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LES KAREN VUS DE L’EXTERIEUR

LE RESEAU DE RECHERCHE ET DE DEVELOPPEMENT ACTIVISTE

1. LES KAREN ET LES ONG

Pour effectuer cette opération, je décide de m’approcher de la frontière dans l’idée de comprendre la situation des Karen birmans réfugiés en Thaïlande. Je pars pour Mae Sot, une ville qui fait frontière avec la Birmanie, située dans la province de Tak à environ 300 km au sud de Mae Sariang. Par l’intermédiaire d’une amie, j’avais obtenu l’adresse d’un docteur français qui travaille pour Médecins Sans Frontière (MSF) dans les camps de réfugiés.

Lorsque j’arrive à Mae sot, je découvre une ville très cosmopolite, où se croisent des Birmans, des Thaïs, des Chinois, des Karen, des Shan... Je me rends aussitôt au Shoklo Malaria Research Unit (SMRU). Il s’agit d’un centre de recherche spécialisé dans le traitement du paludisme dans les camps de réfugiés.

Le long de la frontière birmano-thaïlandaise, la malaria constitue un problème particulièrement sensible. Le danger ne dépend pas tant de l’ampleur des contaminations, largement supérieure en Afrique, mais provient de la persistance, dans cette région, de l’une des souches de paludisme les plus virulentes au monde : le plasmodium falciparum, susceptible de provoquer la mort en quelques heures ou quelques jours. Or, les guérillas ajoutées à la difficulté de contrôler les mouvements de population entre les deux pays favorisent le développement de foyers de paludisme résistants à tout traitement préventif ou curatif. Dans les camps, le problème est pratiquement contrôlé, mais à l’extérieur, de part et d’autre de la frontière, les efforts pour endiguer l’épidémie sont insuffisamment déployés.

Voire, ils se trouvent compromis par la compétition entre les ONG humanitaires et leur manque de coordination quant aux stratégies d’action sanitaire.

Je rencontre le docteur français à la tête de cet établissement et lui expose mon projet de recherche tout comme ma volonté de trouver un terrain. Le médecin est installé dans la région depuis dix-sept ans. Il se propose de m’aider en m’offrant une maison disponible dans le centre et en m’introduisant auprès de Karen, la plupart issus de Birmanie, qui seraient susceptibles de m’introduire dans un village.

Le monde des intermédiaires

Le monde du développement à Mae Hong Son, comme à Mae Sot et comme dans tous les endroits où je suis allée par la suite, participe à l’émergence d’une classe d’individus qui joue un rôle d’intermédiaire entre les Karen et les acteurs du développement ou de l’aide humanitaire, qu’ils soient thaïs ou étrangers. Au sein même du SMRU, la plupart des docteurs ou des infirmiers étaient des Français, expatriés dans le court-terme et récemment diplômés.

Employés par MSF, ils remplissaient des missions temporaires, de six mois à un an. Tout un personnel plus ou moins permanent d’employés karen (chauffeurs, secrétaires, traducteurs, coordinateurs, consultants, infirmiers) assistait ces équipes de médecins qualifiés qui se

renouvelaient chroniquement. La majorité de ces assistants étaient des Karen originaires de Birmanie et qui étaient passés par les camps. Héritiers de la colonisation, ils maîtrisaient à peu près tous l’anglais. Ces employés avaient souvent perfectionné ou acquis leurs compétences professionnelles et linguistiques au contact des missionnaires protestants, des médecins de MSF ou de volontaires occidentaux qui enseignent dans les camps. La plupart de ceux que j’ai rencontrés étaient chrétiens. Parmi ces chrétiens : des catholiques, quelques adventistes et surtout, des protestants rattachés à l’église baptiste. A la différence des villageois karen que j’avais rencontrés à Mae Hong Son, sous tutelle des fonctionnaires thaïs, ils renvoyaient une image beaucoup plus occidentalisée.

