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L’article 34 TFUE relu à la lumière de l’article 36 ou la recherche d’une volonté protectionniste

Conclusion du titre

Section 1- Une interprétation restrictive du régime dérogatoire de l’article 36 TFUE

II- L’article 34 TFUE relu à la lumière de l’article 36 ou la recherche d’une volonté protectionniste

La libre circulation est un droit dont l’exercice ne peut logiquement dépendre du pouvoir discrétionnaire ou d’une tolérance de l’administration nationale.504 Pour autant, l’esprit et la lettre même du traité n’impliquaient-ils pas la recherche d’une volonté protectionniste ? Une réponse affirmative à cette question pourrait être fondée sur la letttre de l’article 36 du TFUE qui interdit toute « discrimination arbitraire » ou « restriction déguisée ». Cette formulation n’implique t-elle pas, lors de l’examen de la proportionnalité des mesures restrictives, un contrôle des intentions subjectives qui motivent leurs auteurs ?505.

Or deux constats sur lesquels nous allons revenir, révèlent l’insensibilité de la Cour à cet argument. Premièrement, la CJUE est souvent apparue indifférente au contexte qui aurait pu placer l’Etat au-dessus de tout soupçon, comme l’illustrent un certain nombre d’affaires. Deuxièmement, la Cour pourrait être influencée par « la loi du nombre ».

La première affirmation concerne des situations objectives qui aurait pu éloigner la suspiscion et la défiance de la Cour.

      

503

 Nourissat  Cyril,  De  Carrièire  Bonnamour    Blandine,  « Droit  de  la  concurrence,  libertés  de  circulation  –  Droit  de  l’Union – Droit interne, Dalloz  2013, 4 ème édition, p. 123.  

Molinier Joël, de Grove Valdeyron Nathalie , « Droit du marché intérieur », 3ème édition, LGDJ, Système Droit (2011), p.  72. 

504

Arrêt du 15 mars 2007, « Commission contre République de Finlande », affaire 54/05, Rec. p. I-2473, point 36.

505

 Voir  Simon  Denys,  « Régime  d’autorisation  préalable  à  l’importation  d’esprit  de  vin »,  Europe,  Novembre  2006,  p.16. 

Ainsi, dans les arrêts relatifs à la « loi de pureté » de la bière en Allemagne,506 la CJCE occulte la dimension culturelle du produit pour ne retenir que l’effet d’entrave, malgré le caractère traditionnel et très ancien de la réglementation allemande.

De même, la CJUE ne semble pas plus sensible aux difficultés pratiques invoquées par les Etats pour expliquer les entraves dont le seul effet sur les échanges est pris en compte.

Pour exemple, l’affaire des « bouteilles danoises », concerne une réglementation du royaume du Danemark en vertu de laquelle les producteurs de bières et de boissons rafraichissantes doivent commercialiser ces boissons dans des emballages agréés par l’agence nationale pour la protection de l’environnement et susceptibles d’être réutilisés. La CJCE reste indifférente à l’argument du Danemark qui justifie sa réglementation en indiquant que le système de consigne serait compromis dans son fonctionnement si le nombre d’emballages agréés était si élevé qu’il risquerait de décourager les détaillants tenus d’aménager des espaces de stockage disproportionnés.507

Ajoutons que la Cour de justice rejette toute justification basée sur une règle « de minimis ». En effet, la définition jurisprudentielle des MEERQ inclut des dispositions nationales susceptibles d’entraver les échanges sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve qu’elles ont produit un effet sensible sur lesdits échanges. Or l’absence d’effet sensible devrait permettre de conclure à l’absence de volonté protectionniste. Notre conviction est encore renforcée par la comparaison avec le droit communautaire de la concurrence qui permet aux autorités d’appliquer la règle « de minimis » permettant ainsi aux « accords d’importance mineure » passés entre des entreprises ayant des parts de marché relativement faibles, d’échapper à l’application de l’article 101 TFUE.508

Enfin, les États peuvent être jugés responsables au titre de l’article 34 du TFUE d’entraves aux échanges dues à des causes qui ne sont pas d’origine étatique. Ainsi, la Cour condamne les carences des États membres à intervenir lorsque des actions de particuliers visent à

      

506

Arrêt du 12 mars 1987, « Commission des Communautés Européennes contre République Fédérale d’Allemagne », affaire 178/84, Rec. 1987, p. 1227.

