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Pour conclure

PARTIE 3 : Vécu de l'orphelinage et conditions de sortie

7. Vécu et prise en charge des orphelins placés aujourd’hui Nous venons de le voir, la prise en charge des orphelins, même si elle montre certaines spécificités en

7.1. Des vécus différenciés en fonction des liens antérieurs aux parents décédés et des causes de décès

7.1.3. Les jeunes nés à l’étranger

Le vécu de l’orphelinage a été encore plus difficile à aborder lors des entretiens avec les jeunes nés à l’étranger, pour les raisons méthodologiques évoquées précédemment. Il ne sera donc pas possible ici de présenter une analyse exhaustive de leur vécu. Néanmoins, nous avons pu relever que les discours des jeunes nés à l’étranger sur le décès des parents et leur vécu de l’orphelinage présentent quelques spécificités, liées aux contextes de décès des parents. En effet, qu’ils soient arrivés en migration accompagnée ou en migration isolée, nous avons vu que les causes de décès des parents étaient de deux ordres : soit elles étaient liées à un contexte politique et de guerre ayant souvent entraîné des morts violentes ou des incertitudes sur le devenir de certains parents ; soit elles étaient liées à des causes naturelles dans les pays d’origine dans lesquels l’espérance de vie générale est faible et l’accès aux soins difficile.

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Dans le cas des décès violents, liés à des contextes de guerre ou de violences politiques, l’orphelinage entraîne un bouleversement soudain dans la trajectoire de vie. Ce bouleversement soudain est abordé par des jeunes migrants isolés étrangers venant d’Angola, d’Afghanistan, de Côte d’Ivoire, de République Démocratique du Congo, de Guinée et d’Inde, dont les causes du décès des parents, de la migration et du placement sont liées. Dans certains cas, le décès entraîne le départ du pays dans les semaines suivantes.

Ainsi, Maruti a dû quitter l’Inde à l’âge de 15 ans en raison du décès de son père :

Mon père il est décédé brutalement, c’était quelque chose de politique et tout, donc j’ai pas vraiment envie d’entrer dans les détails. Mais ça a commencé à créer des problèmes pour moi, pour mes études, etc. Je pouvais très bien continuer mes études en Inde, moi, c’était pas un problème pour moi. Mais Dieu sait, vous voyez, c’est à cause du décès que j’ai eu des problèmes d’études, des gênes pour les études pour continuer la vie, etc. Et du coup, ma mère, elle a pris la décision pour m’envoyer en France.

La protection que la famille met en œuvre passe alors par l’envoi du jeune vers l’Europe.

Maruti, 21 ans, Migration isolée, ELAPQuali_V3.

Dans d’autres situations, les décès ont souvent été l’élément déclencheur de la migration, mais le confiage d’enfants dans la famille élargie précède parfois l’arrivée en protection de l’enfance. On distingue alors le confiage dans des situations de migration accompagnée (l’enfant a pu être confié à un oncle ou une tante vivant déjà en France, ou en partance vers la France) du confiage dans le pays d’origine uniquement. Lorsque la thématique du vécu de l’orphelinage a pu être abordée en entretien, la souffrance liée au décès parental est, comme pour les jeunes nés en France, présente lorsqu’il y a eu une cohabitation antérieure avec le parent. Elle peut d’ailleurs être réactivée lors du décès de la personne qui élevait l’enfant suite au décès du ou des parents (une grand-mère par exemple), comme dans les cas de Reza et Yacouba évoqués précédemment.

Le fait d’avoir être peu informés concernant le décès des parents (souvent pour des raisons culturelles, comme cela a été évoqué précédemment) peut également entraîner des souffrances spécifiques, comme dans le cas de Myesi.

Myesi n’a que deux ans quand sa mère décède au Congo, elle ne sait pas pour quelle raison. Elle a mieux connu son père, mais celui-ci l’envoie en France chez un oncle et une tante lorsqu’elle a 9 ans. Très peu de temps après son arrivée, son père décède de maladie, sans plus de précision. Elle souffrira tout particulièrement du silence qui entoure cette mort.

Mon père, il est mort en 2004. Du coup, quand j’arrivais en France, j’ai laissé mon père au pays, j’avais neuf ans et demi, 10 ans. Ben en mars 2004, ben mon père, il est mort, huit mois après quand j’arrivais. (...) Quand j’étais petite, quand j’ai perdu mon père, dès que j’ai perdu mon père, c’est là que j’ai commencé un peu à souffrir. Les douleurs de… de perdre… d’un père, son absence, et j’ai pas pu enterrer mon père … laisser mon père malade, quelques mois on m’appelle que mon père il est mort. Et je demande d’aller voir comment on enterre mon père, les gens voulaient pas et tout, la douleur. Ils ont caché la mort de mon père et tout. Ils voulaient pas me dire soi-disant parce qu’on attend le week-end parce qu’ils ont appelé et c’était mercredi. Ben soi-disant le lendemain je vais aller à l’école et tout, on peut pas me dire. Ils ont caché, ça m’a vraiment fait mal et ils voulaient pas que j’aille voir comment mon père… ils ont, ils ont enterré mon père.

Myesi, migration accompagnée, 24 ans, ELAPQuali_V4 Contrairement aux jeunes nés en France, les souvenirs des parents ne sont pas présentés de manière ambivalente par les jeunes orphelins nés à l’étranger. Une partie des jeunes parlent plutôt des valeurs transmises, notamment le respect des parents, des adultes, et l’importance d’aider les autres. Ces valeurs transmises sont une ressource pour ces jeunes, qui s’appuient sur ces transmissions dans leur parcours.

