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Chapitre 3. Étudier l’influence des émotions dans le contexte scolaire

3.2. Induire une émotion ?

3.2.1. Chez l’adulte

Parmi les méthodes non hypnotiques ayant fait la preuve de leur efficacité, la méthode de Velten a été l’une des premières à être exploitée. Celle-ci, qui a été régulièrement utilisée (Bartolic et al., 1999 ; Brewer & Doughtie, 1980 ; Hale & Strickland, 1976 ; Scheier & Carver, 1977 ; Willoughby et al., 2002), consiste en la lecture de propositions émotionnellement chargées. Dans sa publication princeps, Velten (1968) a induit une émotion chez des participantes à partir de la lecture de 60 propositions qui progressent graduellement et qui sont en relation avec l’état émotionnel recherché (i.e., exaltation ou dépression). Plus précisément, un pré-test sous la forme d’un questionnaire était proposé afin de quantifier le ressenti émotionnel, puis il était précisé aux participantes qu’elles devaient essayer de ressentir l’émotion induite par la lecture des propositions. À l’issue de cette induction, le même questionnaire était proposé afin de quantifier et de vérifier si l’état émotionnel désiré était bien ressenti. L’étude de Hale et Strickland (1976) a fourni de sérieux appuis à cette méthode d’induction, en étudiant son effet sur certaines aptitudes cognitives (test de Stroop) et sociales (échelle de distance interpersonnelle confortable).

Des chercheurs ont toutefois remis en cause cette méthode, comme Polivy et Doyle (1980), qui ont repris la méthodologie de Velten et y ont ajouté une condition supplémentaire. Outre le groupe qui avait pour tâche de ressentir l’émotion suscitée par la lecture des propositions, d’autres participantes recevaient pour consigne de ressentir l’émotion inverse de celle qu’elles liraient dans la suite de l’expérience. Ces auteurs souhaitaient contrôler le possible biais dû aux attentes de l’expérimentateur, attentes qui étaient explicitées dès le départ. Polivy et Doyle (1980) ont montré que ce n’était pas vraiment la lecture des phrases qui induisait l’état émotionnel, mais plutôt, comme ils le soupçonnaient, le discours introductif de l’expérimentateur. En effet, dans le groupe expérimental avec « induction inverse », les résultats étaient contraires à ceux de Velten (1968). De plus, la question de la

possibilité de l’induction d’un état émotionnel unique s’est aussi posée : les participants sous induction émotionnelle ressentent-ils uniquement l’émotion voulue par le chercheur ou un éventail d’émotions ?

Plusieurs auteurs (Pittman & Pittman, 1979, 1980 ; Roth & Kubal, 1975 ; Strickland, Hale, & Anderson, 1975) ont montré, grâce à la passation du questionnaire MAACL (Multiple Affect Adjective Check List, Zuckerman & Lubin, 1965), une augmentation du niveau de ressenti émotionnel pour la composante émotionnelle attendue, mais aussi pour plusieurs autres. Polivy (1981) en a conclu que : « the evidence thus seems to indicate that, in general, arousing one emotion (at least in the laboratory) may actually result in changes in several emotions. » (p. 805).

Larsen et Sinnett (1991) ont publié une méta-analyse dans laquelle ils ont revu trois cent quarante et un effets issus de recherches publiées de 1950 à 1989 dans lesquelles la méthode de Velten était utilisée. Le but de cette analyse était de contrôler l’effet de la méthode d’induction sur la mesure des émotions. Ces auteurs cherchaient à savoir plus particulièrement si l’effet obtenu était bien dû à l’induction d’une émotion ou à la volonté des participants de répondre à l’attente du chercheur. L’un des critères à la base de cette méta-analyse était la manière dont l’induction d’émotion avait été présentée aux participants. Ces derniers connaissaient-ils le but de la lecture des phrases ? Ou les intentions de l’expérimentateur avaient-elles été masquées ?

Les auteurs ont conclu que la méthode d’induction des émotions de Velten produisait bien un effet, et ce même lorsque les buts de la recherche n’étaient pas exposés. Certes, dans ce dernier cas, cet effet était inférieur à celui obtenu en cas d’explication des buts de la recherche aux participants, mais il était tout de même significatif. Ainsi, comme le soulignent Brewer et Doughtie (1980), bien que cette méthode ait été critiquée, son efficacité est, en termes de résultats, assez bonne. D’ailleurs, cette méthode reste toujours utilisée (e.g.,

Bartolic et al., 1999 ; Willoughby et al., 2002). Parallèlement, d’autres méthodes comme le rappel autobiographique sont aussi employées.

