• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 Discussions

5.1.1 Le jeu de rôle présentiel

Sans conteste, les rôlistes québécois de 2016 jouent en très grande majorité au jeu de rôle sur table dans un même espace (Figure 8), ce qui fait sens, étant donné que c’est la manière traditionnelle d’y jouer depuis des décennies. Après tout, Roll20, le logiciel de table virtuelle le plus utilisé au Québec (Tableau IX), n’est actif que depuis 2012. Ces quelques années n’ont peut-être pas réussi à révolutionner les habitudes de jeu rôlistes, mais aujourd’hui plus du tiers des répondants sont tout de même familiers avec le concept d’une table virtuelle (Figure 14). Cette étude permet au moins de fixer dans le temps cette tendance avec des chiffres. Ceux-ci pourront minimalement servir à être comparés à d’autres dans les années à venir, puisque tout indique qu’ils seront revus à la hausse à court et moyen terme (section 4.1.3).

Du côté de l’aménagement de la table de jeu de rôle, il n’est pas possible d’affirmer pour l’instant que la technologie constitue un incitatif au changement. Les rôlistes décrivent l’organisation de leur espace de jeu sans vraiment insister sur une forme d’adaptation vis-à-vis des appareils numériques qui s’y sont faufilés, si ce n’est que l’ordinateur portable troque la pile de livres pour un câble de recharge. Seules les initiatives qui incluent un moniteur ou un projecteur dérogent pour l’instant au décorum, car ils modifient forcément le positionnement des places assises, mais ces aménagements demeurent relativement marginaux (Tableau IV).

Avec 40% des rôlistes qui déclarent utiliser souvent ou toujours des périphériques pour jouer aux jeux de rôle sur table (Figure 12) et 36% de tout l’échantillonnage qui utilisent des PDF (Tableau III), il est tentant d’affirmer que, à l’instar de la presse écrite journalistique, le papier cède peu à peu de place au numérique. Or, cela ne veut pas forcément dire que les périphériques remplacent les livres, puisque ces derniers demeurent en tout temps les bienvenus à la table de jeu. En effet, dans un système lourd comme Donjons & Dragons, les joueurs sont amenés à consulter les manuels à plusieurs reprises et parfois de manière simultanée, comme durant la création des fiches de personnages ou suite à une montée en niveau d’expérience. Détenir plusieurs exemplaires s’avère donc utile, mais pas au point d’exiger que chaque joueur apporte le sien. Il arrive que ce ne soit qu’au moment où tous les manuels physiques sont en cours d’utilisation qu’un joueur utilise le PDF, ce qui représente une utilisation somme toute minimale de la technologie. Malheureusement, impossible de dire si c’est ce type d’usage ou si c’en est un plus assidu qui est le plus répandu, puisque la méthode d’enquête utilisée n’a pas permis d’obtenir de telles mesures.

Un emploi plus modéré se détecte du côté des fiches numériques et des lanceurs de dés qui représentent des applications avec lesquelles les joueurs sont amenés à interagir plus fréquemment. Toutefois, en étant manipulés via tablettes et téléphones intelligents, le quart des répondants mettent en garde vis-à-vis de la distraction que ces périphériques peuvent causer; ce qui en fait l’inconvénient signalé le plus grand nombre de fois (Tableau VII). Pour beaucoup d’enquêtés, la distraction est vue comme un obstacle majeur vers l’immersion qu’ils convoitent et sans un minimum de discipline, la technologie nuit beaucoup plus qu’elle n’aide. Puisqu’à l’exception de quelques fonctionnalités, fiches numériques et lanceurs de dés

n’enrichissent le jeu de rôle que bien humblement, ces programmes ne représentent pas vraiment un impact technologique significatif.

Pour davantage d’usages émergents, il incombe de se placer dans la perspective des maîtres du jeu, car ce sont ces derniers qui semblent les plus concernés par l’emploi de la technologie. D’un côté, les maîtres de jeu 2.0 détournent des logiciels plus génériques pour leur donner de nouveaux usages en lien avec l’exercice de leurs fonctions et de l’autre, ils utilisent des ressources spécialement conçues pour le jeu de rôle sur table. Programmes de traitement de texte, de lecture de musique et de dessin à main levée sont par exemple des dispositifs numériques pour prendre des notes, mettre une ambiance musicale et faire des croquis, tandis que les banques de données et les divers générateurs de noms ou d’objets aléatoires sont plutôt des ressources qualifiées d’« aides de jeu ». Bien qu’il existe un volume impressionnant de ressources officielles et amateurs, cette enquête révèle que celles-ci se regroupent en une quantité assez limitée de catégories différentes (Tableau III) et qu’un rôliste moyen n’utilise tout au plus qu’une poignée d’entre elles à la fois. Autre observation importante : deux types d’emploi, souvent complémentaires, se dégagent, soit un premier qui met à profit la technologie pendant la partie de jeu de rôle et un second qui le fait entre les séances. Ces méthodes sont amenées à varier d’un individu à l’autre. Par exemple, un maître de jeu peut avoir enregistré sur son disque dur des illustrations pour certains personnages en escomptant les introduire dans la prochaine séance et un autre va préférer dénicher d’urgence une image à l’aide de quelques mots-clés dans un moteur de recherche. Des notes peuvent ainsi être prises avant et pendant la séance pour être relues quelques jours plus tard, des listes de noms peuvent être présélectionnées à partir d’un générateur ou être générées sur l’impulsion du moment, et ainsi de suite. L’utilisation de la technologie est donc intimement liée au modus operandi personnel à chaque maître de jeu. Certaines ressources et techniques permettent de favoriser un style plus en phase avec l’improvisation qui serait soutenu par de la documentation sur le pouce, tandis que d’autres vont être mises à profit dans la phase de préparation du maître de jeu où il construit son univers, son scénario ou sa prochaine scène de combat tactique.