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4.3 Jeux taking-breaking

4.3.2 Jeux octaux et généralisations

Pour aller plus loin que les jeux de soustraction, la suite logique est d’autoriser les coups de type

breaking, c’est-à-dire de laisser les joueurs séparer une pile en deux en jouant dessus. Par exemple,

il est possible de définir un jeu taking-breaking dans lequel les joueurs peuvent retirer 2 jetons d’une pile, et décider de la casser ou non en deux. La figure 4.11 montre un exemple de partie de ce jeu.

(11) (4, 5) (1, 1, 5) (1, 1, 3) (1, 1, 1) Figure4.11 – Une partie d’un jeu taking-breaking dans lequel les joueurs peuvent retirer 2 jetons d’une pile, et éventuellement la séparer en deux sous-piles.

Un codage a été défini pour cette catégorie de jeux taking-breaking, sous la forme d’un nombre octal : son ième chiffre est strictement positif si le coup de taking retirant i jetons est légal, et sa valeur va définir quel coup de breaking sera légal en retirant i jetons. Comme il existe trois types

de breaking possibles (vider une pile, laisser une pile vide, séparer une pile en deux piles non-vides), le codage prendra la forme d’un nombre octal, défini de la façon suivante et résumé par le tableau 4.2 :

Définition 4.40. Soit d0, d1, d2, d3, . . . une séquence de nombres en base 8, de la forme di= b0i+ 2× b1i+ 4× b2

i et tel que d0∈ {0, 4}. Le jeu octal d0.d1d2d3. . . est le jeu taking-breaking dans lequel les joueurs peuvent retirer k jetons d’une pile si et seulement si dk = 0. Ce faisant, ils peuvent changer

la pile en j piles non-vides si et seulement si bjk = 0.

Valeur de di Condition pour retirer i jetons d’une pile

0 Interdit

1 Après le coup, la pile est vide

2 Après le coup, les jetons restants forment une pile non-vide

3 Après le coup, soit les jetons restants forment une pile non-vide, soit la pile est vide 4 Après le coup, les jetons restants forment deux piles non-vides

5 Après le coup, soit les jetons restants forment deux piles non-vides, soit la pile est vide 6 Après le coup, les jetons restants forment une ou deux piles non-vides

7 Après le coup, soit les jetons restants forment une ou deux piles non-vides, soit la pile est vide Tableau 4.2 – Les coups légaux dans un jeu octal en fonction de la valeur du ième chiffre du code.

S’il existe un  tel que pour tout i >  on a di = 0 alors le jeu est appelé jeu octal fini et sera

noté d0.d1d2d3. . . d.

Par exemple, le jeu présenté par la figure 4.11 est le jeu octal 0.07 : les joueurs peuvent retirer

2 jetons de la façon qu’ils le souhaitent, y compris en éventuellement séparant la pile en deux. De même, dans le jeu 0.31, les joueurs peuvent retirer 1 jeton d’une pile en n’importe quelle occasion

(mais sans la séparer), mais ne peuvent en retirer 2 que si la pile contient exactement 2 jetons. Dans le jeu4.207, les joueurs peuvent ne retirer aucun jeton mais séparer une pile en deux piles non-vides,

retirer 1 jeton d’une pile si, ce faisant, ils ne la vident pas, et retirer 3 jetons d’une pile en laissant la pile vide, une seule pile ou deux piles non-vides.

Notons que les jeux de soustraction sont une sous-famille des jeux octaux, pour lesquels di∈ {0, 3}

pour tout entier i. En particulier, Nim est le jeu 0.33333 . . .. De même, Cram joué sur une ligne

est exactement 0.07 : placer un domino sur une ligne revient à retirer deux jetons d’une pile, et

jouer au milieu en séparant la ligne en deux revient à diviser la pile en deux.

Comme pour les jeux de soustraction, l’étude des jeux octaux se concentre sur la détection de périodicité dans les séquences de Grundy. En particulier, il existe un test de périodicité pour les jeux octaux finis :

Théorème 4.41 ([19]). Pour un jeu octal fini d0.d1d2d3. . . d, s’il existe deux entiers n0, T tels

que G(n) = G(n + T ) pour n0 ≤ n ≤ 2n0+ 2T + , alors la séquence de Grundy est ultimement

périodique avec période T et prépériode n0.

L’étude des séquences de Grundy des jeux octaux est cependant complexe. Par exemple, s’il est aisé de constater que le jeu octal0.7 a une séquence de Grundy périodique, il est déjà plus technique

de repérer (à la main ; un ordinateur appliquant le théorème 4.41 y parvient aisément) que 0.07

a une séquence de Grundy ultimement périodique (avec période 34 et prépériode 68). Quant au jeu 0.007, aucune périodicité n’a encore été détectée, bien que 228 valeurs aient été calculées (et seulement 37 valeurs égales à 0 apparaissent parmi elles). De nombreux exemples de jeux octaux dont les séquences de Grundy ont été étudiées ont été compilés par Flammenkamp [54], en complément de la table des jeux octaux dans le chapitre 4 de [19].