Les intermédiaires affiliés au centre de développement de Mae Sariang étaient quant à eux des Karen thaïs qui maîtrisaient la langue nationale et non l’anglais. En contraste, ils m’apparaissaient plus timides ou du moins, davantage prisonniers du système administratif thaï et de sa hiérarchie qui leur imposent de se comporter comme des subordonnés. Par contre, lorsque ces intermédiaires sont confrontés à des Occidentaux, ou à certains Thaïs éduqués en Occident, ils sont dans une certaine mesure susceptibles de se positionner dans un rapport d’égal à égal. C’est peut-être ainsi que les moins timides d’entre eux ont acquis une certaine expérience pour s’affirmer dans la société thaïlandaise, se faire respecter des Thaïs, sinon susciter leur admiration.

Les Thaïs apprécient en eux le fait qu’ils savent se comporter comme des Thaïs tout en affichant sans honte leur identité karen. Ceux-là sont aujourd’hui devenus les principaux représentants de l’identité des Karen de Thaïlande. Ils ont la cote auprès d’un certain public : les universitaires thaïs, les étudiants, les représentants des ONG environnementalistes ou humanitaires qui les valorisent comme des « intellectuels indigènes ». Ce sont la plupart du temps des hommes, dont l’âge varie de trente et cinquante ans. Personnages situés à la frontière de deux mondes, capables de naviguer plus ou moins bien de l’un à l’autre, ils sont de précieux auxiliaires, tant pour les chercheurs que pour les représentants des ONG. Voici le portrait et le résumé des interviews de deux porte-paroles et d’interlocuteurs incontournables dans ma stratégie d’approche du terrain.

Mister Tip : « Nous avons une philosophie qui consiste à respecter l’environnement »

Mister Tip a une trentaine d’années. Il porte un pantalon à pince et un polo. Il est élégant, d’allure jeune et dynamique et donne l’impression d’être un homme averti qui a le sens de ses responsabilités. Dans sa poche, son téléphone portable bip fréquemment. Il coordonne l’aide humanitaire dans les camps et assure la médiation indispensable entre le personnel médical de MSF et les réfugiés. Il parle un anglais tout à fait correct. Lors de notre première rencontre, nous étions dans le bureau du SMRU.

Il me raconte brièvement sa vie. Né dans un village karen situé juste sur la frontière, enfant, il lui suffisait de traverser la rivière pour rejoindre « ses frères » karen birmans de l’autre côté. De ce fait, il fut très tôt conscient du dilemme des siens, un peuple déchiré entre deux pays. Capable de communiquer en karen, en anglais, en birman et en thaï, il doit son éducation à un missionnaire français qui décela dès son jeune âge ses aptitudes intellectuelles.

Mister Tip, bien que solidaire des Karen birmans, se présente avant tout comme un Karen thaï. Il a parfaitement intégré la langue et les codes de politesse qui lui permettent de naviguer au sein des différentes strates de la société thaïlandaise et il en profite pour sensibiliser le maximum de personnes aux problèmes particuliers que soulève l’intégration des Karen en Thaïlande. Il est membre d’une association basée à Chiang Mai, l’Inter Mountain People Education Culture Association of Thailand, l’IMPECT. Cette organisation, qui regroupe des représentants de toutes les minorités montagnardes de Thaïlande, est particulièrement soucieuse des problèmes relatifs à la transmission et à la préservation de leur patrimoine culturel. Mister Tip, au cours de cette première conversation, répondit aux diverses questions que je lui posais au sujet de la situation sociale et politique des Karen en Thaïlande :

- Selon vous, quels sont les principaux défis relatifs à l’intégration des Karen dans la société thaïlandaise actuelle?

- Mister Tip : Les Karen représentent la principale minorité montagnarde de Thaïlande. Leur intégration dans la nation thaïe constitue un enjeu important des deux côtés. Elle se cristallise principalement autour des droits sur la terre. Comme beaucoup de paysans thaïs, les Karen sont très pauvres et ne possèdent pas de droits légitimes sur les terres qu’ils cultivent. La question du partage des terres et les problèmes de l’écologie sont un débat très actuel qui suscite de nombreuses controverses au sein même de la société thaïlandaise. Il suffit d’ouvrir le journal pour les voir chaque jour évoqués. Nous, les Karen, nous ne sommes pas seuls au

monde. Il n’y a plus assez de terres disponibles pour permettre comme autrefois la dispersion chronique de quelques familles sur de nouveaux territoires exploitables. Nous devons nous adapter aux réalités et aux contraintes écologiques actuelles.

