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Des paramètres de graphe aux paramètres d’optimisation

Afin de rééquilibrer les jeux adaptés de propriétés et paramètres de graphes, Alice et Bob ne vont pas cette fois construire chacun un ensemble, mais construire les mêmes ensembles [130]. Comme les coups des deux joueurs s’effectuent sur les mêmes ensembles, la différence entre eux se fera sur la définition du vainqueur. Une vision naturelle est de leur donner des objectifs différents, ce qui induit la définition des jeux à objectif compétitif :

Définition 3.8. Soient G un graphe, k un entier et X1, . . . , X (pour  entier, ≥ 1) des ensembles

initialement vides d’éléments de G (sommets, arêtes, . . . ). Dans un jeu à objectif compétitif sur un

graphe G :

— Les joueurs s’appellent Alice et Bob et jouent alternativement ;

— Un coup consiste à assigner un ou plusieurs éléments de G à un ou plusieurs ensembles Xi en respectant certaines règles ;

— Le jeu se termine lorsque k coups ont été joués ou lorsqu’aucun coup n’est disponible ; — Alice gagne si les ensembles Xi respectent certaines conditions, sinon Bob gagne.

Ici, comme pour les jeux positionnels Maker/Breaker, soit Alice gagne soit Bob gagne : il n’y a pas de match nul. De la même façon que les propriétés de graphe permettaient de construire un jeu positionnel Maker/Breaker (comme vu dans la construction 3.3), les paramètres de graphe nous permettent de construire des jeux à objectif compétitif. Dans sa thèse, Schmidt [130] a proposé une partition des jeux à objectif compétitif en trois catégories, chacune correspondant à un type de problème de graphe et de paramètre associé. De nombreux problèmes de graphe peuvent en effet être répartis dans une des deux catégories suivantes :

Définition 3.9 ([130]). Dans un problème de construction, on cherche à trouver un sous-ensemble des éléments du graphe vérifiant une certaine propriété ; le paramètre de construction associé est le plus petit (ou le plus grand) entier k tel qu’il existe un sous-ensemble de taille k vérifiant cette propriété.

Dans un problème de partition, on cherche à séparer les éléments du graphe en k ensembles vérifiant une certaine propriété ; le paramètre de partition associé est le plus petit (ou le plus grand) entier k tel qu’une telle partition est possible.

Cette définition est illustrée par l’exemple 3.10, qui présente deux problèmes de construction (un dans lequel on essaye de minimiser la taille de l’ensemble construit, et un dans lequel on essaye au contraire de la maximiser) et un problème de partition.

Exemple 3.10. Dans le problème de domination, on cherche à trouver un ensemble de sommets vérifiant la propriété « tout sommet du graphe est soit dans l’ensemble soit voisin d’un sommet de l’ensemble ». De plus, on essaye de minimiser la taille de cet ensemble, ce qui donne un paramètre de construction minimisant : le nombre de domination.

Un autre problème de construction est celui de l’ensemble indépendant maximum, dans lequel on cherche à construire un ensemble de sommets vérifiant la propriété « aucun sommet de l’ensemble

n’est adjacent à un autre ». Cette fois, on cherche à maximiser la taille de cet ensemble, ce qui donne un paramètre de construction maximisant : le nombre d’indépendance.

Un problème de partition classique est la coloration : on cherche à partitionner les sommets du graphe en plusieurs ensembles indépendants (chaque ensemble représente une couleur). De plus, on essaye de minimiser le nombre d’ensembles utilisés dans la partition, ce qui donne un paramètre de partition minimisant : le nombre chromatique.

Nous en déduisons deux constructions pour des jeux à objectif compétitif, selon qu’on utilise un paramètre de construction ou un paramètre de partition.

Construction 3.11. Soit P un paramètre de construction. Le jeu de construction associé au

para-mètreP est le jeu à objectif compétitif sur G, k, X où :

— X contient les éléments du graphe queP affecte ;

— Chaque coup doit « améliorer » la construction, dans le sens où aucun coup ne peut être inutile ;

— Le jeu se termine lorsqu’aucun coup n’est disponible. Si, de plus, P est un paramètre de

construction minimisant, le jeu se termine lorsque k coups ont été joués ;

— Alice gagne si, à la fin du jeu, X vérifie la propriété associée à P. Si, de plus, P est un

paramètre de construction maximisant, Alice gagne si X est de taille au moins k.

Dans un jeu de construction minimisant, k représente le délai qu’a Alice pour gagner. En d’autres termes, Alice essaye de construire un ensemble de taille au plus k vérifiant une certaine propriété. Bob essaye quant à lui de l’en empêcher, pour cela il ralentit Alice en jouant des coups peu utiles (la deuxième condition de la construction 3.11 force Bob à ne pas jouer de coup totalement inutile à la construction). Cette construction est illustrée par l’exemple 3.12, qui présente le jeu de construction minimisant associé au paramètre P = « nombre de domination » décrit dans l’exemple 3.10.

Exemple 3.12. Le jeu Dominator/Staller de domination [28] se joue sur un graphe avec un nombre de coups k. Alice et Bob vont tour à tour ajouter à X un sommet dominant au moins un sommet pas encore dominé par X. Le jeu se termine lorsqu’aucun coup n’est disponible ou lorsque |X| = k.

Alice gagne si l’ensemble X domine tout le graphe, dans le cas contraire Bob gagne.

