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1.2 Les conceptions du paysage : une dimension politique forte amenée par un objet

1.2.2 A l’échelle du parc éolien : le paysage comme acte technique « minimaliste » et

La pratique paysagiste traditionnelle réduite à sa plus simple expression

Lors de l’impulsion du développement éolien, les paysagistes sont rapidement sollicités pour travailler avec les opérateurs au projet éolien, pour élaborer le volet paysager du PC et/ou de l’étude d’impacts ; certains travaillent dans des BE de paysage, d’autres intègrent directement des BE de développement éolien. La conception du paysage qui prévaut à l’origine est matérielle et visuelle. Classiquement, il s’agit de déterminer dans quelles conditions de formes, de couleurs, de textures de matériau, de dimensions, d’orientation et de localisation, des objets peuvent être insérés dans un paysage avec un impact minimal sur la vue. Or, l’objet éolienne remet immédiatement et irrémédiablement en cause le modèle d’intervention jusqu’ici dominant, celui de « l’intégration paysagère », et ce pour deux raisons : au-delà de la multitude de contraintes techniques qui pèsent sur les possibilités d’implantation (potentiel éolien, possibilité de raccordement au réseau, contraintes réglementaires civiles et militaires, opportunités foncières, …), les caractéristiques matérielles de l’objet s’imposent.

« sur l’implantation, le rôle du paysage est pas si important que ça, y’a tellement de contraintes, en Bretagne en tout cas que ben, que on fait au mieux avec ce qu’on a et que les modalités de paysage elles permettent d’arbitrer sur des choses assez epsilon quoi » (paysagiste BE)

« moi je lutte un peu contre ce mot qui est un peu stupide. On n’intègre pas des ouvrages comme ceux-là » (paysagiste BE, paysagiste-conseil)

« Maintenant on fait service minimum sur les études. Pour vous expliquer c’est très simple, on voulait pas faire comme ça à l’origine ! (…) Alors maintenant ce qu’on fait c’est qu’on fait un projet, on va pas voir les administrations avant, et puis on leur balance le projet et puis ils se débrouillent avec ! On fait un gros projet, on fait un maximum [d’éoliennes ] qu’on peut mettre selon les critères qu’on a mis en place, et puis « ah bah nan celle la c’est pas bien », « bon ben on va l’enlever », et puis on leur fait des projets au minima, enfin moi je déteste faire ça… mais bon… » (paysagiste BE)

Un seul des paysagistes rencontrés veut croire qu’une action significative est possible dans ce sens : il fait d’ailleurs de la question de la couleur des fûts un véritable combat pour le paysage, contre les contraintes aéronautiques. Il n’est pas suivi. Face à lui, certains défendent l’idée que, dans le cas d’un objet aussi particulier, qui relève de l’infrastructure majeure, de l’industriel, l’enjeu n’est pas de cacher – ce qui est de toute façon impossible – mais bien au contraire de montrer, d’affirmer une présence et de chercher à dire quelque chose autour de cette présence – ce qui renvoie aussi à une échelle plus large, territoriale : Cf. ci-dessous. Pour certains professionnels, le projet de paysage autour de l’implantation d’éoliennes devrait s’apparenter, dans l’idéal, à du Land Art ; mais cela n’est possible que dans certaines conditions – notamment, de vastes espaces, de faibles contraintes foncières, des composantes paysagères simples et peu nombreuses…, conditions qu’offriraient par exemple l’éolien offshore, ou certaines régions comme la Beauce20. A défaut, tous les paysagistes semblent

d’accord : la marge de manœuvre pour ajuster significativement le dessin du projet sur un plan paysager est extrêmement réduite – faire déplacer une éolienne, choisir des

20 Une intervention apparentée à du Land Art peut avoir lieu lorsque le paysagiste est amené à travailler à

l’échelle de plusieurs sites éoliens. « On travaillait sur un schéma à l’échelle d’une CC : y avait forcément des interrelations, des covisibilités entre les différents parcs. Alors est-ce qu’il y avait des règles à établir pour une covisibilité entre 2 parcs ? Par exemple, je me souviens d’un schéma, (…) c’était de part et d’autre d’une vallée encaissée. On s’est dit que ce serait intéressant d’avoir un écho de part et d’autre de la vallée, par exemple 2 bandes d’éoliennes assez marquantes…donc on a établit quelques principes comme ça ; y a des choses qui ont commencé à se mettre en place. » (paysagiste BE)

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aérogénérateurs de 100 m plutôt que de 120 m, … –21, et les interventions « à la marge » ne sont pas pertinentes dans ce type de projet – accompagnements végétaux, etc. La ligne de conduite est l’intervention minimale.

