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JUSTIFICATIONS THÉORIQUES PARTIELLES

INTRODUCTION,

Le contrôle et la participation judiciaires à l'exécution des sanctions pénales ont cheminé parnllèlement dans la doctrine et la loi, de sorte qu'il est souvent difficile d'attribuer ·aux auteurs ou au législateur la pa-ternité d'une solution; ceux-là semblent néanmoins avoir suivi celui-ci, et cette chronologie a peut-être pesé sur la majorité des justifications théo-riques de l'institution. Ces dernières ont néanmoins leur intérêt, car elles ont à la fois expliqué des textes et contribué au développement de règles encore très embryonnaires. Aussi certaines de ces justifications méritent-elles d'être mentionnées. Bien que leurs postulats soient parfois divergents, elles ont des éléments communs, qu'il convient d'analyser et qui facilitent, par la suite, la mise en évidence de leur point de rencontre : la légalité, non plus exclusivement limitée à la procédure et au droit de fond, s'im-pose dès après le jugement, comme durant l'instruction et lors de la condamnation.

C'est ainsi que les travaux de doctrine ont permis de consacrer plus sûrement encore des institutions mal acceptées par l'organisation séculaire des autorités judiciaires et administratives. Car il faut bien reconnaître qu'en imposant au procès pénal une nouvelle échéance, qui n'est plus celle de la condamnation, mais de la socialisation, en prolongeant en quel-que sorte le mandat de contrôle et de surveillance de l'autorité judiciaire, le législateur le plus novateur ne peut supprimer d'un trait de plume les conflits que suscite précisément l'affrontement des caractères contradic-toires que connaît aujourd'hui la sanction pénale.

Certaines théories, directement inspirées de la participation judiciaire à l'exécution pénale, ou l'ayant suscitée, pourraient donc paraître frag-mentaires ou parcellaires. Ce reproche ne serait pourtant fondé que s'il n'était pas justement rappelé à leur sujet que toutes sont proches parentes

JUSTIFICATIONS PARTIELLES 35 de la fonction d'amendement de la peine, qui a « largement contribué à donner une signification nouvelle à la condamnation »i et, plus encore, à l'exécution pénale.

5. CONTINUITÉ DE JURIDICTION.

Etant admis que la fixation judiciaire de la peine n'est plus le dernier acte de la répression, mais une étape dans un processus complexe qui se déroule encore au-delà du jugement, il suit évidemment que les phases successives de l'exécution et de l'application des sanctions pénales ne peuvent comporter des divisions résultant de la conception particulière que chaque autorité se fait des objectifs de la répression. Les impératifs qui dictent le jugement pénal ne peuvent être ignorés lors de son appli-cation ; les principes qui le sous-tendent doivent rester cohérents de la condamnation à la fin de la peine, car « la peine est une opération continue, se développant dans la même intention qui l'a décidée, pour-suivant un but qui a été précisé au moment où la décision a été prise » 2 •

L'idée n'est pas nouvelle et résulte partiellement de l'infiltration pro-gressive de l'élément légal, et subséquemment juridictionnel, dans la pha-se exécutive. Mais son postulat repopha-se avant tout sur l'exigence d'une discipline unique de la répression, encore trop marquée d'étapes distinctes qui se caractérisent par la vengeance, l'expiation, l'intimidation et l'amen-dement, sans que soient résolus les problèmes que posent la hiérarchie ou la conciliation de ces fonctions a.

A. Gautier, déjà, dénonce « comme un des grand vices de la pénalité d'aujourd'hui la séparation entre le prononcé de la peine et son exécution.

La logique veut que l'autorité, à laquelle seule jusqu'ici incombait le soin de mesurer la peine, ait, elle aussi, son mot à dire dans le nouveau mode de détermination » 4. Cette observation relative aux peines indéterminées, telles qu'elles étaient conçues à la fin du

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siècle, garde toute sa valeur face à l'exécution actuelle des peines.

Ferri exprime, lui aussi, l'avis qu'il doit y avoir continuité et solidarité entre les différentes fonctions pratiques de défense sociale, depuis la police judiciaire jusqu'à la sentence et son exécution 5 •

1 Schmelck/Picca : op. cit., p. 190.

2 Barrigue de Montvallon : op. cit., p. 174.

a A. Oayraud : La coercition dans l'exécution des peines. RPDP 1968, p. 82 : « En l'état actuel de l'opinion publique et de la législation, le dualisme des finalités de la peine, à la fois châtiment et traitement, présente au plan du réel des gênes réciproques, engendre des conflits. »

4 A. Gautier : op. cit., p. 35.

5 E. Ferri : op. cit., p. 492.

36 FONDEMENTS DE LA PARTICIPATION

Pour Sliwowski, « les éléments constitutifs de la pénalité ( ... ) ne peuvent être constatés, ni définis, ni déterminés qu'après un certain temps, qu'au cours d'une certaine période» o ; l'élément légal apparaît ainsi dans l'application de la peine et commande donc, en concours avec l'exigence d'une continuité de juridiction, la participation judiciaire dans l'appli-cation des peines. Ce même auteur discernera plus tard, dans la création française du juge de l'application des peines, la reconnaissance du lien organique unissant la fonction juridictionnelle et la fonction exécutive ;

« l'institution souligne, par sa dénomination, l'idée d'une continuité de juridiction : celle du jugement et celle de l'exécution, car toutes deux peuvent au point cle vue logique et juridique être censée appliquer les peines » 7 •

6. L'IMPRÉVISION.

Certains auteurs, tels Sliwowski 8 , n'ont pas hésité à invoquer la théo-rie de l'imprévision pour justifier les modifications postéthéo-rieures à la condamnation et l'application de décisions portant atteinte aux disposi··

tions prises lors du jugement, ceci dans le cadre de l'exécution pénale.

