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Écriture, motivation et affect : les modèles de Hayes (1996, 2012)

Chapitre 1. Le développement des processus rédactionnels et orthographiques

1.6. Écriture, motivation et affect : les modèles de Hayes (1996, 2012)

En 1996, Hayes propose un nouveau modèle de la production de texte qui tient compte des nombreuses recherches ayant eu lieu depuis la publication du précédent (Hayes & Flower, 1980). Ce modèle (figure 6) a deux composantes majeures : l’environnement de la tâche et l’individu. L’environnement de la tâche se décompose en deux éléments :

- l’environnement social (destinataires, collaborateurs),

- l’environnement physique (texte déjà produit, médium employé : traitement de texte, crayon, papier...).

L’individu comporte quatre composants engagés dans la rédaction :

- trois processus cognitifs sont présents dans la rédaction de texte : l’interprétation de texte, la réflexion et la production de texte. Il s’agit plus ou moins des trois grandes fonctions déjà présentes dans le modèle de 1980.

- la mémoire à long terme qui stocke plusieurs types de connaissances : les schémas de tâche, les connaissances du thème, les connaissances du destinataire, les connaissances linguistiques et les connaissances du genre.

- la MDT qui a ici un rôle fondamental. Hayes s’inspire du modèle de Baddeley (1986) et la décompose en un calepin visuo-spatial, une boucle phonologique et il y ajoute un système esclave appelé mémoire sémantique.

- enfin, la motivation et l’affect sont pris en compte au travers des buts, des prédispositions, de l’estimation du coût/bénéfice, des croyances et des attitudes.

Figure 6. Modèle de Hayes (1996, extrait de Piolat, 2004)

Hayes (1996) précise que tout processus non automatisé est traité dans la MDT, ce qui confère un rôle central à cette structure cognitive. De plus, il s’agit là du premier modèle qui attribue une place importante à l’étude du rôle des affects et de la motivation dans la production écrite qui, selon l’auteur, jouent un rôle décisif dans l’activité écrite. Hayes (1996)

précise que le fait d’avoir un but dans le cadre du processus rédactionnel amène à s’interroger sur rôle de la motivation. L’auteur s’appuie, entre autres, sur l’étude de Hayes, Schriver, Hill et Hatch (1990) qui ont montré que des étudiants considérés comme des rédacteurs de base, peu performants s’engageaient moins dans des activités censées leur permettre de progresser dans leurs aptitudes écrites, ce qui n’était pas le cas d’autres étudiants considérés comme moyen ou bon. Les étudiants plutôt faibles à l’écrit seraient donc moins motivés pour s’engager dans des activités écrites que les autres. Hayes (1996) précise aussi qu’au travers de l’écrit, selon leur motivation, les rédacteurs peuvent faire passer des messages concernant leur état d’esprit, ils peuvent tenter de donner une bonne image d’eux-mêmes et donc rédiger différemment selon leurs buts et motivations. Cependant, malgré la présence de la sphère affective dans le modèle et l’importance affirmée de la relation entre cognition et affect dans son titre, Hayes (1996) reste toutefois très évasif sur ce qu’il entend par affect. Ce manque de précisions ou de choix lors de la définition des termes, mais aussi d’un cadre, est peut-être à même d’expliquer pourquoi, par la suite, l’aspect affectif de l’écriture n’a fait l’objet que de peu de recherches.

D’ailleurs, dans la dernière version de son modèle (figure 7), qui reprend les grandes lignes des deux précédents (Hayes & Flower, 1980 ; Hayes, 1996) tout en les améliorant grâce à plus de trente années de recherches, Hayes ne parle plus des relations entre cognition et affects dans l’écriture. Cette fois-ci, il ne prend en compte que l’aspect motivationnel dans le cadre des processus rédactionnels, faisant disparaitre les affects. Plus précisément, quelques nouveautés font leur apparition, comme l’ajout d’un processus de transcription (orthographier et réaliser le texte sous une forme graphique) au niveau de l’environnement de la tâche. En effet, en tenant compte des résultats de nombreuses recherches qui ont mis en évidence un effet de l’environnement de la tâche (matériel utilisé pour écrire, graphie imposée ou pas, entrainement ou pas) sur le produit de l’écrit, Hayes affirme avoir été convaincu que le

processus de transcription est en compétition avec les autres processus en termes de ressources cognitives. Ce dernier lui paraît capable de modifier les ressources disponibles, d’où l’importance de le faire figurer dans son nouveau modèle.

Concernant l’aspect motivationnel, concept peut-être plus simple à définir et à modéliser que celui d’affect (voir chapitre 2), Hayes explique qu’il est aussi convaincu que pour bien comprendre la manière dont les gens écrivent, il faut absolument apprendre à étudier les processus cognitifs en tenant compte de la motivation. En effet, Hayes affirme que les rédacteurs grandement motivés pour produire des textes de qualités ont plus de ressources disponibles, plus d’éléments langagiers qui émergent que n’en ont les moins motivés. Ceci suggère, selon lui, que le temps passé à écrire et que l’énergie déployée pour atteindre une certaine qualité de l’écrit dépendent grandement de la motivation. Un autre aspect de la relation motivation-écriture soulignée par Hayes (2012) est issu directement des travaux en psychologie de la santé de Pennebaker et de son équipe (1997 ; Pennebaker, Kiecolt-Glaser, & Glaser, 1988) qui, en demandant à des participants ayant été exposés à un fort stress (une période de chômage) d’écrire à propos de faits stressants tel qu’un licenciement, ont constaté une amélioration psychologique et physiologique. Il est étonnant de constater que là où Hayes argumentait sur l’importance des affects au cours des processus rédactionnels dans son modèle de 1996 (partie Affective responses in reading and writing), en justifiant déjà son point de vue par les travaux de Pennebaker et de son équipe (Pennebaker & Beall, 1986), il ne parle aujourd’hui plus qu’exclusivement des aspects motivationnels. Ce revirement surprenant n’est pas expliqué par l’auteur. D’ailleurs, afin d’envisager l’effet de l’écriture sur le stress, Hayes (2012) a recours à la théorie de Galbraith (1999) selon laquelle des éléments intimes inexprimés pourraient se manifester au cours du processus de mise en texte. Il ajoute que c’est par ce phénomène que des sentiments enfouis et difficiles d'accès peuvent émerger pendant l’écriture. Alors que Hayes souligne l’importance de la sphère affective sur les processus

rédactionnels, lorsqu’il écrit par exemple que : « It may be through this process that hard-to-access feelings can be brought into consciousness during writing » (p. 373), il est remarquable de noter qu’il ne cite pas une fois le mot « affect » dans son dernier modèle (2012), préférant utiliser le terme de motivation. La disparition de ce terme questionne donc.

Figure 7. Modèle de Hayes (2012)

Ainsi, selon Hayes (2012), l’aspect motivationnel est intimement lié aux processus rédactionnels, c’est pourquoi il l’a inclus dans la révision majeure de son modèle en 1996 et à nouveau en 2012. Cependant, Hayes précise bien que son modèle ne rend pas vraiment compte de toute l’influence de la motivation sur l’écriture. Hayes relie l’aspect motivationnel à la définition des buts, mais ne précise pas comment la motivation peut influencer la mise en texte ou la révision.

Si, grâce aux modèles successifs de Hayes (1996, 2012), l’étude des processus rédactionnels a fortement évolué, prenant parfois en compte les affects et la motivation, il convient de noter que cet aspect paraît déficitaire du côté des études développementales.