« On intervient sur des histoires de couleurs…J’ai un petit peu envie de me battre là-dessus, parce que les éoliennes blanches, c’est ce qu’on trouve un peu partout et je trouve que c’est pas bien. Ce serait anthracite… (…). Plus les couleurs sont sombres plus ça passe dans le paysage. » (paysagiste BE, membre CDSPP).

« mon prédécesseur avait commencé à mettre en place 2-3 bricoles mais qui étaient pas forcément…on partageait pas tout a fait le même point de vue. En gros on s’y retrouvait mais il avait des exigences sur la couleur des éoliennes…bon qui moi me laissaient plus perplexe ! Enfin c’était pas que c’était pas intéressant, mais c’était pas adapté à une problématique industrielle je pense. (…) L’offshore c’est plus facile en terme d’implantation et on a la possibilité de faire des choses proches du Land Art (…). Enfin voilà, à situation exceptionnelle on aurait pu avoir des projets exceptionnels, mais ça s’est pas fait. Parce que le territoire ne s’y prêtait pas. Quand on a 2- 3 éoliennes qui se battent en duel, c’est extrêmement difficile de faire un projet manifeste quoi ! [rires] » (paysagiste BE, paysagiste-conseil)

« Moi le projet que je trouve intéressant c’est celui de… – un des 1ers, aussi – c’est celui qui se trouve à la pointe du Raz. Je trouve qu’il a une certaine cohérence, parce que d’abord, le paysage est extrêmement simple, c’est de la lande, des prairies, c’est plat, y a presque aucun relief, y a juste les objets éoliens qui [dépassent], et y a la mer tout autour. C’est extrêmement simple. Finalement, ailleurs, le paysage, plus il est complexe – et parfois il l’est en Bretagne –, et plus l’objet éolien va ajouter une complexité supplémentaire. Alors parfois ça peut bien s’organiser mais le plus souvent c’est compliqué parce que c’est pas anodin une éolienne, c’est un bel objet mais… Quand on a… je reparle du paysage bocager parce que c’est quand même une caractéristique importante, ça donne une identité déjà très forte à un paysage ; alors rajouter là-dessus une éolienne… ça peut marcher, mais c’est pas l’idéal. » (paysagiste BE)

Au niveau du projet éolien, la dimension technique du paysage apparaît également en matière de maîtrise d’œuvre. Plus exactement, certains paysagistes et élus enquêtés regrettent que cet aspect soit aujourd’hui négligé.

« On pourrait avoir des chantiers de maîtrise d’œuvre pour…justement l’aménagement paysager des al… C’est basique mais encore faut-il que ce soit bien fait. Et on n’est jamais consultés pour ça, on n’est jamais sollicités… Et après les mecs ils croient qu’ils savent faire quoi, parce que « c’est un talus bocager on sait faire ça, c’est marqué dans l’étude » ; « oui, mais c’est pas de la terre végétale que t’as foutu, il est pas du tout calibré, t’as planté n’importe quoi, ton paillage il est moche et puis ton chemin il est pas beau… », bon. Et donc tout le travail de finition qui fait la différence entre un joli parc et un parc moche eh ben là on oublie celui qui pourrait aussi être important : c’est le paysagiste. (…) on essaie de faire passer le message aux opérateurs avec qui on bosse de longue date, mais ça passe pas… Non, ils oublient, tant pis, c’est… Bon c’est vrai que l’échelle de perception la plus importante c’est déjà de les mettre là où il faut, mais après, quand même, c’est pas pour ça qu’il faut oublier les abords du site quoi ! » (paysagiste BE)

Le développement des mesures dans le domaine du visuel

L’acte technique consistant à dessiner un projet de paysage éolien est réduit à sa plus simple expression ; et pourtant, l’intervention du paysagiste en termes d’études techniques – volet paysager du PC, EI – est importante et confère une place croissante à ce professionnel dans le domaine du développement éolien. Les compétences dans le domaine visuel vont être considérablement développées, avec le perfectionnement d’outils de simulation visuelle – simuler l’insertion d’un objet aussi grand pose d’innombrables problèmes, ce qui peut

21 Cela ne veut pas dire qu’aucun critère paysager n’a présidé au choix d’implantation des éoliennes : des

paysagistes témoignent de la sensibilité paysagère de certains opérateurs qui ont déjà, lorsque c’est possible à leurs yeux – c’est-à-dire en fonction des contraintes techniques, foncières, … – pris en compte ces aspects lorsqu’ils font intervenir le paysagiste ; celui-ci n’a plus qu’à mettre en images et en discours les atouts

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sembler paradoxal ; le photomontage est très prisé mais très discuté, la maquette revient en grâce chez certains –, mais aussi la mise au point de nouveaux « concepts » comme celui de ZIV (Zone d’Influence Visuelle), voire de formule mathématique – comme celle, issue de préconisations méthodologiques nationales, permettant de calculer le périmètre à prendre en compte dans une EI en fonction du nombre et de la hauteur des éoliennes. Le paysagiste se dote de nouvelles compétences cognitives et techniques (connaissances et mesures dans le domaine du visuel).

