• Aucun résultat trouvé

ÉCONOMIQUE ? TERRITORIAL ?... ?

1.1.1 LE DÉVELOPPEMENT DURABLE : UNE BOÎTE NOIRE QUE L’ÉNERGIE ÉOLIENNE, EN TANT QU’ÉNERGIE RENOUVELABLE, EST SUSCEPTIBLE D’INCARNER À ELLE SEULE

Dans les entretiens, la notion de développement durable est très rarement explicitement mentionnée ; lorsqu’elle l’est, encore est-ce sans définition explicite, sans développements sur ce qu’elle implique en matière d’action, etc. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle soit complètement absente de l’esprit de nos interlocuteurs lorsqu’ils évoquent le développement éolien (Cf. Tableau 2). En fait, il semble que toute énergie renouvelable s’inscrive de fait dans une logique de développement durable : l’énergie éolienne incarnerait donc implicitement cette idée de développement durable17. Cela nous est confirmé par la façon dont les quelques enquêtés mentionnant le développement durable rapprochent cette notion de celle d’énergies renouvelables, voire opposent développement durable et énergies « classiques » de type gaz, fioul, … A l’arrière-plan se profile un problème formulé à l’échelle planétaire, le réchauffement climatique, et la réponse qu’il impose, la lutte contre les émissions de GES – ces aspects, comme par exemple l’existence des objectifs consignés dans le protocole de Kyoto, n’étant toutefois explicitement cités que par de rares enquêtés. Le développement durable apparaît donc comme la nécessité de protéger la planète de certains grands problèmes susceptibles d’affecter l’humanité toute entière.

Deux enquêtés (DRIRE + association environnementaliste opposante à l’éolien) « étoffent » un peu plus la notion de développement durable – si on peut dire que cette notion est « étoffée » dans nos enquêtes ! – en y associant, outre les énergies renouvelables, les économies d’énergie. Pour eux, le développement durable n’est pas constitué que de certaines

17 A la lecture et à l’écoute des médias, il semble d’ailleurs que, réciproquement, la notion de développement

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

technologies de production – en l’occurrence énergétique – dites « propres », il se dote d’une dimension qui concerne nos modes de vie ; il implique, donc, tout un chacun dans ses activités quotidiennes. Il est à noter que plusieurs des citoyens enquêtés – hors acteurs publics et hors acteurs « organisés » tels que membres d’associations environnementalistes – ont développé ce thème des économies d’énergie, même si ils n’ont pas recours explicitement aux termes de développement durable.

Quelques paysagistes exerçant en bureaux d’études (BE) avancent l’idée que le développement durable est pour les opérateurs éoliens un simple argument de vente de projets répondant à des objectifs financiers, une coloration verte enjolivant leur image. Ce que ces paysagistes évoquent n’est pas à proprement parler du greenwashing, dans la mesure où un discours « vert » ne vise pas selon eux à masquer des pratiques peu respectueuses de l’environnement mais la nature essentiellement financière de leurs motivations. Par ailleurs, des membres d’associations environnementalistes opposent le développement durable à un développement qu’ils qualifient d’industriel et capitaliste. Le développement durable peut donc également être positionné en opposition à l’idée de profit financier.

Enfin, pour quelques uns, le développement durable est une idéologie, une vision du monde. Parmi ces quelques personnes, certaines n’y voient qu’un principe, une enveloppe vide servant le positionnement politique de personnalités qui, lorsqu’il s’agit de passer à la mise en pratique du principe, se transforment en farouches opposants. Le phénomène Not In My Back Yard (NIMBY) est donc pour quelques enquêtés l’apanage de politiques. Pour une personne d’un service de l’État, le développement durable n’est pas une vaine abstraction ; il n’est rien de moins qu’un nouveau cadre de pensée engageant les acteurs à refonder totalement l’action publique, en passant d’une « culture juridico-administrative » d’instruction des dossiers à une « culture de projet », où la réflexion collective et inter-sectorielle prime (DDE).

