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Source 4 : des connaissances antérieures, en matière de paysage ou d’aménagement

3.3 L’émergence de la figure de « l’habitant »

On peut se demander si les débats autour de l’éolien ne verraient pas l’émergence d’une nouvelle figure, celle de l’ « habitant ». L’analyse des entretiens réalisés sur le terrain finistérien montre que certains acteurs, publics ou privés (notamment des paysagistes d’institutions publiques ou de BE privés, des membres d’associations environnementalistes s’opposant à l’implantation d’éoliennes), dressent le portrait d’un « habitant » en tant qu’être humain non seulement social mais plus largement géographique : un être-au-monde, vivant les changements de son environnement – un environnement où local et global sont en interrelation – et y participant – c’est-à-dire les interprétant, les appréciant, les ressentant depuis ce qu’il est et ce qu’il fait, depuis les relations qu’il entretien avec d’autres84. Cette

83 Encore qu’il faudrait peut-être nuancer ce propos. Il faudrait pouvoir se pencher plus précisément sur les

quelques actions de concertation conduites à l’échelle communale à l’initiative d’opérateurs privés, dans le Finistère, aux débuts du développement éolien (tâche délicate lorsque les processus n’ont pu être observés directement et que les sources sont des acteurs privés, qui n’ont pas obligatoirement consigné ces processus dans des documents d’archives destinés à être rendus publics). De même, l’analyse des contenus discutés voire élaborés au Québec dans le cadre des audiences publiques sur l’environnement pourrait être approfondie par l’examen de tous les mémoires déposés aux huit audiences, complétés par des entretiens (l’avis de certains acteurs exprimé dans le cadre d’audiences ont pu différer par la suite) (là encore, la tâche est toutefois difficile lorsque les processus n’ont pu être observés en temps réel). Si cette démarche relève de la consultation, il semble toutefois que ses spécificités (son envergure, le caractère public des échanges, …) en font un processus qui peut s’avérer bien plus riche que des dispositifs tel que l’enquête publique en France.

84 Selon une perspective proposée par la nouvelle géographie culturelle et en particulier par les approches

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figure est également implicitement présente dans le groupe portant une vision plus critique et plus politique du paysage, où les personnes expriment notamment leur attachement à leurs paysages et à leur « beauté », comme nous l’avons relevé lors de l’examen d’une audience publique tenue au Québec. Cet habitant est donc celui qui se tient (et se meut) dans les « paysages ordinaires », cette catégorie mise en avant dans les débats publics par un rebond sur celle de « paysages emblématiques ». C’est « Mme-Michu-quand-elle-va-acheter-le- pain », pour plagier la formule d’un des paysagistes interviewés.

Cet habitant se distingue du « riverain », figure dominante des débats éoliens, qui émane surtout d’une vision managériale et/ou marchande et dont la dimension géographique tend à être réduite à une dimension purement spatiale (distance / proximité) : pour les promoteurs, le riverain, c’est ce propriétaire auquel on peut allouer un revenu afin d’installer des éoliennes sur ses terrains, voire ce voisin dont on peut « acheter » le silence ; pour les acteurs publics voire les promoteurs éoliens, c’est ce voisin duquel il faut éloigner au minimum les éoliennes (500 mètres, 1 kilomètre, …) afin qu’il ne « réagisse » pas ; pour un grand nombre d’acteurs diversifiés dont en particulier des opposants organisés, c’est ce « citoyen handicapé » qui ne s’exprime dans aucune procédure participative, notamment car il serait persuadé, d’une part qu’il ne possède pas de connaissances « légitimes » sur le sujet pour participer au débat politique, d’autre part qu’il n’y a pas de place aux éléments purement subjectifs, émotionnels, psychologiques, dans le débat politique.

Cet « habitant » se distingue aussi du « citoyen », celui qui a droit de cité, qui est autorisé à participer aux affaires publiques par le moyen de procédures démocratiques. Le citoyen est d’ailleurs très peu présent dans les discours analysés – encore moins nommé. Cela va de pair avec la faiblesse de la dimension politique que nous avons pu mettre en évidence dans la logique dominante de la participation.

Les analyses conduites sur le terrain québécois font ressortir, quant à elles, l’importance de la notion de « territoire habité ». Même si l’implantation d’éoliennes y prend des formes radicalement différentes (taille des projets, concentration spatiale), elle conduit dans les deux cas à faire émerger la notion d’habiter. Ainsi, comme la dissémination de petits parcs pose la question de la « co-visibilité » en France, la concentration de grands parcs au Québec pose avec acuité la question des « impacts cumulatifs ». En stimulant le besoin d’un meilleur encadrement de l’implantation des éoliennes en amont des projets et à une échelle régionale, elle conduit aussi à réfléchir à la qualité du territoire habité et à son importance dans les dynamiques de développement. Cette réflexion peut revêtir deux directions. Lorsqu’elle prend la direction du développement économique, elle invite à concevoir les paysages et les populations locales comme des ressources pour l’industrie touristique (on retrouve une logique marchande ?). Elle peut aussi prendre une direction plus proprement géographique – au sens du terme déjà employé ci-dessus – : aux habitants sont reconnus des besoins socio- culturels légitimes, notamment en termes d’identité, au travers de la question des paysages.