La difficulté de cette étude explique qu’il n’existe pas de théorème global de périodicité sur les jeux octaux, bien qu’on sache que les jeux octaux finis n’ont pas forcément une séquence de Grundy arithmétique périodique [8, 19]3. Sur la base d’arguments statistiques sur des valeurs de Grundy apparaissant rarement dans les séquences de Grundy, Guy a énoncé la conjecture suivante :

3. En revanche, des jeux octaux ayant un nombre infini de didifférents de 0 peuvent exhiber un comportement arithmétique périodique [19].

Conjecture 4.42 (Conjecture de Guy [19]). Tout jeu octal fini a une séquence de Grundy ultimement

périodique.

Il est également possible de généraliser la définition des jeux octaux, en permettant de séparer une pile en plus de deux piles non-vides. Lorsque l’on autorise la séparation en trois piles, on parle des jeux hexadécimaux (car leur nom est un code hexadécimal), que l’on peut encore une fois généraliser pour obtenir les jeux hexadécimaux généralisés. Les jeux hexadécimaux semblent tout aussi complexes à étudier que les jeux octaux, poussant à l’introduction de nouvelles sortes de régularité comme la sapp-régularité [6] ou la règle-régularité [68]. Par ailleurs, un test de périodicité similaire au théorème 4.41 a été formulé pour les jeux hexadécimaux. Austin [8] a en effet formulé un test de périodicité arithmétique pour détecter à partir de quel indice la séquence de Grundy devient arithmétique périodique lorsque le saltus (le saltus d’une séquence arithmétique périodique est le S pour lequel G(n + T ) = G(n) + S) est une puissance de 2. Howse et Nowakowski [96] ont amélioré

ce test pour prendre en compte les saltus arbitraires. En revanche, leur test demande pas moins de 7 périodes régulières pour vérifier la régularité, bien loin des 2 périodes nécessaires requises par le théorème 4.41 pour les jeux octaux.

Les jeux hexadécimaux généralisés n’ont pas été énormément considérés. Dans [39] nous avons considéré les jeux hexadécimaux généralisés dans lesquels seuls des coups de type breaking sont autorisés : étant donné un ensemble d’entiers L, les joueurs peuvent diviser une pile en k piles non-vides si et seulement si k− 1 ∈ L. Ces jeux sont appelés jeux de pur breaking, L étant appelé

leur ensemble de coupes. Ce travail ne sera pas détaillé dans cette thèse, mais nous allons résumer quelques-uns de nos résultats, notamment un test de périodicité arithmétique similaire à celui des jeux hexadécimaux ou des théorèmes 4.35 et 4.41 :

Théorème 4.43 (D., Duchêne, Larsson, Paris [39]). Soit un jeu de pur breaking avec un ensemble

de coupes L. Soient T, n0 deux entiers et S une puissance de 2. Si sa séquence de Grundy vérifie les

propriétés suivantes :

1. Pour n∈ {n0+ 1, . . . , n0+ 3T}, G(n + T ) = G(n) + S ;

2. Pour n∈ {n0+ 1, . . . , n0+ T}, G(n) ∈ {0, . . . , S − 1} ;

3. Pour n∈ {n0+ 3T + 1, . . . , n0+ 4T} et pour g ∈ {0, . . . , S − 1}, n a une option On avec m

piles vérifiant G(On) = g, m≥ 2, m ∈ L.

Alors, la séquence est ultimement arithmétique périodique de période T , prépériode n0 et de saltus S.

Notons que la troisième condition peut être relâchée sous certaines conditions. Par ailleurs, seules 3 à 4 périodes sont nécessaires pour ce test, soit moins que pour les jeux hexadécimaux mais plus que pour les jeux octaux.

Par ailleurs, l’étude de familles de jeux semble indiquer que tous les jeux de pur breaking ont une séquence de Grundy arithmétique périodique ou périodique, à l’exception de celui ayant {1, 2}

comme ensemble de coupes. Cela mène à la conjecture suivante :

Conjecture 4.44 ([39]). Tout jeu de pur breaking ayant un ensemble de coupes L= {1, 2} a une séquence de Grundy ultimement arithmétique périodique.

Il existe également une immense variété de jeux taking-breaking n’appartenant pas aux familles considérées jusqu’ici. Un exemple connu est le jeu de Grundy [69, 19] où les joueurs peuvent diviser une pile en deux piles non-vides de tailles différentes. Bien que 235 valeurs de Grundy aient été calculées [53] et que des arguments statistiques en faveur d’une ultime périodicité de la séquence de Grundy aient été avancés, la question de savoir si la séquence est ultimement périodique ou non est toujours ouverte. Pour d’autres jeux, la définition de régularité est déjà difficile à définir. Par exemple, le jeu de Wythoff [145] qui a été décrit au début de cette section et pour lequel la régularité ne peut pas être définie seulement sur une séquence. Les positions de Wythoff qui sont dans P ont

été caractérisées, mais la question de savoir s’il est possible de répondre au problème de décision 4.31 en temps polynomial pour ce jeu est encore un problème ouvert [19, 118]. D’autres exemples de jeux

taking-breaking sont développés dans [19], démontrant un domaine de recherche riche et dynamique.

Une autre possibilité d’étude est de transposer les jeux taking-breaking sur d’autres structures que des piles de jetons, ce que nous allons voir dans les sections suivantes.