Tableau 2 : Les conceptions du développement durable selon nos enquêtés

En résumé, le développement durable, c’est : Implicitement, sans doute pour la

plupart des enquêtés : - des technologies de production (énergétique) « propres » : les énergies renouvelables Implicitement, sans doute pour la

plupart des enquêtés :

- la nécessité de protéger la planète des grands problèmes comme le réchauffement climatique

Pour de rares acteurs publics, pour des membres d’associations environnementalistes et sans doute implicitement pour plusieurs citoyens :

- un changement de nos modes de vie quotidien : les économies d’énergie

Pour quelques personnes dont plusieurs paysagistes de BE

- un argument marketing instrumentalisé par des opérateurs économiques : le discours sur le développement durable peut masquer des motivations financières avec lesquelles il est a priori peu compatible

Pour quelques personnes : - un grand principe idéologique abstrait que des personnalités défendent tout en s’opposant aux aménagements locaux issus de sa mise en œuvre : phénomène NIMBY

Pour un acteur public - un cadre de pensée pour refonder l’action publique

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

1.1.2LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION ÉNERGÉTIQUE ÉOLIENNE : D’ABORD ÉCONOMIQUE, PAR-DESSUS TOUT FINANCIER

Lorsque nos enquêtés évoquent un « développement » en matière de production énergétique éolienne, il s’agit avant tout de développement économique. Et, plus encore, de développement financier. Pour ou contre le développement éolien, impliqué au titre de promoteur ou d’acteur public intervenant dans l’aménagement du territoire, simple habitant, …, tous nos enquêtés le savent : la présence des éoliennes dans les territoires tient à une motivation fondamentalement financière (Cf. Tableau 3).

Il y aurait certes des nuances à apporter – certains employés de bureaux d’études oeuvrant dans le développement éolien ont une réelle sensibilité environnementale –, mais les développeurs et les opérateurs sont décrits et se décrivent eux-mêmes comme des businessmen qui doivent tout faire pour que des projets financièrement rentables voient le jour. L’adoption de la politique de soutien tarifaire est perçue comme le facteur impulsant le développement de cet équipement de « développement durable », précisément car elle permet la rentabilité financière de l’équipement. Apportant une certaine visibilité pour le secteur éolien, elle attire les investisseurs étrangers, marquant le début de ce que certains qualifient de « ruée vers l’or », de course des « chasseurs de primes ». Certains enquêtés exposent le fonctionnement et les stratégies de ces lobbies financiers, qui étendent leurs filiales au gré des opportunités, vendent ou achètent des études d’impact ou des permis de construire indemnes de toute procédure de recours juridique, réalisent des placements financiers défiscalisés, … L’éolien est un objet financier, ce qui alarme un de nos enquêtés : que la rentabilité de l’investissement diminue, et l’argent partira ailleurs, laissant derrière lui un cortège de « friches éoliennes »…

Les motivations financières sont aussi celles qui amènent un propriétaire foncier à accepter l’implantation d’une ou de plusieurs éoliennes sur ses terres moyennant un revenu de location annuel18. Toutefois, ces motivations semblent prendre des formes diverses selon les enquêtés.

Pour certains, les propriétaires, qui sont surtout des agriculteurs, acceptent car la production éolienne est une forme d’exploitation des ressources comme une autre, susceptible de fournir des revenus. Pour d’autres, dont l’agriculteur porteur de projet que nous avons enquêté, la location d’un fragment de parcelle par les promoteurs constituent un « plus » provenant de terres dont la valeur agricole est faible, un peu à la manière d’une subvention. Enfin, une personne a présenté ce revenu de location comme une « compensation financière à une gêne », qu’il est normal de verser aux personnes accueillant des éoliennes sur leurs terres. L’attrait financier est aussi ce qui pousse les collectivités locales à soutenir l’élaboration de projets éoliens sur leurs territoires. Même si des élus ou animateurs de communautés de communes témoignent de motivations environnementales, la rentabilité financière est exigée et primordiale. La taxe professionnelle issue des parcs éoliens est d’autant mieux accueillie que les projets concernent souvent des communes rurales ayant peu de moyens et faisant face à un certain déclin de l’agriculture et/ou à l’arrivée de résidents travaillant dans d’autres endroits du département mais ayant des exigences en termes d’équipements locaux. Les membres d’une association environnementaliste dénoncent cette course à « l’argent facile » des élus, dont les motivations environnementales seraient proches du néant : ils évoquent,

