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Chapitre 2. Les émotions : définition, effets et modélisation

2.2. L’émotion : une évaluation cognitive

Scherer (2005) a proposé un modèle permettant de rendre compte des différents aspects qui entrent en jeu au cours de l’expérience émotionnelle, intitulé « Component Process Model of Emotions ». Selon ce modèle, la survenue d’un épisode émotionnel implique la mise en œuvre séquentielle de différents sous-systèmes allant du physiologique à l’expressif en passant par le motivationnel (voir tableau 1). L’émotion est ici conceptualisée comme un processus continu d’évaluation ou « appraisal » (Scherer, 1999), suggérant que les sous-systèmes sont reliés de manière dynamique et récursive. Un changement dans un des composants peut donc conduire directement à un changement dans les autres composants.

Toutes ces activations remplissent un rôle adaptatif et se font en continu. Autrement dit, une personne éveillée évalue en permanence son environnement avec pour but le maintien de son bien-être personnel.

Tableau 1. Les composants du modèle de Scherer (2005, extrait de Piolat & Bannour, 2008)

Fonctions émotionnelles Sous-systèmes organiques et

substrats majeurs

Composants émotionnels [COMPOSANTS]

Évaluation des objets et des

évènements Traitement informationnel (SNC)

Composant cognitif (évaluation)

[COGNITIF]

Système de régulation Support (SNC, SNE, SNA)

Composant neurophysiologique (symptômes corporels)

[PHYSIOLOGIQUE]

Préparation et direction de l’action Exécution (SNC)

Composant motivationnel

(tendances à l’action)

[MOTIVATIONNEL]

Communication de la réaction et

intention comportementale Action (SNS)

Composant de l’expression motrice

(faciale et vocale)

[EXPRESSIF]

Contrôle de l’état interne et interaction

organisme/environnement Contrôle (SNC)

Composant du système subjectif (expérience émotionnelle)

[SENTIMENT]

Note : SNC = Système Nerveux Central ; SNE = Système Neuroendocrinien ; SNA = Système Nerveux Autonome ; SNS = Système Nerveux Somatique.

Ainsi, lors d’un épisode « émotionnel », les composants s’activent de manière interdépendante afin d’assurer le traitement global de l’émotion. L’évaluation de chacun des sous-systèmes se fait de manière séquentielle et très rapide, de l’ordre de la milliseconde. L’objectif est de fournir à l’individu une évaluation rapide et urgente de la situation afin de s’adapter à l’évènement.

Plus précisément, Grandjean et Scherer (2009) ont détaillé les cinq composants bien distincts de l’organisme. En premier lieu, le composant physiologique ou périphérique efférent de l’émotion qui fait référence à l’état d’activation physiologique général accompagnant une expérience émotionnelle. Celui-ci permet de préparer l’individu à agir sur son environnement de manière adaptée. Ce premier composant intervient à la fois sur le système nerveux central et le système nerveux autonome. Plus concrètement, l’effet de ce composant physiologique peut se manifester au niveau de changements sur le système endocrinien (modification du taux de sécrétion des hormones) ou encore sur le système

nerveux autonome (modification du rythme cardiaque, de la pression sanguine, du rythme respiratoire, de l’activité électrodermale). D’ailleurs, Ekman, Levenson et Friesen (1983) avaient déjà mis en évidence que les individus présentaient des réactions physiologiques significativement différentes en fonction des émotions vécues. Les auteurs se sont intéressés plus particulièrement à six émotions : la colère, la peur, la surprise, le dégoût, la tristesse, et la joie dont ils ont étudié les manifestations à partir de cinq mesures physiologiques différentes. Leurs résultats ont indiqué que chaque émotion était associée à des réactions autonomes spécifiques. Par exemple, pour la colère, ils ont constaté une forte augmentation des battements cardiaques et de la température cutanée tandis que pour la peur, seule une augmentation des battements du cœur est rapportée. D’autres études ont aussi validé ce constat de variation des réponses physiologiques en fonction de l’émotion ressentie (Cacioppo, Berntson, Klein, & Poehlmann, 1997 ; Cacioppo, Berntson, Larsen, Poehlmann, & Ito, 2000).

Le composant expressif ou composant expressif moteur fait référence aux réactions comportementales et expressives. Il s’agit de la communication des réactions et des intentions comportementales, c’est-à-dire la communication de l’émotion à autrui et les réactions immédiates à une situation (réflexes). L’un des composants comportementaux parmi les plus étudiées est très certainement l’expression faciale (Keltner & Ekman, 2000). En effet, le visage est l’une des sources de communication principale des émotions à autrui. La majorité des signaux émotionnels proviennent de cette partie du corps. D’ailleurs, selon Ekman (1992), certains muscles du visage sont associés plus particulièrement à certains états émotionnels et permettent l’expression d’émotions primaires. Le composant expressif de l’émotion comporte également les aspects gestuels et vocaux de l’état émotionnel (changements de posture, mouvements du corps et des bras, regard). Par exemple, la colère provoque de l’agitation tandis que la tristesse déclenche un ralentissement des mouvements. En ce qui concerne la

voix, elle subit des variations en fonction de l’émotion ressentie : trémolo, affaiblissement ou hausse du volume sonore. L’expression des émotions se fait donc par divers canaux (verbaux et non verbaux), de façon complexe et élaborée. Cependant, pour Ekman et Friesen (1967), l’expression faciale est le composant le plus important, puisqu’il permet l’expression des différentes émotions primaires.

Les autres composants, moins étudiés, sont le composant cognitif qui correspond aux pensées, croyances et attentes qui dirigent le type de réaction émotionnelle et son intensité. Il garantit un contrôle permanent des stimulations internes et externes, c’est lui qui est « chargé » d’apprécier, d’évaluer le caractère utile ou nocif de l’émotion pour l’organisme en la mettant en rapport avec les besoins de l’individu. Le composant motivationnel prépare et dirige les actions. Enfin, le composant du sentiment subjectif qui comprend, l’ensemble des processus mentaux qui se déroule suite au ressenti d’une émotion. Il permet la traduction du ressenti émotionnel en mots au travers du langage. Il peut être conceptualisé comme la réflexion de ce qui se passe dans les autres composants (Scherer, 1984, 1993).

Cette conception cognitive de l’émotion a pour conséquence que les traitements effectués par les différents composants de l’organisme s’accompagnent d’un spectre très entendu d’états émotionnels. L’émotion est donc un concept qui peut revêtir de multiples significations et qui englobe bon nombre de processus physiologiques et psychologiques. D’ailleurs, dans la littérature relative à l’étude des émotions, il règne parfois une certaine confusion autour des termes émotion, humeur et affect. Le point suivant tente de clarifier la situation.