire d’une mission de la Banque Mondiale effectuée en juillet 2005 note : « La mission a été informée qu’à l’occasion des récents appels d’offres relatifs à l’attribution de ventes de coupe (VdC) et des UFA, le MINFOF a introduit des modifications au système d’attribution qui avait été arrêté en consultation avec la Banque mondiale dans le cadre du CASIII et dont certains éléments sont consignés dans la Loi de Finances 2000 (Loi n0 2000/08 du 30 juin 2000, art 11). Parmi ces modifications, on trouve le relèvement du taux plancher et l’introduction d’un taux plafond (dans le cas des Ventes de Coupes). Le niveau décevant des offres financières enregistrées et la perception d’accords et/ou collusion qui auraient pu avoir lieu entre participants aux appels d’offres seraient à la base de ces changements. La mission note que les changements de ces conditions d’attribution sont intervenus après le lancement des offres et sont en décalage avec la documentation officielle y afférant ». Le rapport de l’OI fait apparaître plusieurs relèvements d’offres compris entre 2600 et 3700 FCFA, qui sont portés à 4000 FCFA, seuil minimum défini a posteriori par l'administration. L’OI note : « Malgré les règles de concurrence, la forêt camerounaise a été dévalorisée par rapports aux VC de 2003. Les offres financières variant entre 2.600 FCFA/Ha et 30.000 FCFA/Ha en 2005, contre 2.550 FCFA/ha et 81.520 FCFA/Ha en 2003. Soit les forestiers connaissent trop bien les VC en compétition ou s’entendent pour des enchères très basses ».