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La jurisprudence évolutive relative aux déchets : une assimilation de plus en plus marquée des déchets aux marchandises

Section 1– Une conciliation difficile en raison d’une interprétation jurisprudentielle extensive de la notion de marchandise

II- La jurisprudence évolutive relative aux déchets : une assimilation de plus en plus marquée des déchets aux marchandises

Le critère économique choisi par la CJCE pour définir les « marchandises »609 peut susciter des interrogations quant à la qualification juridique des déchets et notamment des déchets non recyclables. Le caractère contemporain et évolutif des interprétations jurisprudentielles par le juge communautaire nous semble transparaître dans sa jurisprudence relative aux déchets dont la gestion représente des enjeux très importants et illustre le développement de la fibre environnementale au sein de l’Union européenne.

En effet, l’assimilation des déchets aux marchandises fut d’abord implicite dans une série d’arrêts proches par leur objet.

Dans l’affaire « Huiles usagées »610 la CJCE juge contraire à l’article 28 du traité CE et à la directive relative à l’élimination de ces produits, une réglementation nationale qui comporte une interdiction implicite d’exporter des huiles usagées à un éliminateur ou à un régénérateur agréé d’un autre Etats membre, aussi bien par l’intermédiaire d’un détenteur que d’un ramasseur agréé. Cette assimilation implicite des huiles usagées aux marchandises est reprise dans l’affaire « ADBHU »,611 dans laquelle la CJCE est sollicitée pour apprécier la validité de la directive elle-même.

      

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Rappelons qu’il s’agit de « tout bien appréciable en argent et susceptible comme tel de former l’objet de transactions commerciales ». Définition tirée de l’affaire 7/68 (précitée).

610

Arrêt du 9 février 1984, « Huiles usagées », affaire 295/82, Rec. 1984, p. 575

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La CJCE consacre cette analyse dans l’affaire « Déchets wallons »,612 dans laquelle est mise en cause la réglementation belge interdisant le dépôt, le déversement et l’entreposage dans la région wallonne de déchets provenant d’un autre État membre ou d’une région autre que la Wallonie. Selon la Cour, les déchets recyclables ne posent aucune difficulté dans la mesure où ils conservent une valeur commerciale intrinsèque.613 Quant aux déchets non recyclables, le gouvernement belge se fonde précisément sur ce critère pour soutenir que les déchets non recyclables et non réutilisables ne peuvent faire l’objet d’une vente.614 Ce n’est pas l’avis de l’avocat général Jacobs pour qui des objets de valeur négative (dans le sens où il faut payer pour s’en débarrasser) peuvent donner lieu à des transactions commerciales. La CJCE en accord avec une telle analyse souligne le caractère aléatoire de la distinction entre déchets recyclables et non recyclables. Celle-ci dépend en effet de facteurs incertains et évolutifs tels que le progrès technique ou encore la rentabilité de l’opération liée au coût de la transformation.615 La CJCE conclut que les déchets recyclables ou non sont des produits soumis à l’article 28 du traité CE (article 34 TFUE). Dans une seconde étape, la Cour justifie cependant la réglementation litigieuse au titre de l’exigence impérative de protection de l’environnement par une surprenante corrélation entre le caractère non discriminatoire de la mesure nationale et la nature particulière des déchets.616

L’interprétation extensive de la notion de marchandise, telle qu’elle résulte de la jurisprudence « Déchets wallons » est rappelée dans l’affaire « Stadtgemeinde Frohnleiten » relatif à l’interprétation des articles 23, 25 et 90 du traité CE (articles 28, 30 et 110 TFUE).617 Les questions posées à la Cour concernent la compatibilité avec le droit communautaire, d’une réglementation autrichienne qui soumet à une taxe, le dépôt de déchets en décharge, mais l’en exonère lorsque les déchets résultent de la sécurisation ou de la réhabilitation de sites contaminés répertoriés dans un atlas officiel, précision étant faite que les sites situés dans d’autres États membres n’y figurent pas. En l’espèce, plusieurs tonnes de déchets ont été régulièrement importées d’Italie en provenance d’un site inscrit dans un programme italien de réhabilitation, mais ont bénéficié par décision ministérielle d’une exonération de la taxe, au motif qu’ils provenaient d’un site répertorié dans l’atlas officiel autrichien. L’interprétation de

      

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Arrêt du 9 juillet 1992 « Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique », affaire 2/90, Rec. 1992, p. 4431. 613 Ibid, point 23. 614 Ibid, point 25. 615 Ibid, point 27. 616 Ibid, point 34. 617

CJCE 8 novembre 2007, « Stadtgemeinde Frohnleiten Gemeindebetriebe Frohnleiten GmbH contre Bunderminister für Land – und Forstwirtschaft, Umwelt und Wasserwirtschaft », affaire 221/06, Rec. 2007, p. I-2613, points 37 et 38.

la CJCE intervient à titre préjudiciel, à la suite d’un recours intenté devant la juridiction nationale par la société autrichienne gérant la décharge réceptrice des déchets.