« Ce qui est apparu aussi par ces aspects de l’étude d’impact c’est que le paysagiste… Le paysage dans n’importe quel autre type de projet c’est 10% du boulot ; enfin, c’est un des aspects mais pas un aspect dominant. Et là on s’est aperçu que d’un coup, boum, c’est 50% du boulot, c’est vraiment le plus gros… enfin, le plus gros problème (…). Et donc, bon ça a été aussi la grande nouveauté qui a renforcé le rôle, effectivement, du paysagiste. » (paysagiste BE)

« L’aire d’étude d’une étude d’impact, quand c’est pour une zone industrielle c’est quelques centaines de mètres autour quoi ; enfin dès que tu le vois plus… C’est en gros jusqu’où on voit. Ça va pas loin, ça va a 1km-2km parfois pour certaines choses. Les carrières c’est pareil : 2-3km, 4-5 pour vraiment les cas où on est vachement haut et tout ça… Et là tout à coup, [ avec les éoliennes ] il a fallu courir à 15 bornes… (…) Donc voilà, en gros, rayon de 15km, en matière d’étude d’impact, c’était quand même une grande nouveauté. Donc ça après, ça introduit aussi la notion de zones d’influence visuelle, la ZIV, là. Donc ça c’est… du coup ça a changé aussi les modalités techniques puisque c’est de la modélisation technique du relief. En gros, d’où on voit, d’où on voit pas avec le relief mais ensuite aussi un peu la typologie des perceptions : où est-ce qu’on a des vues entières ? des vues tronquées ? des vues filtrées ? Et c’est vrai que c’est des choses qu’on faisait pas forcément avant parce que on avait pas des amplitudes pareilles. » (paysagiste BE)

Le paysage discursif

Mais c’est essentiellement au niveau des compétences discursives que le métier de paysagiste connaît une évolution significative avec le développement éolien. Savoir argumenter pour présenter et défendre et vendre a toujours fait partie du métier du paysagiste. Mais, à l’issue de nos enquêtes, il semble que tout se passe comme si les paysagistes cherchaient à compenser l’impossibilité d’intervenir autrement que de façon minimaliste sur le dessin des projets éoliens par l’étoffement de son discours sur ce dessin. Aux yeux des développeurs, les projets doivent être « paysagèrement » correct en vue notamment de leur instruction par les administrations et c’est le rôle du paysagiste du leur donner cette tonalité « paysagère », de les enrober dans un discours paysager.

« On fait un argumentaire bidon sur des éléments sur la carte, on a l’impression que ça joue un rôle paysager, mais dans la vraie vie… pfff, rien du tout. Et on en arrive à de la masturbation intellectuelle comme j’appelle ça, c’est vraiment du flan quoi. (…) On a un argumentaire, enfin on a une méthodologie d’argumentation un peu comme ça où on prend en compte les autres critères et on développe, et puis ça tient, maintenant c’est accepté, on sait comment prendre les services instructeurs mais… et on s’aperçoit que finalement sur l’implantation le rôle du paysage est pas si important que ça que y’a tellement de contraintes (…). De toute façon, [même dans les cas où l’opérateur prend de lui-même en compte le paysage ] ils auront quand même besoin de nous pour monter le machin, ils savent pas causer paysage ! [rires] Nan, nan ils ont autre chose à faire, c’est sûr, chacun son métier. » (paysagiste BE)

Ainsi, dès la phase d’analyse du paysage – supposée intervenir préalablement à la conception du projet à laquelle elle doit servir d’appui –, le paysagiste prend soin de développer tout un vocabulaire spécifique sur lequel il greffera ensuite l’argumentaire justifiant le projet – souvent décidé a priori. En particulier, il cherche à repérer les grandes lignes structurant le paysage afin de voir quels types de relations peuvent être mis en évidence entre elles et les tracés d’implantation des éoliennes à venir, au niveau du discours.

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« [Enquêteur] Sur les études que vous faîtes, comment vous arrivez à exprimer l’idée de projet, à faire passer le message comme quoi on les a pas implantées n’importe comment…Enfin je sais pas, comment vous arrivez à faire passer ça dans les documents ?

[Enquêté] : Euh, déjà on accorde une importance très importante à l’analyse. On décortique le plus possible le paysage existant et on le montre, on essaie de montrer l’intérêt aux élus, enfin… l’intérêt par rapport à l’éolien. On leur montre des choses qu’ils voient tous les jours mais qu’ils regardent peut-être pas de la même manière que nous. Et après on s’appuie le plus possible sur des éléments du paysage ; alors du coup, on arrive à faire passer… en général ils en veulent, des éoliennes, les communes… » (paysagiste BE)