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L’émergence de la théorie de la traduction

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 167-170)

2.- Les principes de la SasP

Section 2. La théorie de la traduction

1. L’émergence de la théorie de la traduction

La théorie de la traduction a été développée dans les années 70 autour des travaux simultanés de plusieurs chercheurs (Callon, Latour et Law) qui partageaient la volonté d’étudier la science en train de se faire en opposition avec leur héritage sociologique. La sociologie traditionnelle des sciences développait une sociologie des scientifiques ou des institutions scientifiques, lorsque ces auteurs désiraient construire une sociologie de la science, du fait scientifique.

Callon et Latour se sont rencontrés à la fin des années 70 ce dernier venait de compléter une étude ethnographique dans un laboratoire de recherche Américain. Callon était pour sa part à l’époque un des rares chercheurs, sinon le seul en France, à s’interroger sur la formation des sciences. Il ne s’intéressait pas aux institutions en soi, mais à l’ensemble des « choses » qui sont à l’origine de l’émergence du fait scientifique. C’est sur ce point que les deux chercheurs se sont retrouvés et ont travaillé ensemble au sein du Centre de Sociologie de l’Innovation (CSI) à l’Ecole des Mines de Paris, Latour cherchant des collègues proches de son approche et Callon voulant sortir de l’isolement intellectuel dans lequel il se trouvait.

Le positionnement sociologique alors en vigueur reposait sur le postulat que sciences et innovations sont les conséquences de la volonté. En d’autres termes, il est décidé de faire une recherche ou une innovation, cette recherche est réalisée et un résultat est obtenu. De plus, l’ensemble des acteurs s’accordaient sur l’idée que la recherche fondamentale toujours initiée dans les laboratoires publics, avant d’être reprise par les laboratoires privés dans le but de l'opérationnaliser et de l’exploiter. Ils reconnaissaient une dichotomie entre ces deux types de laboratoires avec une vraie distribution des rôles. La nouvelle approche de la science défendue par Callon et Latour (entre autres) insistait sur la nécessité de sortir de ce modèle 'input-output' trop simpliste et à la limite du magique dans lequel la connaissance est créée puis nécessairement utilisée, diffusée.

Dans une étude sur le projet de voiture électrique porté par EDF dans les années 1970, Callon (1979) a mis en exergue que ce projet rassemblait, au-delà d’EDF, un grand nombre de parties prenantes, scientifiques ou pas. A partir de ce constat, il s’est interrogé sur les conditions de réalisation du projet à travers la constitution d’un réseau d’acteurs et aux mécanismes actionnés pour relier et faire dialoguer tous ces univers qui n'ont rien en commun autour de ce projet. L'idée de la traduction développée par Serres (1974) va apparaître à Callon comme la clé de voute de la réponse à cette problématique. Callon écrit son premier texte sur la traduction « L'opération de traduction comme relation symbolique » en 197484. Dans ce texte, Callon apporte l'idée de réseau de problèmes et l'opération qui permet de passer d'un problème à un autre en rendant intelligible les problématiques de chacun tout en conservant l'identité de chaque groupe, est la traduction. Ce concept sera la clé de voute de toute une tradition de recherche, la théorie de l’acteur-réseau.

La majorité des développements théoriques à partir du concept de traduction ont été menés sous la dénomination de la théorie / sociologie de l’acteur réseau plutôt que sous l’appellation de théorie / sociologie de la traduction. L’histoire de la domination du premier terme sur le second est tout à fait intéressante car elle illustre bien la science telle qu’elle se fait. La notion d’acteur-réseau était au départ un néologisme de Callon dans son article de 1979 sur cette innovation prometteuse mais non concrétisée, le véhicule électrique. Il montre dans ce travail comment le monde sociotechnique qui soutient le moteur thermique résiste à un monde sociotechnique alternatif et concurrent, celui du moteur électrique. Le terme d’acteur-réseau

84 C’est Michel Callon lui-même qui nous a parlé de cet article lors d’un entretien en août 2009. Il n’a jamais été publié et est aujourd’hui introuvable.

illustre la construction de ce monde : réseau puisqu’il prend la forme d’un réseau ; acteur car ce monde n’existant pas il doit se construire par le réseau pour agir sur le réel (en être un acteur). L’acteur-réseau est une description morphologique des agrégats auxquels on s'intéresse et la traduction agit tel un courant électrique qui fait bouger ces réseaux. Cette expression a marqué les esprits car elle réunit deux termes habituellement opposés. C’est après la traduction de cette étude en anglais (création du terme Actor-Network) et sa diffusion que John Law, dans son rôle d’éditeur, a réuni ces travaux sous la dénomination d’Actor Network Theory (Théorie de l’Acteur-Réseau, désormais TAR), alors même que Callon et Latour se défendent d’avoir créé une théorie de l’acteur-réseau.

Peut-on d’ailleurs parler de théorie lorsque Callon affirme « qu’il n’est plus possible de décrire de manière simple et unifiée les stratégies qui ont été développées par les uns et les autres, et c’est tant mieux » (Callon, dans Callon et Ferrary, 2006 : p.43) ? Nous ne cherchons pas à répondre à cette question mais nous soulignons que les développements réalisés sous la dénomination TAR sont nombreux, divers et même parfois incompatibles. C’est la raison pour laquelle nous n’utilisons pas l’appellation TAR dans ce travail. Nous lui préférons celle de théorie ou sociologie de la traduction. Celle-ci est plus claire et correspond au cadre théorique que nous mobilisons et principalement construit sur les travaux de Michel Callon (1979, 1980, 1981, 1986, 1992, 1991, 1994, 1995), sur les développements d’Akrich, Callon et Latour (1988a, b, 1992), Mustar et Callon (1992), Callon, Laredo et Mustar (1995), Callon et Latour (1981, 1985, 1991, 1992) ou Latour (1987). Par soucis de cohérence et de clarté nous n’utilisons pas les développements les plus récents de la théorie de l’acteur-réseau. Ceci ne préjuge pas de leur intérêt mais nous considérons l’ensemble des travaux cités ci-dessus comme suffisamment riche, homogène et pertinent en soi dans le cadre de notre sujet d’étude.

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