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Chapitre 5 Discussions

5.2 Les personas de l’étude

5.2.1 Grognards, technobèses et ignorants

À un premier bout du spectre, des rôlistes réfractaires qui flirtent parfois avec la mauvaise foi rejettent tout bonnement du revers de la main tous formats virtuels. Pour qualifier ce type de joueur, le terme « grognard » apparaît approprié, puisqu’il est utilisé par différentes communautés pour qualifier des joueurs à la fois experts et conservateurs. Paul Dussault, sur le site internet ludobits.com, offre une courte recherche étymologique référencée du terme et résume les types de réactions possibles suscitées en traitant quelqu’un de grognard aujourd’hui :

Il sera peut-être ravi que vous saluiez son expertise militaire, son appétit pour les livrets de règles fleuve et le réalisme détaillé, son esprit critique et son franc- parler. Ou il s’offusquera que vous le voyiez comme un réactionnaire réfugié dans les jeux vieillots, désuets au graphisme suranné – un joueur rétro intransigeant qui se méfie de tout ce qui est nouveau et populaire. Ou une sorte de mésadapté nostalgique de l’Âge d’or des jeux de guerre qu’ont été les années 1970 (2017).

Dussault (2017) alloue le terme grognard à des résistants du wargame et pas vraiment aux rôlistes, mais l’esprit de méfiance envers la nouveauté et aux nouvelles modes est à ce point juste qu’il s’impose ici comme tout désigné. Il demeure cependant essentiel de comprendre ce qui motive ces joueurs à opter pour un pareil discours.

Le jeu de rôle sur table a aujourd’hui plus de 40 ans. Il a résisté à l’essor du jeu vidéo et à peu près tous les systèmes de jeux de rôle publiés jusqu’ici peuvent techniquement se jouer à ce jour sous les mêmes conditions. Même si Donjons & Dragons en est à sa 5e édition, des joueurs peuvent encore jouer avec les versions antérieures, pourvu que les manuels soient préservés. Une nouvelle mouture de règles peut, par moment, bousculer une dynamique de groupe efficace, si bien qu’il est possible de tout simplement refuser une nouvelle proposition si elle vient davantage nuire qu’améliorer une expérience de jeu réglée au quart de tour. Quand

30 Ces termes connotent du péjoratif pour refléter les caractères avec des a priori négatifs. Ils ne s’appliquent pas aux personnes comme telles, mais à leurs attitudes.

de nombreuses heures ont été investies à parfaire une expérience, il est compréhensible de vouloir préserver la qualité de ses parties en limitant les facteurs de changements qui menacent une activité considérée précieuse ou fragile.

Il est en de même pour la technologie. Comme précédemment souligné, cette étude n’a pas tenu compte des jeux joués par les rôlistes sondés et bien qu’il soit impossible de le prouver, une impression persiste sur le fait que les grognards semblent surtout appartenir à des joueurs de systèmes plus lourds qui recourent aux figurines et aux cartes tactiques. Si une technologie vient pallier à des compétences qu’ils ont mis des années à maîtriser ou si elle vient remplacer ou rendre obsolète le matériel accumulé jusqu’alors, il se peut qu’un sentiment de frustration vienne s’immiscer chez eux, surtout si cela se traduit par de nouveaux achats. Ce n’est par contre qu’une minorité qui rejette la venue de la technologie avec véhémence, la plupart se contentant de déclarer qu’elle n’est tout simplement pas faite pour eux ou qu’ils n’ont à ce jour jamais éprouvé le besoin d’y avoir recours.

Toujours auprès des rôlistes récalcitrants s’immiscent des personnes qu’il est possible de qualifier de « technobèses », c’est-à-dire des personnes dont l’emploi du temps quotidien s’articule majoritairement au contact de l’électronique, comme dans le cadre de leurs occupations professionnelles. Ceux-ci attribuent comme principale vertu aux jeux de rôle la possibilité de fuir les écrans ou de s’affranchir de tous dispositifs technologiques, comme ici, un répondant : « [Le jeu de rôle sur table] permet aussi de se dégager de l’ordinateur. Quand on passe 10h par jour sur l’écran ça permet de "toucher" du vrai ». Il n’est donc pas étonnant que le jeu de rôle sur table virtuelle et la spectatorialité du jeu de rôle en ligne laissent plutôt indifférent des rôlistes qui recherchent des opportunités sociales pour décrocher d’une routine déjà centralisée sur le numérique.

Enfin, une impression se dégage quant au fait qu’un certain nombre de rôlistes ne semblent tout simplement pas informés des innovations qu’a connues le jeu de rôle au cours des dernières années. Ils sont donc qualifiés d’ « ignorants ». Ce sentiment est particulièrement présent dans la section concernant les technologies amenées à être développées dans un futur proche et où certains répondants en décrivent plusieurs préexistantes, tel ce commentaire qui

souhaite une fonctionnalité déjà offerte sur maintes tables virtuelles : « J'aimerais que tous les joueurs aient des fiches interactives sur tablettes qui sont reliées à un ordinateur où le maître de jeu peut les consulter en temps réel au cours de la partie ». Encore plus flagrant est la section de la spectatorialité et de la diffusion, où quelques répondants aux questionnaires avouent candidement n’avoir jamais entendu parler de ce phénomène. Il se pourrait donc que la technologie aie tout à gagner à se faire davantage connaître et que ce ne soit qu’une question de temps avant que de nouveaux amateurs de jeux de rôle intègrent divers comportements liés au numérique.