- Alors, comment faites-vous pour répondre aux reproches écologiques ?

- Le problème s’est posé de manière significative dans les provinces de Kanchanaburi et de Chiang Mai. Là, des territoires habités par des Karen ont été déclarés patrimoine mondial de l’UNESCO. Des politiciens ont alors voulu déplacer des villageois karen vers la plaine. La réaction des anciens et des diverses personnes directement menacées par ces projets de délocalisation a été de dire : « Nous faisons partie de cet environnement. Nous avons préservé pendant des siècles ce que vous appelez le patrimoine mondial ». Ce message fait désormais l’unité des Karen thaïs. Nous avons une philosophie qui consiste à respecter l’environnement.

Notre éthique dominante est de vivre en harmonie avec la nature et de n’en prendre que ce dont nous avons besoin. Par exemple, je me rappelle un jour, quand j’étais encore un enfant, je suis allé pêcher des poissons dans la rivière avec mon oncle. Nous avons pêché deux ou trois poissons puis mon oncle a dit : « Allons-y, rentrons ». J’ai réagi : « Mais pourquoi ne pas prendre plus de poisson ? ». Il m’a dit : « Non, pas question, il faut uniquement prendre ce dont nous avons besoin, pas plus. C’est tabou de vouloir accumuler ».

- Quelles sont vos initiatives pour promouvoir et perpétuer cette philosophie ?

-Mister Tip : Les communautés de montagne sont condamnées à disparaître si aucune initiative n’émerge pour les préserver. Pour cela, il faut absolument développer le système éducatif. Les Karen des montagnes ne maîtrisent pas suffisamment la langue thaïe pour entrer en contact avec l’administration. Il faut créer des classes dans les villages reculés de montagne pour éduquer les jeunes générations. Ce sont les anciens qui le réclament, car ils ne sont pas en mesure de faire face aux démarches administratives, ne serait-ce que pour obtenir la citoyenneté thaïlandaise. Depuis la constitution de 1992, le gouvernement reconnaît le rôle de l’éducation pour assurer le lien entre la nation et le maintien des identités locales. Avec l’IMPECT, nous travaillons sur des projets pilotes pour intégrer ce que nous appelons des

« enseignements locaux » dans le programme national. Ils sont en rapport avec tout ce qui touche aux valeurs essentielles de la société karen : les mythes, les croyances et les rites associés à l’essartage, la médecine et en particulier la philosophie des anciens en matière de protection de l’environnement. Par ailleurs, comme les terres disponibles diminuent, l’éducation est le seul espoir pour les générations à venir d’accéder à des postes de

responsabilité dans la société thaïlandaise : militaires, agronomes, fonctionnaires de l’administration ou du développement, professeurs d’université ou politiciens. C’était le cas dans le passé en Birmanie. Grâce à l’éducation, les Karen birmans sont parvenus à participer à tous les secteurs de l’activité politique et économique du pays ».

- Que pensez-vous des divisions entre les Karen ?

- Les Karen, qu’ils soient chrétiens ou bouddhistes, Birmans ou Thaïs, ne sont pas séparés par la culture, mais par une frontière politique. La séparation entre la KNU et la DKBA est le résultat d’une querelle de pouvoir entre les généraux de l’armée.

- A votre avis, quel est le retentissement du combat nationaliste mené en Birmanie sur les Karen de Thaïlande ?

- En Birmanie, les Karen ne sont pas seuls à réagir contre le pouvoir central. Il y a d’autres groupes ethniques et les étudiants birmans qui suivent le combat démocratique mené par Aung San Suu Kyi. De plus en plus, les Karen birmans prennent conscience qu’il faut créer un État fédéral et que la constitution d’un état indépendant est un idéal peu concrétisable. En Thaïlande, il n’y a jamais eu de développement d’un combat nationaliste. Le dialogue entre le gouvernement et les tribus montagnardes est plus fluide et va beaucoup plus loin qu’en Birmanie. Les problèmes majeurs à résoudre entre les deux parties sont l’identité, la culture, l’égalité sociale, l’environnement et la survie économique ».