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Jean est un jeune très engagé bénévolement dans des associations caritatives (animation, banque alimentaire à la Croix-Rouge). Il explique cet engagement par les valeurs que sa mère lui a transmises :

Ma mère parce que c’est quelqu’un qui, qui, qui aime beaucoup, beaucoup aider de sa personne. Donc voilà, elle je l’ai… je l’ai beaucoup vue faire voilà, des, des, aider des gens qui sont en difficulté… Et elle nous a toujours dit aussi : « Quand on a les moyens on peut aider les autres ».

Jean, Migration isolée, 19 ans, ELAPQuali_V3. Le respect des adultes est également une valeur importante transmise par les parents.

Maruti évoque ainsi la reconnaissance envers ses parents, qui ont tout fait pour lui donner une bonne éducation, une ouverture d’esprit, et le respect voué aux parents :

Quand ils ont commencé par zéro, je sais comment ils ont fait pour me mettre dans une école bien privée… une bonne école. Je parle français. C’est grâce à eux que je parle anglais hein. Grâce à eux que j’ai appris le français aussi, parce qu’ils m’ont éduqué comme ça donc… ils ont fait une ouverture d’esprit, ce que vous voulez. C’est grâce à eux. Sans eux, j’étais zéro. Faut surtout pas oublier ce que les parents ont fait pour vous. Parce que vous allez… vous allez être à la place de vos parents. Donc c’est ça moi mon idée. Moi si je vois un français qui parle mal à son père, moi je vous dis « t’inquiètes, tu y vas prendre sa place après, tu verras. Tu verras » (…).

Moi quand j’ai vu les parents ici… moi je vous dis c’est pas comme ça chez moi. C’est pas comme ça du tout, même. Les parents euh… Les enfants… Moi au travail, quand je vois les enfants qui parlent mal à leurs parents « wesh maman, qu’est- ce tu fais ?! », « vas-y casse-toi ! », moi je… Si chez moi, moi je dis à mon père, il me casse la gueule tout de suite ! Il me casse la gueule : « Moi je t’ai mis au monde et tu me dis casse-toi ?! Viens voir ! Viens voir ! ». Chez moi, ça se parle pas comme ça. Ça c’est… c’est le respect, c’est le respect pour les adultes ça. Tu dis pas « casses-toi » à ton père [Il rit] ! Quand même ! C’est pas la même façon dont on m’a élevé, vous voyez ?

Maruti, 21 ans, Migration isolée, ELAPQuali_V3

Divine insiste également sur les valeurs de respect transmises par ses parents, et, comme Maruti, son étonnement par rapport aux pratiques françaises :

Ouais, mes parents d’abord, nous d’abord les Africains, on a une valeur : on respecte les gens, qu’ils soient petits ou grands. Comme moi des fois, même à l’école, au lycée quand je voyais des gens manquer même du professeur du respect, ça m’étonnait hein. Moi, je dis : « Ah ! » Des fois, je disais… Quand je suis arrivée pour la première fois au lycée, il est pas gentil, je disais même au prof : « Mais pourquoi tu ne la tapes pas ? » Mais là il dit : « Divine, ici, on ne tape pas ».

Divine, 20 ans, Migration isolée, ElapQuali_V3 Enfin, si l’on entendait dans le discours de jeunes orphelins de mère nés en France l’idée d’isolement, d’absence d’adulte pour les soutenir et les pousser dans le monde, cette idée revient de manière encore plus forte dans le discours de certains jeunes nés à l’étranger. En effet, on a vu lors des analyses précédentes que les jeunes nés à l’étranger ont connu plus fréquemment que les jeunes nés en France le décès des deux parents. Originaires de pays dans lesquelles le système de protection sociale est très faible, le soutien et la protection dont ils bénéficient au moment du décès dépendent alors de leur prise en charge ou non par la famille élargie. En l’absence de famille suffisamment proche pour assurer cette protection, l’orphelin de père et de mère est présenté comme la figure paradigmatique de l’enfant sans protection, d’autant plus dans ces pays dépourvus de système de protection et connaissant des contextes de guerre.

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La situation de Divine illustre ce cumul de fragilité. Née en République Démocratique du Congo, ses deux parents ont été assassinés pour des raisons politiques alors qu’elle était âgée de 15 ans :

Quand on est orphelin là-bas, il n’y avait plus d’aide… Nous, on n’a pas de l’aide. Non. Chez nous là-bas, si tu es orphelin, dehors. Tu dors comme un clochard. (…) C’est dur.

Se retrouvant sans protection aucune, Divine connaît un parcours très traumatique. Avant d’être prise en charge comme mineure non accompagnée à son arrivée en France, Divine est victime de prostitution, de viols et de tortures, dans son pays d’origine et au fil de son parcours migratoire.

Divine, 20 ans, Migration isolée, ElapQuali_V3 Pour ces jeunes femmes, le sentiment d’être sans protection fait partie intégrante du vécu du statut d’orpheline.

En définitive, du fait de la grande variété des parcours des jeunes orphelins nés à l’étranger et de la spécificité des entretiens avec eux, il n’est pas possible de dessiner une vision d’ensemble de leur vécu de l’orphelinage. Quelques éléments spécifiques ressortent néanmoins. En particulier, les liens antérieurs avec les parents décédés semblent moins problématiques que pour les jeunes orphelins nés en France, les causes des décès étant différentes. Les circonstances entourant le décès ou son annonce peuvent dans certains cas générer de grandes souffrances, et dans tous les cas rendent ces jeunes particulièrement vulnérables et sans protection, en particulier pour les orphelins doubles.

Ainsi, qu’ils soient nés en France ou à l’étranger, le vécu des jeunes orphelins pris en charge en protection de l’enfance présente des spécificités qui soulèvent la question de l’accompagnement mis en œuvre dans les institutions.

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