18 Ce revenu, variable, issu de négociations entre propriétaires et porteurs de projet, est difficile à évaluer. Selon

les sources mais aussi selon les sites et les dates d’implantation, il serait compris entre 4 000 et 7 500 € par an et

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

pour nous en convaincre, le fait que les revenus de la taxe professionnelle servent à « n’importe quoi » alors qu’ils devraient, selon eux, être réinvestis dans la promotion d’autres énergies renouvelables par exemple.

Si l’aspect financier de l’éolien est très largement évoqué dans les entretiens, les aspects économiques – emplois, structuration de la filière, … – le sont beaucoup moins. Nos enquêtés ont à cœur de rappeler la « faute originelle » de l’État français en la matière : il n’y a pas eu en France de politique de développement d’une filière industrielle éolienne lors de l’impulsion donnée à cette production énergétique. Pourtant, rapidement, des emplois ont été créés. En premier lieu, il s’agit d’emplois en bureaux d’études : en quelques années a émergé un marché des études techniques, études d’impact, études paysagères, … Les paysagistes enquêtés, en particulier, soulignent l’opportunité que le développement éolien constitue pour leur profession ; certains nourrissent d’ailleurs l’espoir que la façon dont ils sont amenés à travailler sur les dossiers éoliens, notamment au contact d’élus et d’acteurs publics divers, leur offrira à court ou moyen terme des débouchés sur d’autres problématiques. Mais les habitants enquêtés ne perçoivent pas ces créations d’emplois, et ce d’autant moins que les bureaux d’études concernés ont des échelles d’intervention géographique très larges.

Pour ce qui est de la fabrication des éoliennes, de la réalisation du chantier d’implantation, du suivi et de la maintenance, les enquêtés déplorent le recours massif à des entreprises étrangères. Dans les collectivités territoriales, certains toutefois estiment qu’en travaillant en concertation avec l’opérateur, il est possible de peser pour que ce soit au maximum des entreprises locales existantes qui soient sollicitées, notamment en matière de génie civil ; et qu’à terme cette pression favorisera la structuration de la filière – à défaut d’être impulsée par une volonté politique nationale19.

Le secteur éolien est rarement décrit comme susceptible de contribuer réellement au développement territorial : s’il fournit parfois du travail aux entreprises locales, il ne crée pas significativement d’emplois… De même, il peut aider à maintenir sur place des familles d’agriculteurs plus ou moins en difficulté : éviter la désertification, comme le dit un enquêté, plus qu’apporter du développement territorial. Ce point semble toutefois important pour les acteurs du monde agricole, pour lesquels des activités alternatives ne peuvent être uniquement offertes par le secteur du tourisme : ce dernier est considéré comme ne pouvant fournir une activité que ponctuellement – dans certains endroits, à certaines périodes de l’année – et, surtout, induit ce qu’ils ressentent et dénoncent comme une « folklorisation » des habitants. Un exploitant agricole porteur de projet éolien donne un sens bien particulier au terme de renouvelable emprunté au vocabulaire de l’énergie éolienne : il défend l’idée d’un lien très étroit entre « renouvelable » et « local », le sens de « renouvelable » étant de désigner le « renouveau du local ».

La question de l’impact du développement éolien sur l’activité touristique en tant que telle est peu abordée. Les détracteurs de ce mode de production énergétique mettent assez peu en avant l’argument d’un impact négatif. Les services de l’État refusent de prendre l’argument au sérieux. Certains de leurs représentants comparent les réticences des professionnels du tourisme à l’implantation d’éoliennes aux réticences que ces mêmes professionnels développaient dans les années 1970 à l’égard de la protection de l’environnement qui se

19 A noter la position particulière d’un promoteur éolien, pour lequel la course à la technologie que se livreraient

les concurrents de la filière de construction éolienne risquerait d’aboutir à ce qu’il nomme un « marché Kleenex », un « marché de riches » – à peine installées, les éoliennes sont « obsolètes » et remplacées –, où la collectivité aurait tout à perdre – bref, une dynamique contraire à l’esprit du développement durable ?...