Après avoir écarté l’applicabilité des articles 23 et 25 CE (articles 28 et 30 TFUE) dans la mesure où la charge imposée ne correspondait pas au critère d’identification des taxes d’effet équivalent à des droits de douane, à savoir le franchissement de la frontière,618 le juge communautaire apprécie la conformité de la réglementation à l’aune de l’article 90 CE (article 110 TFUE)619 dont nous rappelons qu’il s’applique uniquement aux taxes frappant les produits. Tout d’abord, les parties comme la Commission s’entendent pour reconnaître que dès lors que les déchets doivent être considérés comme des marchandises au sens de l’article 28 du traité (article 34 TFUE), ils constituent également des produits au sens de l’article 90 du traité CE (article 110 TFUE).620

La démarche de la Cour suit alors une progression en deux étapes. Premièrement, l’argument du gouvernement autrichien selon lequel la taxe litigieuse frappe non pas des produits mais une prestation de service (en l’occurrence le dépôt des déchets, le remblayage ou l’égalisation des terrains au moyen de ceux-ci), ne tient pas. La Cour s’appuie sur une jurisprudence constante selon laquelle l’article 90 CE (article 110 TFUE) doit recevoir une interprétation large, de manière à permettre d’appréhender tous les procédés fiscaux qui porteraient atteinte directement ou indirectement à l’égalité de traitement entre les produits nationaux et les produits importés 621 et pas seulement aux taxes ayant un effet immédiat sur le coût du produit, comme le soutient le gouvernement autrichien défendeur au principal.622 La Cour complète ainsi une jurisprudence qui étend la notion d’imposition intérieure frappant les produits afin d’y inclure les taxes sur l’utilisation,623 le transport 624 de produits ou encore sur l’utilisation d’installations. 625

      

618

Ibid, point 27 : La Cour de justice définit les TEEDD comme « toute charge pécuniaire, fut elle minime, unilatéralement imposée, quelle que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu’elles franchissent la frontière, lorsqu’elle n’est pas un droit de douane proprement dit , constitue une taxe d’effet équivalent au sens des articles 23 CE et 25 CE ». Voir parmi les nombreux exemples, les arrêts du 1 juillet 1969, « Fonds des diamantaires », affaire 2/69, Rec. 1969, p. 211, point 18 ; du 2 avril 1998, « Outokumpu », affaire C-213/96 » Rec. 1998, p. I-1777, point 20 ; du 8 juin 2006, « koornstra », affaire C-517/03, Rec. 2006, p. I-5015, point 15.

619

En vertu de l’article 90 CE (article 110 TFUE), « aucun Etat membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres Etats membres d’impositions intérieures, de quelque nature qu’elles soient , supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires. En outre, aucun Etat membre ne frappe les produits des autres Etats membres d’impositions intérieures de nature à protéger indirectement d’autres productions ».

620

Conclusions de l’Avocat général Eleanor Scharpston, point 28.

621

Ibid, point 40

622

Conclusions de l’Avocat général Eleanor Scharpston, point 30.

623

Arrêt du 3 mars 1988, « Bergandi », affaire 252/86, Rec. 1988, p. 1343, point 27. La Cour dit pour droit que l’article 90 CE s’applique également aux impositions qui frappent l’utilisation des produits importés lorsque ces derniers sont essentiellement destinés à cette utilisation et ne sont importés qu’en vue de celle-ci (point 27).

Toutefois, et il s’agit là de la seconde phase du raisonnement du juge communautaire, il convient de ne pas occulter la spécificité de l’affaire « Stadtgemeinde Frohnleiten » qui porte non pas sur des produits commerciaux classiques mais sur des déchets, c'est-à-dire des produits arrivant en fin de vie commerciale et ne possédant aucune valeur économique, si ce n’est une valeur négative comme le souligne l’avocat général. Pour autant, la Cour constate dans le courant de la jurisprudence antérieure précitée, que les seules transactions commerciales auxquelles des déchets destinés à être éliminés peuvent donner lieu, sont celles relatives à leur élimination où à leur mise en décharge. Or, dans la mesure où le montant de la taxe litigieuse est fonction notamment du poids et de la nature des déchets, il est vraisemblable que l’exploitant de la décharge, débiteur de la taxe peut la répercuter sur le coût de la prestation facturée à l’opérateur. La Cour en conclut que la taxe en question frappe indirectement les déchets mis en décharge au sens de l’article 90 CE (article 110 TFUE).626 La suite du raisonnement conduit la Cour vers le constat de la violation de l’article 90 du traité CE (article 110 TFUE) en raison du caractère discriminatoire de la disposition fiscale litigieuse.627

La conclusion à tirer de cette affaire est claire : une imposition ne doit en aucune mesure décourager l’importation de biens en provenance d’autres États membres, même s’il s’agit de déchets.

Grâce à ces raisonnements, la CJCE/CJUE étend considérablement le champ d’application des dispositions du traité visant le bon fonctionnement du marché intérieur, en affirmant notamment que tout objet transporté par delà une frontière pour donner lieu à des transactions commerciales, relève de la règle de libre circulation des marchandises. Pour autant, elle ne sacrifie nullement la protection de l’environnement prenant en compte la double nature des déchets. Ainsi, elle se révèle capable de justifier avec beaucoup de finesse, des décisions qui pourraient se révéler critiquables à partir d’une lecture et d’une interprétation trop simplistes du traité.

       

624

Arrêt du 16 février 1977, « Schöttle », affaire 20/76, Rec. 1977, p. 247, point 16 : « Par imposition qui frappe indirectement les produits au sens de l’article 95 du traité CEE, il faut également entendre une taxe qui est perçue sur les transports internationaux de marchandises par route, en fonction de la distance parcourue sur le territoire national et le poids des marchandises en cause ».

625

Arrêt du 17 juillet 1997, affaire C-90/94, Rec. 1997, p. I-4085, point 38 : « …une taxe frappe les produits et est à charge du destinataire ou de l’expéditeur des marchandises, même si elle est perçue à l’occasion de leur transport ou de l’utilisation de ports de commerce et est payée, dans un premier temps par le navire ou son agent local ».

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CJCE 8 novembre 2007, « Stadtgemeinde Frohnleiten Gemeindebetriebe Frohnleiten GmbH contre Bunderminister für Land – und Forstwirtschaft, Umwelt und Wasserwirtschaft », affaire 221/06, Rec. P. I-.2613, point 46.

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Cette jurisprudence plus conciliante avec les impératifs spécifiques qu’exige la nature