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CHAPITRE II. Les réalités rurales du Nevado de Toluca : une zone vulnérable et marginalisée

4. Isolement et accès restreint aux services publics

Les déplacements hors de la région sont globalement limités en raison des contraintes

économiques et du temps peu disponible. Ils concernent principalement le travail et

l’alimentation. Dans d’autres cas, la population se déplace lorsqu’il y a des intérêts

économiques en jeu (subventions pour l’agriculture, le développement social ou

environnemental), des réunions collectives avec les autorités de la commune ou des démarches

administratives individuelles ou au bénéfice de la localité, de l’ejido ou de la communauté. Les

déplacements s'imposent également lors des urgences de santé ; dans ces localités, les

infrastructures médicales sont en effet limités, voire inexistantes.

4.1. Des lignes de bus stratégiques, mais un réseau de transport insuffisant

S’agissant d’un espace protégé où, théoriquement, seule la conservation et la protection

forestière sont permises depuis le siècle dernier, le réseau de transport public vers le Nevado de

Toluca est peu développé. Mises à part Contadero et Ojo de Agua (versant nord-est), qui sont

directement desservies (Carte 17), la plupart de localités est tributaire du passage des cars reliant

Toluca à d’autres communes. Bien que des taxis collectifs permettent de pallier le manque

d’accessibilité entre l’amont et l’aval, l’insuffisance de transports publics et sa répartition

inégale sur l’ensemble des localités, ainsi que le coût du transport et sa durée, rendent les

déplacements contraignants et renforcent l’isolement.

Carte 17. Le transport en commun entre les localités du Nevado de Toluca et la vallée de Toluca.

4.2. Mobilité quotidienne réduite de la population

Une des difficultés majeures à laquelle doivent faire face les populations locales du

Nevado de Toluca est la distance qui les sépare des plus importants centres et des services

urbains. Pour acheter des vivres, pour faire des démarches administratives et même pour aller

travailler (lorsque l’on a la chance d’avoir un emploi en ville), la distance fait partie des calculs

à faire pour toutes les activités quotidiennes. Il est vrai que d’un point de vue purement

métrique, la distance entre les différentes localités est très variable. Cependant, il ne faut pas

oublier que la distance est une question de moyens de transport et du jugement des individus

en fonction de leur disponibilité financière (Torre et Rallet, 2005).

Sachant que dans cette région le salaire moyen d’un agriculteur est de 120 pesos par

jour (7,27€/jour) et qu’un aller-retour à Toluca peut coûter jusqu’à 84 pesos (5,09€),

c'est-à-dire jusqu’à 70% d’un salaire journalier, les possibilités réelles de déplacement deviennent très

limitées. A cela s’ajoute le facteur temps : l’insuffisance du réseau de transport fait qu’à chaque

déplacement, il faut marcher entre vingt minutes et une heure avant de trouver le premier arrêt

de bus ou la première station de taxis collectifs. Une fois arrivé, il faut attendre le départ,

compter le temps pour le trajet, et parfois même pour les correspondances et le temps du retour.

Ainsi, sans compter le temps nécessaire à rester en ville, un aller-retour à Toluca, en transport

en commun, peut représenter jusqu’à quatre heures, minimum, pour un trajet moyen de 84 km

(Tableau 14).

En voiture, le même trajet est plus avantageux au niveau du temps mais plus couteux.

Mais ce n’est qu’une partie du prix à payer pour aller à Toluca. En ajoutant le temps nécessaire

pour aller en ville, la dépense devient automatiquement plus lourde, car il y aura, forcément,

une partie de la journée qui ne sera pas travaillée, voire la journée entière. En se déplaçant toute

la journée, ils ne peuvent pas travailler pour gagner leur vie et délaissent temporairement leurs

champs de culture et leurs animaux.

Tableau 14. Coût de déplacement estimé (temps/argent), pour un aller-retour à Toluca depuis différentes localités du Nevado de Toluca.

Source : relevées de terrain entre octobre et décembre 2011.

Dans ces conditions, l’insuffisance des moyens de transport et l’inaccessibilité semblent

entraîner ces populations dans un cercle vicieux de pauvreté qui, d’un point de vue purement

matériel, a tendance à devenir chronique. En effet, pour ces populations, le premier obstacle à

l’accès aux biens, aux services et aux infrastructures est le manque d’argent pour se déplacer.

Ainsi, sans travail, pas d’argent. Sans argent, pas d'études ni de formations valorisantes. Sans

ces derniers, les opportunités d’emploi se font rares. Sans emploi, pas d’argent ni de possibilité

de satisfaire les besoins matériels les plus essentiels.