L’utilisation du récit autobiographique est une méthode elle aussi efficace pour induire un état émotionnel. Mosak et Dreikurs (1973) ont éprouvé la validité de cette technique en demandant aux participants de se rappeler de moments ou d’événements heureux ou tristes de leur propre histoire. Cette méthode consiste donc à demander aux participants d’écrire ou de raconter une histoire personnelle pendant cinq à quinze minutes, comportant soit un contenu émotionnellement négatif, soit émotionnellement positif (Brand & Opwis, 2007 ; Brand, Reimer, & Opwis, 2007 ; Gilet & Jallais, 2011 ; Riener et al., 2011 ; Schwarz & Clore, 1983). Pour le groupe neutre, les participants écrivent sur le déroulement d’une journée habituelle (Balas et al., 2012). Selon Brewer et Doughtie (1980), cette méthode se distingue par deux points au moins par rapport à celle de Velten (1968) : le caractère très personnel de l’expérience et, surtout, le rappel d’émotions vécues réellement. Dans une étude menée auprès de jeunes adultes, Brewer et Doughtie (1980) ont comparé l’effet des deux méthodes d’induction (le rappel autobiographique se faisant cette fois à l’oral). Les résultats ont montré que le rappel autobiographique était plus efficace que la lecture d’énoncés émotionnellement chargés pour induire un état émotionnel négatif ou positif.

Une autre possibilité pour induire un état émotionnel est l’écoute passive d’une musique « joyeuse » ou « triste » pendant un certain temps ou pendant toute la durée de l’expérience (Clark, Iversen, & Goodwin, 2001 ; Dickhäuser & Reinhard, 2008 ; Standage, Ashwin, & Fox, 2010 ; Vieillard et al., 2008). Les expérimentateurs y ajoutent souvent la passation d’un questionnaire d’état émotionnel avant et après l’écoute de la musique, tel que le « Current Mood Report » (Larsen & Diener, 1992), qui permet aux participants de décrire leurs sentiments à un moment précis (Riener et al., 2011). D’autres chercheurs demandent aux participants, lors de l’écoute de la musique, de penser à un événement heureux ou triste

pendant quelques minutes (Chepenik, Cornew, & Farah, 2007 ; Harkness, Jacobson, Duong, & Sabbagh, 2010).

Le visionnage de petites vidéos, de petits clips, ou l’écoute d’une histoire comportant un contenu émotionnel est aussi une méthode d’induction des émotions très efficace (Kuhbandner, Pekrun, & Maier, 2010 ; Martin & Kerns, 2011). Ces films ou ces histoires sont présentés aux participants afin de stimuler leur imagination et de provoquer le ressenti de l’émotion voulue (pour une revue détaillée, voir Gross & Levenson, 1995).

Enfin, il existe encore d’autres possibilités moins exploitées d’induction d’une émotion :

- L’utilisation du feedback : les participants reçoivent des feedbacks positifs ou négatifs concernant leurs performances à diverses tâches. Ces informations peuvent être vraies ou fausses.

- L’interaction sociale : le principe est de créer un échange entre le participant et une ou plusieurs personnes censées lui transmettre une émotion ; l’idée générale étant que le comportement des autres peut avoir une incidence sur l’état émotionnel de la personne.

- La technique du cadeau : elle est utilisée pour favoriser des émotions positives. Cette procédure repose sur le principe que l’obtention d’un cadeau inattendu (bonbons, petit jouet ou encore coupe-ongles) fait plaisir aux participants (Arkes, Herren, & Isen, 1988 ; Isen, 1984).

- L’utilisation de l’expression faciale : il s’agit d’une technique issue de « the facial feedback hypothesis » (Leventhal, 1980). L’induction de l’émotion est faite en invitant les participants à adopter certaines postures faciales. L’expression sur le visage est censée entraîner l’induction de l’émotion.

Si le choix du type de méthodes d’induction émotionnelle peut être guidé par la situation expérimentale retenue, selon Westermann et ses collaborateurs (1996), ce sont les

méthodes d’induction par films, histoires ou par rappel autobiographique qui seraient les plus efficaces chez l’adulte. D’après ces auteurs, l’efficacité serait néanmoins variable en fonction de la valence émotionnelle à induire, une émotion négative étant plus facile à induire qu’une émotion positive. Selon d’autres auteurs, l’induction d’une émotion positive perdurerait significativement moins que celle d’une émotion négative (D’mello & Graesser, 2012 ; Monteil & François, 1998). De plus, d’après Isen et Gorgoglione (1983), les inductions d’émotions positives et négatives n’excèdent pas dix minutes, et ces auteurs notent une différence de durée de l’induction émotionnelle en fonction de sa valence.