Dans un jeu de construction maximisant, au contraire, Alice va tenter de construire un ensemble vérifiant une certaine propriété le plus grand possible. C’est donc Bob qui va essayer d’accélérer la fin du jeu. En revanche, il n’a pas le droit de « casser » la propriété en cours de partie. Cette construction est illustrée par l’exemple 3.13, qui présente le jeu de construction maximisant associé au paramètre P = « nombre d’indépendance » décrit dans l’exemple 3.10.

Exemple 3.13. Le jeu d’indépendance [123] se joue sur un graphe et avec un entier k. Alice et Bob vont tour à tour ajouter à X un sommet qui n’est adjacent à aucun sommet déjà dans X. Le jeu se termine lorsqu’aucun coup n’est disponible. Alice gagne si X contient au moins k sommets, dans le cas contraire Bob gagne.

La construction des jeux de partition est plus flottante, car les partitions peuvent être définies de façon variée, plusieurs éléments peuvent être affectés en parallèle, et une étape intermédiaire du jeu peut ne pas vérifier la propriété associée au paramètre de construction. Généralement k est égal au nombre total d’éléments du graphe susceptibles d’être manipulés, et en général Alice va avoir pour objectif de couvrir l’intégralité du graphe avec les Xi, ou de leur faire respecter une certaine propriété.

Construction 3.14. Soit P un paramètre de partition. Le jeu de partition associé au paramètre P

est le jeu à objectif compétitif sur G, k, X1, . . . , X où :

— Les Xi contient les éléments du graphe que P affecte ;

— Alice gagne si, à la fin du jeu, les Xi vérifient la propriété associée à P.

Les exemples 3.15 et 3.16, dans lesquels Alice essaye respectivement de colorer proprement un graphe avec un nombre donné de couleurs et de construire une coloration d’arêtes localement somme-distinguante, illustrent cette construction. Le premier illustre donc le jeu de partition associé au

paramètre P = « nombre chromatique », et le second celui associé au paramètre P = « nombre de

coloration localement somme-distinguante ».

Exemple 3.15. Le jeu de coloration [64] se joue sur un graphe et avec  couleurs. Chaque Xi représente l’ensemble des sommets colorés avec la couleur i. Alice et Bob vont tour à tour affecter un sommet du graphe à un Xi, avec comme condition que deux sommets adjacents ne peuvent pas être affectés au même ensemble. Le jeu se termine lorsqu’aucun coup n’est disponible. Alice gagne si l’union des Xi couvre tous les sommets, dans le cas contraire Bob gagne.

Exemple 3.16. Le jeu de coloration d’arêtes localement somme-distinguante [14] se joue sur un graphe de degré maximal Δ et avec m couleurs, avec  = mΔ. Chaque Xi représente l’ensemble des sommets dont la somme des couleurs des arêtes incidentes est i. Alice et Bob vont tour à tour choisir une arête du graphe et en déplacer les deux extrémités de leurs Xi et Xj courants dans Xi+x et

Xj+x avec 1≤ x ≤ m (si un sommet n’est pas encore dans un Xi, il est affecté à Xx), avec comme condition qu’une arête ne peut pas être sélectionnée plusieurs fois. Le jeu se termine lorsque toutes les arêtes ont été sélectionnées. Alice gagne si, pour toute paire de sommets adjacents, ces sommets ne sont pas dans le même Xi, dans le cas contraire Bob gagne.

Le problème de décision 3.17 est le principal problème associé aux jeux à objectif compétitif : comme pour les jeux positionnels Maker/Breaker, il s’agit de décider si Alice ou Bob gagne. De même, un autre problème est de déterminer une stratégie gagnante.

Problème de décision 3.17. Jeu à objectif compétitif ENTRÉE : Un graphe G.

QUESTION : Alice remporte-t-elle la partie sur G, quels que soient les coups joués par Bob ?

Ces problèmes de décision paramétrés par k ou  induisent des problèmes d’optimisation associés : à quel point la valeur de k (pour les jeux de construction) ou de  (pour les jeux de partition) peut être basse (ou haute, pour les jeux maximisants) tout en assurant qu’Alice gagne ? Cela permet de donner une définition globale d’un paramètre d’optimisation :

Construction 3.18. Soit P un paramètre de partition (resp. de construction). Le paramètre

d’op-timisation Pg associé est la plus petite (ou la plus grande) valeur de  (resp. de k) telle qu’Alice a

une stratégie gagnante pour le jeu de partition (resp. de construction) associé au paramètre P.

Par exemple, à partir du paramètre du nombre chromatique χ, on peut définir le paramètre du nombre chromatique ludique χg, c’est-à-dire le nombre minimal de couleurs tel qu’Alice a une stratégie gagnante pour le jeu de coloration décrit dans l’exemple 3.15.

Observation 3.19. Il y a deux paramètres d’optimisation induits par un paramètre de graphe P :

PA

g correspond au paramètre d’optimisation quand Alice joue en premier ;

PB

g correspond au paramètre d’optimisation quand Bob joue en premier.

Cela induit un autre sujet d’étude : les valeurs de PA

g etPB

g sont-elles différentes, et, si oui, à quel

point ?

En général, on s’intéresse à la complexité du calcul du paramètre d’optimisation, illustrée par le problème de décision 3.20.

Problème de décision 3.20.

Paramètre d’optimisation

ENTRÉE : Un graphe G, un entier k.

QUESTION : A-t-onPg(G)≥ k (resp. Pg≤ k) ?

Cependant, dans ces jeux, il y a forcément un vainqueur dans les jeux à objectif compétitif. Dans la section suivante, nous allons voir une autre façon de ludifier des paramètres et propriétés de graphes en créant des jeux qui peuvent se conclure par un match nul.