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Économie : du parc à la filière industrielle

Les retombées économiques sont à l’avant-plan des demandes sociales, que ce soit en termes d’emplois créés ou de redevances accordées aux propriétaires terriens et aux municipalités d’accueil. L’importance accordée à la question des retombées ne surprend pas, considérant les difficultés économiques vécues dans les régions de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent, visées par le premier appel d’offres d’Hydro-Québec. On espère que la filière éolienne permettra de développer un véritable tissu industriel qui générera des emplois permanents et de qualité. Toujours sur la question économique, mais sous un angle moins positif cette fois, des élus s’interrogent sur les capacités de leur municipalité rurale à assumer les coûts susceptibles d’être engendrés par l’entretien de chemins et autres infrastructures associés à ces nouveaux «parcs industriels» déconcentrés. Enfin, les intervenants touristiques sont, quant à eux, soucieux des changements apportés aux paysages, une ressource fondamentale pour cette autre industrie importante en région : les potentiels de ce grand produit d’appel risquent-ils d’être minés par la présence de nombreuses éoliennes? Dans ce premier champ de préoccupations, les impacts appréhendés sur le paysage semblent donc opposés à ceux attendus sur l’économie locale et régionale : risque-t-on de perdre la qualité de l’un pour gagner l’autre?

Occupation du territoire: usages et représentations

La problématique de l’occupation du territoire est également au centre des débats lors de cette période. Les éoliennes, d’une hauteur équivalente de plus de 30 étages et regroupées par dizaines, voire centaine dans des parcs se déployant sur des kilomètres, marquent forcément l’espace régional. Or, ces territoires ne sont pas vierges, d’autres occupations, d’autres groupes, sont déjà présents. La cohabitation entre ce nouvel usage du territoire et ceux plus traditionnels nécessitant de grands espaces, qu’il s’agisse de l’agriculture ou de la foresterie, représente tout un enjeu. Mais la cohabitation avec l’habitat et des activités liées à la nature, comme la chasse ou la randonnée pédestre, pose un défi encore plus délicat. Effectivement, la cohabitation territoriale ne se construit pas seulement en des termes physico-spatial et fonctionnel, mais aussi symbolique.

Un tel registre renvoie à la manière par laquelle les individus perçoivent et se représentent le territoire. Les choix faits en matière de modes d’occupation, hier comme aujourd’hui, reposent sur un ensemble de besoins, de valeurs et de représentations plus ou moins explicites, et qui évoluent. Dans le cas de l’éolien, un conflit d’ordre symbolique, exprimé dans plusieurs des arguments des opposants, renvoie au gigantisme des éoliennes et des parcs. Les infrastructures sont souvent associées à une imagerie moderne «industrieuse» qui se situe en décalage par rapport à une représentation paysagère du milieu de vie qui semble privilégiée par plusieurs groupes (Ruralys, 2008). Au Bas-Saint-Laurent, il nous semble que celle-ci soit fondée sur un modèle paysager reposant sur une ruralité agro-forestière, s’appuyant sur la présence d’un patrimoine architectural et de noyaux villageois et sur une topographie particulière, formée de longues terrasses en bordure du fleuve Saint-Laurent, qui offre des vues panoramiques. Le conflit est vécu encore plus vivement lorsque plusieurs grands parcs sont concentrés dans des parties du territoire particulièrement valorisées, comme le bord du fleuve et de cours d’eau, comme c’est le cas dans le Bas-Saint-Laurent. La «banalisation» des paysages ressort alors comme un argument phare pour porter ce conflit culturel concernant l’occupation et l’aménagement du territoire.

Gouvernance : déficit de participation et de connaissances

Enfin, un troisième champ de préoccupations important concerne les pratiques de planification des projets de parcs éoliens. Plusieurs groupes dénoncent le rythme trop rapide des implantations et le caractère privé des négociations. Par exemple, les propriétaires terriens ayant signé des ententes avec des promoteurs sont tenus de respecter une clause de confidentialité en ce sens. Même lorsque des tribunes sont offertes pour s’impliquer, comme les audiences publiques, il peut devenir difficile de suivre le tempo. Au «printemps de 2006, trois commissions du BAPE siégeaient simultanément dans la région du Bas-Saint-Laurent pour des projets de parcs éoliens», faisaient remarquer des commissaires.

Par ailleurs, la participation des acteurs régionaux ne se pose pas seulement en termes de processus, mais aussi sur le plan de l’information disponible. Pratiquement à chacune des audiences, des groupes dénoncent le manque de connaissances concernant les impacts générés par un parc éolien. Les connaissances sont jugées encore plus déficientes en ce qui a trait à l’effet conjugué de la présence de plusieurs parcs, c’est-à-dire leurs impacts cumulatifs : quels seront les effets de la concentration de centaines d’éoliennes dans une même région? La question est pertinente, car comme le résumait une commission du BAPE (no 233), «si durant la dernière décennie près de 200 éoliennes (…) ont été mises en service, c’est plus de 850 qui pourraient s’ajouter durant les prochains six ans» dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie.

