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Source 4 : des connaissances antérieures, en matière de paysage ou d’aménagement

3.1 Développement de la production énergétique éolienne et montée des contestations

Au Québec, le développement éolien est issu du croisement d’une politique énergétique formulée au niveau national et d’une politique économique formulée en termes de développement régional, sous l’effet de demandes sociales. Il aboutit à la création de grands parcs, selon un effet de concentration. En France, il résulte d’une politique énergétique et industrielle élaborée à l’échelle nationale. Mais, la volonté de mettre en place les bases d’une filière industrielle y est moins marquée ; en outre, elle n’a pas de traduction géographique précise. Cette politique énergétique nationale est encore renforcée par la suite dans le contexte de la libéralisation du marché de l’électricité. Elle aboutit à la multiplication de petits parcs, selon un effet de dissémination géographique.

Dans les deux pays, au départ, un système d’appel d’offres est mis en place. Au Québec, en 2003 puis 2005, les appels d’offre visaient 1 000 et 2 000 MW. Parmi les critères d’éligibilité, la garantie d’un minimum de retombées économiques pour un territoire ciblé (la région administrative de la Gaspésie et la MRC de Matane), l’« acceptabilité sociale » (sous la forme d’un avis favorable de la part des élus locaux), le respect des règlements d’aménagement en vigueur. Pour être concurrentiels, les promoteurs devraient miser sur de très grands parcs d’éoliennes (économies d’échelles) ; la présence de plusieurs parcs rapprochés dans un territoire devrait favoriser l’émergence d’un marché susceptible d’attirer des équipementiers qui viendraient s’installer sur place.

En France, le programme Éole 2005 lancé en 1996 visait 250 à 500 MW installés à l’horizon 2005. Les critères pris en compte dans le cadre de cet appel d’offres étaient : le prix proposé pour le rachat de l’électricité, l’intérêt économique et industriel du projet, l’intérêt à terme des solutions techniques proposées, le respect de l’environnement, l’avis des collectivités territoriales et l’implantation géographique. Pour ce qui est de l’implantation, le souci qui domine est celui de la dissémination géographique pour des raisons énergétiques : cela rend plus facile l’absorption de l’électricité produite par le réseau existant et permet d’éviter la construction de centrales thermiques d’appoint dans des zones de forte production éolienne, celle-ci étant par nature intermittente. En 2000, le rapport Cochet pointe les raisons de l’échec relatif du programme (11,4 MW raccordés fin 1999) : les appel d’offres privilégient de grandes installations (« gigantisme ») alors que les évolutions des technologies, des critères d’aménagement du territoire et de la demande sociale se conjuguent en faveur d’une décentralisation de plus en plus poussée de la production. Un revirement dans la politique est acté par la loi du 10 février 2000, dite de « modernisation et de développement du service public d’électricité » : on passe au système de tarifs de rachat garantis (proposition issue du rapport Cochet), avec obligation pour EDF de racheter l’électricité éolienne d’installations n’excédant pas 12 MW. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

Le développement éolien est donc pensé à l’origine de façon assez comparable (délégation d’un nouvel équipement au secteur privé, ce qui constitue une situation inédite dans les deux cas ; accord des élus locaux ; respect des règlements en vigueur en matière d’aménagement, d’environnement) dans les deux pays sauf sur deux points essentiels : l’ampleur à lui donner et la question des retombées économiques, fortement prégnante au Québec et conçue dans une optique de développement régional.

Pourtant, dans les deux cas, on assiste à une montée de contestations sociales, avec le paysage en bonne position sur la bannière des revendications. Dans l’est du Québec, c’est l’effet de concentration recherché pour des motifs de développement économique qui suscite des questionnements : les critiques portent entre autres sur des « impacts cumulatifs » causés par la multiplication des grands parcs qui sont jugés négatifs pour la qualité de vie. Ces critiques sont encore plus vives lorsque plusieurs grands parcs sont localisés dans des parties du territoire particulièrement valorisées, comme le bord du fleuve et de cours d’eau dans le Bas- Saint-Laurent. La « banalisation » des paysages ressort comme un argument-phare. En France, l’argument phare est celui du « mitage » des paysages qu’induirait la politique énergétique (certains parlent de « mitage territorial institutionnalisé » à l’échelle du pays entier). Ce mitage est qualifié de particulièrement inadmissible dans des territoires comme ceux du Finistère, où les paysages sont caractérisés par leur petite échelle et la dispersion de leurs composantes, notamment bâties ; il semble encore plus mal perçu lorsqu’il touche les zones littorales, particulièrement valorisées. Pour certains acteurs, ce « mitage » est source de « banalisation » des paysages.