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

mettait alors peu à peu en place ; ils soulignent combien aujourd’hui le tourisme a intégré dans son « fonds de commerce » les sites protégés ; ils se demandent, en outre, s’il ne faudrait pas inverser la question et se demander si ce ne serait pas plutôt le tourisme qui serait incompatible avec… « tout le reste »…

Nombreux en revanche sont les enquêtés évoquant la multitude de visiteurs qu’attirent les éoliennes. Ils ne savent cependant pas quoi penser du phénomène en termes de retombées pour les professionnels du tourisme : selon eux, si la majorité des gens viennent faire les curieux à l’occasion du passage dans le secteur, cela peut toutefois induire une augmentation de la fréquentation des bars et restaurants du coin ; si certains sont susceptibles de choisir un camping pour la proximité avec des éoliennes, d’autres en revanche fuiraient ce genre de sites… Si ce type de fréquentation ne constitue pas à proprement parler un développement touristique, elle a une grande importance aux yeux des acteurs publics et élus enquêtés dans la mesure où elle est l’occasion de façonner une image de la production énergétique éolienne et de son intégration dans les territoires. Cette population de curieux est ainsi souhaitée, accueillie, informée – journées portes ouvertes dans les éoliennes, panneaux d’information, … Certains habitants, en revanche, en parle comme d’une nuisance induite par l’éolien dans leur environnement quotidien – va-et-vient de véhicules, gens qui s’égarent dans les propriétés, … Quelques personnes ont souligné que les représentants de différentes communes peuvent être amenés à discuter autrement autour de la question de l’usage de la taxe professionnelle unique issue de l’exploitation éolienne, à concevoir des objectifs partagés, …, ce qui, en retour, garantirait une meilleure acceptation des projets éoliens par les élus et par les populations en général. Ainsi, la production énergétique éolienne aurait une influence à l’amont du développement territorial, c’est-à-dire en dynamisant la réflexion collective et en l’orientant vers un souci du développement durable.

Tableau 3 : Les conceptions du développement économique selon nos enquêtés

En résumé, le développement économique induit par le développement de l’énergie éolienne, c’est :

Pour tous les enquêtés : - un apport financier certain pour des investisseurs, des propriétaires fonciers et des collectivités territoriales

- perçu différemment : placement financier défiscalisé, revenu, « subvention », compensation financière…

Pour tous les enquêtés : - un développement économique local ténu : apport de travail à quelques entreprises locales existantes, mais pas réellement de créations d’emplois localement

Pour quelques professions spécialisées : bureaux d’études de développement éolien, de paysage, …

- un développement économique certain : forte croissance d’un marché d’études techniques, créations d’emplois, perspectives de débouchés locaux sur d’autres problématiques

Pour tous les enquêtés : - un développement territorial ténu : par exemple, au mieux, moyen d’éviter la « désertification » de certains secteurs agricoles

- mais, en revanche, pas d’incompatibilité majeure avec d’autres activités économiques des territoires, notamment le tourisme

Pour quelques acteurs publics, élus et acteurs du développement éolien :

- les discussions autour de la TP/TPU comme moyen de dynamiser la réflexion en amont du développement territorial

- l’objet éolienne comme vitrine du développement territorial : manifestations, panneaux d’informations, …

Globalement, l’éolienne apparaît donc plus comme un objet financier que comme un objet de développement, quelle que soit la forme de ce développement – durable, économique, territorial. Plus que cela, on peut parler d’une réelle ambiguïté, voire d’une fêlure, au niveau de l’image même de l’éolienne : alors que l’idée de développement durable et la question énergétique sont étroitement associées dans la définition des grands enjeux de société actuels,

CemOA

: archive

ouverte

d'Irstea

l’objet éolienne a bien du mal à fournir cette incarnation de l’idée de développement durable auxquels les groupes sociaux s’attendaient, le côté financier de son image étant incompatible avec la façon dont cette idée est alimentée.