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Chapitre 2. Les émotions : définition, effets et modélisation

2.3. Émotion, humeur et affect

L’utilisation mal délimitée des termes émotion, humeur et affect ajoute une certaine confusion à la problématique de définition des émotions. Ces concepts font référence à des

états mentaux internes, subjectifs, qui ont une durée et une intensité plus ou moins importantes. Bien que régulièrement utilisés en tant que synonymes et souvent employés de manière interchangeable dans la littérature (Beedie, Terry, & Lane, 2005 ; Blanchette & Richards, 2010 ; Ekkekakis, 2013 ; Ellis & Moore, 1999), chacun de ces termes représente une entité bien singulière et ils revêtent quelques distinctions définies ci-après.

Le terme émotion est souvent utilisé pour qualifier un état mental se manifestant par des modifications physiologiques, comportementales, cognitives, motivationnelles et subjectives (Luminet, 2002). Selon Ekman et Davidson (1994), l’émotion est une réaction précise et brève, provoquée par un stimulus déterminé. L’émotion correspond à un ressenti de courte durée, mais de forte intensité, ayant une cause précise et facilement identifiable (joie, tristesse, colère, peur, dégoût). À l’origine d’une émotion peut se trouver un individu, un contexte ou encore un objet vers lequel les émotions sont régulièrement dirigées (Corson, 2002 ; Isen, 1984). L’émotion est à même d’interrompre les comportements en cours dans certaines situations ou de provoquer des pauses, des arrêts dans les actions à mener (Ellis & Moore, 1999 ; Frijda & Scherer, 2009 ; Hänze & Hesse, 1993). Selon la conception de Scherer (2001) : « l’émotion est un ensemble de variations épisodiques dans plusieurs composantes de l’organisme en réponse à des événements évalués comme importants par l’organisme » (traduit par Sander & Scherer, 2009, p. 10). D’ailleurs, Sander et Scherer (2009) ont recours au concept d’épisode émotionnel plus qu’à celui d’état émotionnel afin de mettre l’accent sur le processus dynamique de l’émotion. Selon Frijda et Scherer (2009), l’émotion est en jeu lorsqu’il se passe quelque chose qui a une incidence directe sur l’organisme. L’émotion prépare l’organisme face aux évènements importants de la vie, ce qui lui confère une force motivationnelle importante tout en le préparant à l’action (Frijda, 2007). En résumé, en accord avec Frijda et Scherer (2009), l’émotion se distingue de l’humeur ou de l’affect, car (1) elle est orientée vers un événement ou un stimulus spécifique (perçu, imaginé,

remémoré), (2) elle a un fort impact sur les comportements en raison de la préparation de la mise en action, (3) elle active la plupart des sous-systèmes de l’organisme, qu’elle peut, dans une certaine mesure, synchroniser, (4) elle prend le contrôle prioritairement sur les autres processus en cours, les surpassant. En conséquence, ces éléments permettent de percevoir l’émotion comme un ensemble de variations d’une durée d’activation relativement courte, mais d’une intensité bien plus importante que l’humeur par exemple.

L’humeur est définie généralement comme l’ensemble des dispositions, des tendances dominantes qui forment le tempérament, le caractère. Elle est considérée comme un état affectif très envahissant qui dure dans le temps (Corson, 2002 ; Ekkekakis, 2013 ; Ekman & Davidson, 1994 ; Forgas, 1999). L’humeur serait « tonique » tandis que l’émotion serait « phasique », mais toutes deux interagiraient. Ainsi, l’humeur peut faciliter l’émergence d’une émotion alors que l’émotion, ou plus largement l’état émotionnel, peut se transformer avec le temps en humeur. L’humeur qui est diffuse et globale, est aussi, selon Frijda (2009), « the appropriate designation for affective states that are about nothing specific or about everything, about the world in general » (p. 258). Ainsi, l’humeur ne concerne pas l’ensemble des composantes impliquées dans l’émotion. Si l’humeur est un état qualifié de durable, une disposition affective de base, l’affect est plus une qualité de l’expérience subjective qui accompagne les émotions (Corson, 2002).

En effet, l’affect est généralement défini comme l’ensemble des manifestations subjectives accompagnant les sensations, les sentiments, les émotions et certaines pensées. Selon Russell qui parle de « Core Affect » (2003, 2009), l’affect influence la perception, les réflexes, la cognition et les comportements et il est lui-même influencé par de nombreuses causes internes et externes. Le « Core Affect » est un processus primaire, un état neurophysiologique accessible à la conscience sous une forme simple telle que le sentiment de bien-être, de mal-être, de se sentir léthargique ou au contraire de se sentir plein d’énergie.

Selon le modèle initial de Russell (1980), il serait possible de représenter les composants de l’affect autour d’un cercle comportant deux axes : les dimensions de valence (plaisir / déplaisir) et d’activation (faible / forte), qui représentent l’affect en tant qu’expérience subjective sur un continuum (pour l’une des dernières versions du modèle, voir Russell, 2005). Afin de clarifier le concept d’affect, Russell (2009) tente de le définir par exclusion. Ainsi, l’affect (1) n’est pas simplement un jugement de moralité, (2) ne peut se confondre avec l’émotion et n’est pas une caractéristique nécessaire de l’émotion. En effet, un état émotionnel débute et se termine après un certain temps tandis que l’affect correspond à un état dans lequel se trouve un individu, état qui varie simplement au cours du temps, parfois doucement et d’autres fois rapidement sans que l’on puisse identifier un commencement et une fin. (3) L’émotion est dirigée vers quelqu’un ou quelque chose (la peur, la colère envers autrui ou un objet) tandis que l’affect n’est pas nécessairement dirigé vers un référent. Ainsi, l’affect peut-être perçu comme un état de flottement libre, sans but (ressentir quelque chose, mais sans savoir pourquoi).

En conclusion, malgré l’interchangeabilité récurrente dans les publications des termes émotion, humeur et affect, ces paragraphes ont permis de cerner la particularité de chacun de ces termes en relation avec des auteurs clés. Plus spécifiquement, grâce aux travaux de Scherer (1984, 1999, 2009), il est possible de mieux percevoir la spécificité de l’émotion par rapport aux autres phénomènes comme l’humeur ou les affects. Cette clarification permet de se focaliser à présent sur l’étude de l’effet des émotions sur la cognition.