Ainsi, bien que prenant des ampleurs et des formes radicalement différentes en France et au Québec, l’implantation des éoliennes est critiquée de manières similaires en termes de paysage. Cela alimente l’idée selon laquelle il y a une relative indépendance entre

- la forme des projets – la forme matérielle des parcs – ; - la forme que prend le processus d’élaboration du parc ;

- la nature et l’intensité des réactions sociales qu’engendrent les projets.

Un autre registre de critiques est économique et financier. Au Québec, les critiques centrées sur des aspects économiques des projets de parcs forment très tôt un thème important des préoccupations sociales, entre autres sous l’angle de la création des emplois découlant de la construction des parcs, de leur entretien et surtout ceux issus des usines d’assemblage et des services. Cette préoccupation est même commune aux acteurs qui soutiennent les parcs comme à ceux qui s’y opposent. Ils sont aussi préoccupés des retombées économiques découlant des négociations avec les promoteurs des parcs, soit les montants « volontaires » accordés aux municipalités et les redevances négociées avec les propriétaires terriens. Ces dernières deviendront cependant un sujet litigieux, débattu notamment dans la presse, car elles sont jugées inéquitables d’une région à l’autre.

En France, la question économique est peu présente (retombées en termes d’emplois, …). Cela est peut-être à mettre en parallèle avec la faible explicitation des dimensions économiques dans la politique nationale de développement éolien. Pourtant, au fil des années, une filière s’est peu à peu installée sur le territoire nationale et elle est même exportatrice82.

82 Quelques chiffres pour illustrer ce point. En 2005, Vergnet et Jeumont se partagent 11,8 % du marché français,

alors que le principal fournisseur est l’Allemand REpower. En 2005, Areva acquiert 21 % de REpower. En 2008, Areva décroche un contrat de 500 millions d’euros en Allemagne. Il s’agit de fournir 80 éoliennes de 5 MW chacune à Prokon Nord pour un parc éolien offshore. En 2007, Eiffel, filiale d’Eiffage spécialisée dans la

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

Par ailleurs, il est point qui n’est que très rarement souligné : le développement éolien a eu des répercussions sur la filière des bureaux d’études dans plusieurs domaines : développement éolien bien sûr, mais aussi paysage, environnement (par exemple, nombre de BE acquièrent des compétences dans l’étude des chauve-souris). En revanche, en France, les aspects financiers forment un sujet de plus en plus sensible, qui atteint un paroxysme en 2008. Elle est posée à une autre échelle que celle des propriétaires fonciers, celle de la nation et du citoyen français en général (Cf. rapport de l’Institut Montaigne notamment, les efforts des lobbies anti-éoliens faisant annuler l’arrêté tarifaire, …). Cette tendance est parallèle à un autre phénomène que nous avons relevé, le renforcement d’une demande sociale de type marchand (« ma maison perd de la valeur à cause des éoliennes dégradant les paysages »…).

Faisons ici une remarque sur la notion de « durabilité » telle qu’elle apparaît être mobilisée par les acteurs impliqués à un titre ou à un autre dans le développement éolien. Au Québec où la politique éolienne insiste sur les aspects économiques, la notion qui réfère à la temporalité revient régulièrement dans les discours et dans les documents consultés. Elle est généralement associée à la « pérennité » d’un secteur d’activité qui, dans certains cas, est considéré comme contribuant au développement (durable) d’un territoire. En ce sens, il ne s’agit pas d’une nouvelle façon d’envisager des projets au nom du développement durable mais, plutôt, d’un questionnement sur la viabilité de ceux-ci. En France où la politique éolienne est peu formulée en termes économiques – en tout cas dans l’exemple analysé du Finistère –, la question de la temporalité n’est pas posée pour le secteur d’activité mais pour les sites de production – les parcs éoliens – ; et c’est au contraire leur réversibilité potentielle qui est soulignée et présentée comme un atout – « si ça ne marche pas, on pourra toujours revenir en arrière »).