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PROPOSITION : POUR UNE PRISE EN COMPTE DE L’HABITANT ?

Repérer cette émergence de la figure de l’habitant nous conduit à proposer que soit reconsidérée la question de la participation à partir de cette figure. Nous l’avons vu dans nos analyses : la participation est actuellement mal définie et, de plus, peu mise en œuvre, et la première chose serait sans doute d’œuvrer à sa dimension politique, démocratique (bien d’autres auteurs ont déjà souligné ce point). Mais l’esquisse de cette figure de l’habitant ne peut-elle nous convaincre de la pertinence de réfléchir à une participation des populations aux orientations collectives en matière d’aménagement du territoire qui serait plus large que politique ? Une participation qui accueillerait dans le débat des éléments relevant de la sensibilité et des goûts propres des personnes ? Une participation qui reconnaîtrait la dimension collective des représentations sociales des paysages (« cultures paysagères » en présence, relatives à tels ou tels groupes d’acteurs) et, donc, la possibilité de fixer explicitement des objectifs en termes de co-construction de représentations ? Sa mise en œuvre supposerait un travail sur les méthodes : quels dispositifs mettre en œuvre, dans quels lieux, avec quelles techniques ?

C’est en ce sens que nous avons proposé de développer, aux côtés des méthodes participatives « classiques » et relativement bien connues – ce qui ne veut pas dire que leur mise en œuvre soit facile –, des méthodes qui permettent aux personnes de s’exprimer aussi directement depuis leurs façons de vivre un environnement au quotidien : notamment, entretiens en face à face dans des lieux privés (domicile, …), avec des personnes s’exprimant aussi dans les lieux de discussion publiques ainsi qu’avec des personnes ne s’exprimant pas dans de tels lieux. Cela permettrait de documenter, de façon rigoureuse, la diversité des représentations sociales des paysages (existants comme projetés), qui, par la suite pourrait servir de base pour élaborer la co-construction d’orientations en matière d’aménagement sur des bases plus riches. Cette proposition tente de répondre au fait que, non seulement il apparaît que les personnes ne font pas toujours part des mêmes préoccupations dans les réunions publiques que dans d’autres lieux d’expression (voir par exemple ce qui ressort de l’analyse des positions des acteurs lors des réunions du BAPE puis des positions défendues ultérieurement), mais, tout simplement, elles ne parlent pas forcément des mêmes choses, n’abordent pas les mêmes registres de préoccupation. En ce sens, il n’est pas possible de prétendre obtenir une connaissance exhaustive et rigoureuse de la diversité des représentations d’acteurs, uniquement à partir de tels mécanismes de participation publique, comme proposée dans plusieurs démarches d’acteurs publics. Or, cette connaissance nous apparaît nécessaire pour deux raisons. Elle permettrait, d’une part, de comprendre les rationalités qui fondent les discours exprimés publiquement (ex : médias, conseil municipaux, audiences) et, d’autre part, d’amorcer un dépassement de discours et positions d’acteurs qui tendent souvent à se cristalliser dans ces lieux et qui, ainsi, ne permettent pas d’ouvrir un véritable espace de discussion et de débat collectif.

L’émergence de la figure de « l’habitant » n’est pas indépendante de la façon de penser l’action publique. Nous constatons que le «zonage» demeure une façon largement adoptée pour formaliser une norme d’aménagement reconnue, qu’elle ait un caractère réglementaire (ex : Zone de Développement Éolien en France, Règlements de contrôle intérimaires adoptés au Québec) ou non, comme à l’issu d’un processus de discussion et concertation (ex : Charte). Dans nos deux cas, le zonage se construit autour de catégories qui soit interdisent totalement l’implantation de parcs éoliens, soit l’autorisent, soit l’autorisent sous certaines conditions (souvent à préciser au cas pas cas). Cependant, nous observons une tendance à la remise en

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cause de la pensée par zonages. Dans le cas français, elle est sous-jacente à la mise en perspective des deux notions antagoniques de « paysages emblématiques » et de « paysages ordinaires ». Le cas québécois montre que des expériences de réflexion sur les zones de localisation des parcs (exemple : les négociations entre la MRC de Rivière-du-Loup et des promoteurs) ne permet pas de résoudre le problème de « l’acceptabilité sociale » : repoussées du bord du fleuve au motif que son paysage est fortement valorisé (équivalent des « paysages emblématiques » ? ), les éoliennes sont en passe d’être installées plus à l’intérieur des terres… dans des territoires habités et abritant des pratiques sociales importantes (équivalent des « paysages ordinaires » ? ).

Autour de la problématique de l’implantation d’éoliennes, la question du paysage est donc posée avec acuité ; elle va dans le sens d’une réaffirmation de sa dimension sociale et politique au travers des notions de « représentations sociales des paysages », de « paysages ordinaires », d’ « habitant », … Son croisement à ce jour incomplet avec l’impératif de la participation des populations aux orientations collectives, issu de la préoccupation portée par l’idée de développement durable, pose toutefois la question suivante : comment peut évoluer la notion d’esthétique dans le contexte de l’éventuelle mise en place d’une participation des populations aux orientations collectives en matière de paysage ?