[…] Pourquoi la localité n’est pas peuplée ? Parce que les gens émigrent ! Parce qu’il n’y a pas de boulot… Nous qui restons ici, nous y restons pour souffrir aussi... parfois les gens coupent du bois illégalement, mais c’est parce qu’il n’y a pas de boulot ! Nous, nous préférerions travailler en ville […] Mais nous ne sommes pas assez formés, nous n’avons pas fait d’études. Pourquoi ? Parce que bien souvent nous n’avons pas les moyens économiques pour les faire. Ici, celui qui fait des études peut faire au maximum le télé-collège, c’est tout ce qui peuvent faire nos enfants. Pour aller au-delà, il faut qu’ils aillent à Toluca ou à Zinacantepec et financièrement, ce n’est pas possible ! […] nos salaires sont de 100 pesos par jour. Si votre famille est composée de cinq personnes et si vous avez des enfants en âge d’aller au lycée… combien coûte un aller-retour à Toluca ? 64 pesos… Il n’y en a pas assez pour payer le transport ! Si vous avez deux enfants en âge d’aller au lycée ? tout

Localité

Distance à parcourir pour aller à Toluca (km)

Coût d’un aller simple Coût d’un aller-retour À pied en

transport Total Temps Mx$ € Temps Mx$ €

Ojo de Agua 0,0 15 15 00h 40 7 0.42 01h 30 14 0.84 Contadero 0,0 19 19 01h 00 10 0.60 02H10 20 1.21 La Loma 1,0 18 19 01h 10 10 0.60 02h 30 20 1.21 La Puerta 0,8 20 20 01h 30 18 1.07 03h 10 36 2.18 Baldío Amarillo 3,5 18,5 22 02h 10 10 0.60 04h 20 20 1.21 Raíces 0,0 25 25 01h 45 20 1.21 03h 30 40 2.42 Dilatada Sur 0,0 39 39 01h 30 32 1.93 03h 20 64 3.87 Agua Blanca 2,0 39 41 02h 00 32 1.93 04h 00 64 3.87

Colonia San Román 4,0 37 41 02h 00 20 1.21 04h 00 40 2.42

Cajones 0,0 43 43 01h 50 32 1.93 04h 00 64 3.87

San Francisco Oxtotilpan 2,0 41 43 01h 20 42 2.54 04h 00 84 5.09

simplement ils n’y vont pas…c’est pour ça que beaucoup de gens n’étudient pas. Moi, même si j’avais voulu faire des études… impossible ! (Habitant de Dilatada Sur (ejido Presa de Arroyo Zarco), 13 novembre 2011).

4.3. Une répartition inégale d’équipements et de services

L’inaccessibilité aux transports dans la région semble proportionnelle à la disponibilité

d’équipements et d’infrastructures de base. Pour illustrer notre propos, il suffit d’évoquer la

disponibilité de services publics et d’infrastructures dans les localités étudiées Malgré les

différentes tailles des localités, à distance plus ou moins égale de Toluca, les différences

socioéconomiques et spatiales sont criantes (Tableau 15).

Localité SJC Ra LP Cjn ABl HVj DSr SFO OA BA LL CR Population totale 2082 664 253 159 113 169 1512 1435 2083 18 229 138 Distance à Toluca 19 25 20 43 39 46 39 41 15 18.5 18 37 Éd u ca tio n Maternelle 1 1 1 1 1 1 1 1 1 École primaire 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 Collège 1 1 1 1 1 1 Bibliothèque 1 1 Eq u ip em en ts Kiosque-parc 1 1 1 Terrain de football 1 1 1 1 1 1 1 1 Auditorium 1 1 1 Église 1 1 1 1 1 1 Cimentier 1 1 1 1 1 Cabinet médical 1 1 1 Co m m er ce e t se rv ice s Garage automobile 3 Menuiserie (bois) 1 Menuiserie (fer et alu) 1 Réparateur chaussures 1 Atelier de couture Salon de coiffure 2 1 1 Moulin à maïs 3 1 1 1 1 1 1 Cybercafé 1 1 2 Restaurant 1 1 Quincaillerie 2 Épiceries 12 7 3 2 3 1 4 12 2 Papeterie 3 2 1 2 Tortilleria 1 2 1 1 Pharmacie Boucherie 2 1 2 Poulaillerie 3 3 Boulangerie 1 1 3

Tableau 15. Infrastructures éducatives, équipements, commerces et services disponibles dans diverses localités du Nevado de Toluca.