Transposant ces notions reçues en droit civil et administratif, cet auteur estime que l'imprévision a pénétré le droit pénal et l'administration péni-tentiaire par le biais de deux types de sanctions, déjà considérablement modifiées par rapport aux notions classiques de la peine, soit par les mesures visant d'une part les mineurs et, d'autre part les condamnés incorrigibles, corrompus ou socialement inadaptables.

Certes les conditions d'application cle la peine peuvent être considé-rablement modifiées par des facteurs imprévisibles au moment de la condamnation, mais ces facteurs, individuels, subjectifs et très relatifs donnent naissance à des situations qui n'ont rien d'exceptionnel. En effet la peine est toujours une mesure individuelle, dont les juges qui la pro-noncent ne peuvent jam ais prévoir exactement les effets. Cette incertitude est inhérente à toute condamnation et impose donc, très généralement, la plus grande souplesse dans l'exécution, du moins si l'on admet que la peine ne peut être efficace à moins d'être constamment et rapidement adaptée à chaque condamné. En outre, si l'on se rappelle d'une part que les pertubations doivent être extérieures et ne pas dépendre des parties

o G. Sliwowski : Les pouvoirs du juge (op. cit.), p. 93.

1 G. Sliwowski: Les dispositions concernant le contrôle judiciaire de l'exé-cution des peines en droit pénal français. Problèmes contemporains de procédure pénale (Mélanges Hugueney), Paris, 1964, p. 275.

s G. Sliwowski : Les pouvoirs du juge (op. cit.), p. 16.

JUSTIFICATIONS PARTIELLES 37 en cause (ici le condamné), que d'autre part l'imprévisibilité doit être absolue, les conditions de l'imprévision ne semblent pas remplies dans ce domaine, d'abord parce qu'il s'agit des modifications (plus ou moins voulues et décidées) du comportement d'un individu, ensuite parce que l'imprévisibilité est évidemment relative, l'exécution pénale ayant préci-sément pour objectif essentiel de transformer certaines attitudes et d'ob-tenir un comportement différent.

Vouloir dès lors lui appliquer une théorie, par ailleurs exceptionnelle et rarement admise dans les autres branches du droit, nous paraît singu-lièrement dangereux et porte gravement atteinte à l'autonomie du droit pénal.

7. INCIDENT D'EXÉCUTION, STATUT LÉGAL ET DROITS SUBJECTIFS.

Les théories de l'incident d'exécution, du statut légal et des droits subjectifs, considérées par Sliwowski en 1939 comme les bases juridiques de l'intervention du juge dans l'exécution des peines et mesures, seront évoquées en rapport avec l'évolution générale des conceptions sur la condition juridique du condamné, les droits subjectifs et la légalité cri-minelle, qui méritent un examen approfondi (cf. chap. III, IV et V ci-après).

8. CRITIQUE DES JUSTIFICATIONS PARTIELLES.

Certaines des théories précédentes ont eu leur utilité, car elles ont contribué à faire admettre le bien-fondé de décisions nouvelles mettant en échec la fixité et l'immutabilité de la peine ; mais elles se rattachent à des principes du droit civil, administratif, public et constitutionnel et leur origine étrangère au droit pénal fait aussi leur faiblesse. Ne vaut-il pas mieux reconnaître que le droit pénal, et avec lui les concepts fondamen-taux régissant la sanction, peuvent évoluer de façon autonome ?

D'autres théories cautionnent une évolution déjà très avancée.

C'est la loi du 14 aoüt 1885 qui introduisit en France la libération conditionnelle, puis ce fut le sursis par la loi Béranger de 1891 ; « au moment où cette évolution fut accomplie, l'ancien principe de la fixité et de la rigidité de la sentence pénale sombre complètement» 9 . Or, la théorie du statut légal de Freudenthal date de 1910 10, son extension par

o O. Sliwowski : Les pouvoirs du juge (op. cit.), p. 18.

10 H. Müller-Dietz: Strafvollzugsgesetzgebung (op. cit.), p. 15.

38 FONDEMENTS DE LA PARTICIPATION Grilnhut de 1927 11, les incidents d'exécution de Nov~lli de 1933 12, enfin celle des droits subjectifs de Falchi de 1935 13, Nous préférons donc ad-mettre que fut déterminante avant tout l'évolution générale du droit pénal, plus spécialement la prise en considération de l'auteur et non plus du fait criminel. Ce qui a pour conséquence une conception indépendante des sanctions pénales et de leur application, auxquelles s'imposent d'une part un statut juridique du condamné conforme aux droits de l'homme et d'autre part le principe de la légalité 14,

11 Frede/Orünhut: op. cit., p. 17.

12 O. Novelli: Autonomia di Diritto penitenziario, Rome 1933.

13 O.F. Falchi : I diritti soggestivi della persona detenita. Scuola Positiva 1935, p. 1 et SS.

14 ]. Oraven: La limitation du droit de punir de l'Etat par les droits de l'homme. RDPC 1952-53, p. 447 (et not., p. 451).

CHAPITRE III