Lung Sanan : « Nous avons quelque chose que les Thaïs n’ont pas. Une grande moralité »

Lung signifie « oncle » en thaï. Cette particule est utilisée tant dans un contexte familial aussi bien que dans le contexte élargi des relations sociales pour s’adresser à un aîné. Dans le cas de Lung Sanan, ce suffixe n’est plus contextuel, mais le suit partout où il va. Il témoigne de sa réputation et de la marque de respect témoignée face à son âge, environ la cinquantaine.

Si Mister Tip était apprécié des Thaïs par sa capacité à maîtriser les codes de civilité et de présentation de soi propres à la classe moyenne et urbaine (gestuelle de politesse, prononciation parfaite de la langue thaïe, tenue vestimentaire occidentale), Lung Sanan reflétait d’autres vertus plus spécifiquement liées à la figure de l’indigène. Son humilité apparente (il parlait à voix basse, lentement), son âge, son savoir sur la tradition karen et la sensation de pureté dégagée par ses propos lui valait son statut de « sage indigène ». J’avais

entendu parlé de lui par les médecins français de MSF. Comme Mister Tip, il fallait absolument que je rencontre Lung Sanan, l’autre porte-parole local de l’IMPECT et des Karen de Thaïlande. Lui aussi est employé au service de médiation entre une ONG humanitaire étrangère et les Karen des camps. Il est de confession bouddhiste, et parle parfaitement le thaï.

- Que pensez-vous des relations entre Thaïs et Karen ?

- Lung Sanan : En Thaïlande, nous avons neuf tribus (et le plus grand groupe est les Karen).

Ensuite, il y a les Hmong. Ceux-là en particulier sont très puissants et dangereux selon les Thaïs. Ce sont des commerçants. Les Karen ne sont pas menaçants pour les Thaïs, ils sont calmes, ils n’ont pas de problèmes avec la police ou le gouvernement. « Yang ko dai », disent-ils de nous. Avec les Yang, nom qu’disent-ils nous donnent, ça va. Selon l’histoire, les Karen ont été très bénéfiques pour les Thaïs. Il y a trois cents ans, les Birmans sont venus pour attaquer Ayuthaya. A l’époque, la région de Mae Sot était karen et non thaïe, mais ils avaient une relation très proche avec les Thaïs. Ce sont eux qui les ont protégés de l’invasion birmane, même s’ils n’ont pas pu toujours l’empêcher. Les Karen se sont battus contre les Birmans et ont activement participé à la défense du royaume du Lan Na. Si on considère par le passé les Karen et les Thaïs sont très proches.

- Que pensez-vous des retentissements du conflit nationaliste des Karen en Birmanie sur les Karen de Thaïlande ?

- Peut-être que certains leaders thaïs ont peur que le combat nationaliste se propage en Thaïlande, mais les Karen ne prennent pas ce parti. Les Karen de Thaïlande ne veulent pas faire comme les Karen birmans. Ils veulent vivre en paix avec les Thaïs et cela depuis toujours. Ils ne sont pas d’accord avec la façon dont les Karen birmans se battent pour obtenir l’autonomie. Moi je viens de Mae Sariang, et les anciens qui n’ont pas été éduqués par le système éducatif occidental dans les montagnes, m’ont enseigné par leur sagesse et au travers de leurs mythes que ce n’est pas bien de vouloir un pays. Ils disent que si on a un pays, il faut organiser une administration et un gouvernement. Le gouvernement va alors collecter des taxes et c’est un grave pêché. Les anciens disent que les Karen birmans ont suivi l’idéologie des blancs et n’ont pas respecté leur philosophie. D’après celle-ci, les Karen n’auront jamais de terre dans cette vie, mais ils en auront dans une autre vie. En attendant, ils doivent laisser la terre à leurs frères. C’est pour cela que les Karen ne réagissent pas beaucoup quand on veut prendre leur terre. Ils sont timides, car ils ont toujours été opprimés par les autres. Lorsqu’ils

vont en ville, on les regarde de haut. On pense que ce sont des illettrés. Il n’y a que les gens éduqués pour réclamer justice.

- Quelles sont les stratégies des Karen thaïs pour préserver leur identité ?