Le déficit de participation et de connaissances vécu crée, pour plusieurs, l’impression que l’expansion de la filière éolienne est faite de façon «anarchique», qu’elle souffre d’un manque de vision d’ensemble. On se questionne notamment sur la capacité environnementale et sociale d’un territoire à recevoir tant de grands sites de production : existe-t-il un seuil critique? Pourtant, des outils et des pratiques de planification sont en place. Pensons aux schémas d’aménagement et aux plans d’urbanisme. Mais, comme la problématique de l’éolien est récente, elle y a rarement été prévue et intégrée avant l'arrivée des projets. Des règlements de contrôle intérimaires sont alors adoptés, pour pallier ce manque. De nouveaux outils de planification sont également expérimentés : plan régional de développement du territoire public, guide pour l’intégration et l’harmonisation paysagère. Cependant, mesures ne semblent soit pas connues du point de vue de groupes d’acteurs affectés, soit ne pas répondre de façon satisfaisante à leurs demandes.

Source : Examen de quatre rapports du BAPE (no. 216, 217, 231, 233)

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Phase 4 : Des réponses de la part d’acteurs publics

L’ampleur et la vigueur des oppositions suscitent des réactions d’acteurs locaux et nationaux. Les réactions sociales sont de plus en plus vues comme une condition de mise en place des parcs éoliens, et même de la filière industrielle qui en dépend. Il importe que les projets reçoivent un accueil favorable de la part des communautés locales, exprimé dans les termes d’«acceptabilité sociale». Pour ce faire, des mesures et démarches ont été amenées de diverses façons, pour compléter les outils d’encadrement existants jugés insuffisants (ex. : aménagement du territoire, évaluation environnementale), notamment sur la question du paysage. Dans l’ensemble, elles peuvent être regroupées dans quatre grandes catégories, décrites dans l’encadré suivant (Encadré 2), soit :

1) l’approche réglementaire

2) l’approche de négociation au cas par cas 3) l’approche de planification territoriale

4) l’approche de planification territoriale participative

Ainsi, les expériences et pratiques relatives à ces quatre approches sont autant de façons prises, parfois en complémentarité, pour essayer d’encadrer l’implantation de parcs éoliens sur les territoires, soit au niveau de projets spécifiques ou encore plus en amont, au niveau de la planification territoriale. Plus largement, le contexte d’implantations accélérées de grands parcs éoliens dans la région a incité à réfléchir à la qualité du territoire habité et à son importance dans les dynamiques de développement, entre autres comme facteur d’identité et d’ancrage des populations locales et comme ressource pour l’industrie touristique. Une réflexion sur les zones où il serait souhaitable de localiser les parcs a été amorcée, soit lors de l’élaboration de Règlement de contrôle intérimaire (RCI), soit lors de discussions avec des promoteurs. Pensons notamment à l’important exercice de négociation réalisé entre des représentants de la MRC de Rivière-du-Loup et ceux du promoteur SkyPower pour la localisation d’éoliennes.

À première vue, la volonté d’éloigner toute éolienne du bord du fleuve Saint-Laurent semble cohérente avec le fait qu’une partie importante de la population bas-laurentienne y habite et, de plus, parce que ce paysage rural et maritime est fortement valorisé, autant par les habitants que par les touristes. Cependant, une telle orientation ne permet malheureusement pas de résoudre entièrement le problème de l’acceptabilité sociale. En effet, par effet de balancier, cette orientation conduit à repousser les projets plus à l’intérieur des terres, soit dans les villages de l’arrière-pays ou sur les terres publiques. Or, ces territoires ne sont pas vierges. Des résidents tout comme des usagers y sont déjà présents, même de façon temporaire, pour diverses activités récréatives (villégiature, randonnée, chasse, pêche, etc.). C’est notamment ce que montre la mobilisation des représentants de la ZEC du Bas-Saint-Laurent : ce territoire est aussi, à sa façon, habité et important pour certaines pratiques sociales dans la région55. Ce constat explique pourquoi, là aussi, des groupes expriment des préoccupations face aux impacts possiblement apportés par les grands parcs d’éoliennes. La présence de ces grandes infrastructures modifiera-t-elle l’expérience vécue avec la nature? Affectera-t-elle la qualité de la flore et de la faune, dont le gibier? Les paysages forestiers font-ils aussi partie de l’identité bas-laurentienne?

55 Les dirigeants se sont mobilisés pendant deux ans contre un projet avancé par Trans énergie inc. Ils posaient

les raisons de leur opposition dans les termes suivants : «Notre ZEC est la plus fréquentée dans la province et son territoire constitue un joyau régional à protéger à tout prix. Nos utilisateurs y trouvent la beauté des paysages, la quiétude et une forêt giboyeuse. Un parc industriel éolien n’y a pas sa place (…) Ce projet ne fera que semer la discorde chez nos 1200 membres et diriger les retombées financières vers Québec et Calgary, laissant des miettes à la région » (Le Progrès-Echo, 07 octobre 2007).

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Dans cette perspective, le problème de la localisation des parcs éoliens demeure entier. De plus, le questionnement soulevé par les acteurs critiques porte au-delà de la localisation : il touche la pertinence de tels projets pour l’avenir du Bas-Saint-Laurent. Si cette pertinence est reconnue, alors seulement la question devient de savoir à quelles conditions ces projets devraient-ils s’inscrire dans le territoire habité, incluant à quels endroits. La réponse collective à ces questionnements apparaît donc comme un défi récent, mais conçu comme essentiel à relever pour assurer la mise en place et la pérennité de cette filière énergétique et industrielle.