507

Ibid, point 15.

508

La règle « de minimis » a fait l’objet de communications successives de la Commission.

Aux termes de l’article 101 du TFUE, « sont interdits et incompatibles avec le marché commun tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter les échanges entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence à l’intérieur du marché commun ».

empêcher la libre circulation des marchandises. Autrement dit, le principe de libre circulation des marchandises oblige non seulement les États membres à ne pas créer eux-mêmes des obstacles susceptibles d’entraver les échanges, mais également à adopter, en cohérence avec le traité, toute mesure nécessaire au maintien de cette liberté. 509

L’affaire des « fraises espagnoles »510 fournit un tel exemple d’intransigeance de la Cour face aux arguments de la France qui tente de justifier l’inefficacité des mesures adoptées contre des manifestants français qui s’opposent par la violence à l’importation sur le territoire national de produits agricoles en provenance d’autres États membres et notamment d’Espagne.

Pour la Cour, le fait pour un État membre de s’abstenir d’agir, ou de ne pas adopter des mesures suffisantes pour empêcher des obstacles à la libre circulation des marchandises créés par des actions de particuliers est de nature à entraver les échanges intracommunautaires tout autant qu’un acte positif.511

De même, l’arrêt préjudiciel « Schmidberger »512 présente certains point communs avec l’arrêt en manquement précité. Le renvoi préjudiciel trouve en effet son origine dans l’action en justice d’une société de transport devant la juridiction de renvoi afin d’obliger la République d’Autriche à l’indemniser, en raison de l’impossibilité pour ses camions d’emprunter une autoroute sur laquelle un rassemblement autorisé par les autorités autrichiennes a entraîné la paralysie de la circulation pendant plusieurs jours. La Cour se réfère à l’affaire des « fraises espagnoles » en rappelant la responsabilité d’un Etat qui s’abstiendrait de prendre les mesures requises pour faire face à des entraves à la libre circulation des marchandises dûes à des causes d’origine non étatique.513

La seconde affirmation selon laquelle la Cour pourrait être influencée par la loi du nombre, se fonde sur la thèse défendue par une certaine doctrine514 soutenant que la Cour aurait été guidée par « the principle of majoritarianism » : Dans ses appréciations, la Cour refuserait de

      

509

Arrêts du 9 décembre 1997 « Commission contre République française », affaire C-265/95, Rec., p. I-6959, point 32; du 12 juin 2003, « Schmidberger », affaire C-112/00, Rec., p. I-5659, point 59.

510

Arrêt du 9 décembre 1997 « Commission contre République française », affaire C-265/95, Rec. p. I-6959, point 30.

511 Ibid, point 31. 512  Arrêt du 12 juin 2003, « Schmidberger », affaire C‐112/00, Rec. 2003, p. I‐5659.  513 Ibid, point 57. 514

M. Poiares Maduro, « We the Court : The European Court of Justice and the European Economic Constitution » (Oxford 1998), 88.

légitimer une réglementation fondée sur des motifs ou des exigences de protection du consommateur non partagés par une majorité d’Etats membres. L’affaire « Loi de pureté de la bière » opposant la RFA et la Commission en serait une illustration. Sans partager une vision aussi caricaturale de la jurisprudence de la Cour, nous estimons toutefois que les interprétations finalistes du traité aggravent la vulnérabilité des Etats membres dans l’exercice de leur compétence résiduaire.

Conclusion de la section

Il apparaît que la conception souvent restrictive de l’article 36 adoptée par la Cour de justice présente une dimension à la fois objective dans le sens où elle concerne le champ couvert par les motifs de dérogation listés dans l’article 36 du traité, mais également une dimension subjective dans la mesure où l’absence de volonté protectionniste de la part des États membres ne leur garantit pas l’immunité. La portée du régime dérogatoire prévu par le traité apparaît ainsi comme limité dans son application, ce qui réduit d’autant la marge de manœuvre concédée aux États membres dont la vulnérabilité peut être également soulignée.

Section 2- La vulnérabilité des Etats membres dans l’exercice de leur