- Il y a actuellement trois groupes de Karen dans la société thaïlandaise. Un premier groupe qui se cache dans la montagne pour préserver son identité, un deuxième qui a décidé de parler thaï et de s’adapter. C’est surtout le cas des jeunes. Et un troisième groupe de personnes éduquées qui développe un sentiment identitaire très fort et qui lutte pour sa reconnaissance.

Avec l’IMPECT, on rassemble actuellement tous les mythes karen pour en faire un livre.

Nous devons développer des écoles spéciales pour transmettre notre morale et notre philosophie aux nouvelles générations qui apprennent à lire et à écrire le thaï. Ils doivent aussi connaître leurs mythes et leur poésie. En ce moment nous organisons cela et nous avons besoin de sponsors issus de Thaïlande ou d’autres pays pour nous aider à le réaliser.

- Qu’est-ce que cela signifie d’être karen ? Comment le définissez-vous ?

- Selon la tradition mythique, les Karen vivent en Thaïlande non pas depuis deux cent ans ou trois cent ans, mais depuis des milliers d’années. Nous étions politiquement et militairement dominés par les Thaïs. En plus, nous dépendions des Thaïs à cause du sel pour cuisiner. Les Karen devraient déjà être assimilés depuis longtemps dans la société thaïlandaise. La raison pour laquelle nous avons préservé notre identité, c’est parce qu’on se moque de tout contrôler, l’économique, le politique, etc... Nous avons quelque chose que les Thaïs n’ont pas. Une grande moralité. Même si nous sommes en difficulté, nous sommes très fiers de notre philosophie. Nous sommes les gardiens de la forêt. Aujourd’hui, les Thaïs, et les étudiants surtout, commencent à s’intéresser à la façon dont nous protégeons la forêt. Eux n’ont pas d’idéologie sur la question. Dans notre philosophie, la destruction de la forêt signifie la destruction de l’âme et c’est cela que nous pouvons leur enseigner.

Karen thaïs et Karen birmans

Je cherchais une porte pour pénétrer le monde karen, ces porte-paroles m’en donnaient la clef. Jusqu’alors, j’avais surtout approché les Karen au travers du regard des autres : celui des ethnologues que j’avais lu avant de partir et, une fois sur place, celui des employés du développement, des journalistes, des Thaïs issus de la classe moyenne ou paysanne et des

touristes rencontrés. Pour la première fois, j’étais confronté à des Karen qui formulaient un discours sur eux-mêmes. Dans un premier temps, je m’étais associée à un parcours officiel qui m’a plongée dans l’univers du développement orchestré par les représentants de l’État. Au centre de Mae Hong Son, j’avais pu constater la volonté et les efforts déployés par l’administration thaïe pour intégrer les montagnards dans la nation, mais aussi la difficulté pour ses fonctionnaires de les considérer comme de « vrais » Thaïs. Dès les premiers pas sur la frontière, il m’apparaissait clairement que ces deux populations, les Thaïs et les Karen, se conçoivent mutuellement comme des étrangers. Ils ne parlent pas la même langue, ils n’ont pas la même culture, ils n’appartiennent pas à la même « race », ils ne vivent pas dans le même milieu, ils ne consomment pas la même nourriture. Très souvent et tout au long de mon

touristes rencontrés. Pour la première fois, j’étais confronté à des Karen qui formulaient un discours sur eux-mêmes. Dans un premier temps, je m’étais associée à un parcours officiel qui m’a plongée dans l’univers du développement orchestré par les représentants de l’État. Au centre de Mae Hong Son, j’avais pu constater la volonté et les efforts déployés par l’administration thaïe pour intégrer les montagnards dans la nation, mais aussi la difficulté pour ses fonctionnaires de les considérer comme de « vrais » Thaïs. Dès les premiers pas sur la frontière, il m’apparaissait clairement que ces deux populations, les Thaïs et les Karen, se conçoivent mutuellement comme des étrangers. Ils ne parlent pas la même langue, ils n’ont pas la même culture, ils n’appartiennent pas à la même « race », ils ne vivent pas dans le même milieu, ils ne consomment pas la même nourriture. Très souvent et tout au long de mon