SJC (San José Contadero), Ra (Raíces), LP (La Puerta), Cjn (Cajones), ABl (Agua Blanca), HVj (Huacal Viejo), DSr Dilatada Sur, SFO (San Francisco Oxtotilpan), OA (Ojo de Agua), BA (Baldío Amarillo), Ll (La Loma) et CR (Colonia San Román). La couleur verte indique la couverture du service ou de l’équipement et la couleur rouge indique le manque de ces services – Source : relevées du terrain entre octobre – décembre, 2011).

La comparaison d’Ojo de Agua et Baldío Amarillo, est un bon exemple d’inégalités

socio-économiques et spatiales. La première, peuplée de 2 083 habitants et située à 15 km de

Toluca, dispose de tous les services publics de base : électricité, eau potable et assainissement.

Au-dessus des 3 000 m, elle est la seule à disposer des cabines téléphoniques et même de trois

cybercafés ! Les épiceries ne manquent pas à tout coin de la rue, tout comme une petite

boulangerie artisanale et même une pharmacie. En matière d’infrastructure éducative, Ojo de

Agua compte une école maternelle, une école primaire ainsi qu’une école d’enseignement

secondaire. Les bus qui relient Ojo de Agua à Toluca partent et arrivent tous les 15-20 minutes

à partir de 06 h du matin et jusqu’à 19 h 30. Le prix d’un aller est de 7 pesos (soit 0.42 euros).

Pour 10 pesos (0,60 euros) les plus pressés peuvent prendre un taxi collectif et aller à Toluca.

En termes de loisirs, il y a un grand terrain destiné au football, puis un espace pour ceux qui

préfèrent le basketball. Sans oublier un grand bâtiment qui concentre les bureaux des autorités

locales et qui sert, parfois, de salle de fêtes pour la population locale. Enfin, la ferveur religieuse

se traduit chaque année par la fête la plus importante de la localité, qui, chaque 07 août, accueille

plus de 15 000 personnes des alentours pour venir adorer San Cayetano.

En revanche, sur ce même versant, Baldío Amarillo, qui pourtant est situé à environ

20 k au sud-est de Toluca est une localité, complètement, marginalisée où l’on ne va pas par

hasard. L’arrêt de bus le plus proche est à une bonne heure de marche sur des chemins en terre

battue. Ici, pas d’électricité ni d’eau potable. Les 12 personnes qui habitent la localité s’éclairent

à la bougie et les femmes vont tous les jours, à cheval, chercher de l’eau à plus de quatre

kilomètres. Par ailleurs, à la différence d’Ojo de Agua, où beaucoup de personnes arrivent à

combiner des activités agricoles ou de pâturage à d’autres activités du secteur tertiaire dans

Toluca, à Baldío Amarillo, la population ne vit que de l’agriculture et de l’élevage des brebis.

4.4. Isolement et exclusion sociale

Ce qui ressort donc de l’inaccessibilité au transport, des contraintes à la mobilité spatiale

et de la disparité d’équipements et d’infrastructures est un phénomène d’isolement

socioéconomique avec des effets défavorables sur les conditions de vie des populations locales.

L’isolement économique s’observe par un accès réduit aux marchés de services et de

commerces pour des achats du quotidien. Les populations sont obligées de prévoir une réserve

alimentaire suffisante pour tenir au moins une semaine. Cela se traduit par des dépenses moins

fréquentes, mais plus importantes. Non seulement il faut prévoir plus d’argent pour faire les

courses en une seule fois, mais aussi il faut ajouter les frais de transport et le temps nécessaire

pour les faire. Par ailleurs, les effets négatifs de cet isolement vont au-delà des achats de

proximité et engendrent des conséquences économiques majeures pour l’ensemble de la

population. Les agriculteurs sont loin des principaux marchés où écouler leur production. Puis,

les opportunités d’emploi sont inexistantes pour tout le monde. Lorsque certains jeunes tentent

de trouver un emploi en ville pour gagner de l’argent et améliorer leur situation financière, leurs

faibles niveaux éducatifs s’avèrent une des principales barrières d’accès à l’emploi. Des métiers

précaires et mal rémunérés sont ceux que, avec difficulté, quelques-uns arrivent à décrocher en

ville, par exemple femme de ménage ou garde de sécurité. D’ailleurs, ces derniers, avec des

horaires très instables.

D’autre part, l’isolement limite également l’accès aux soins. Dans le meilleur des cas,

un cabinet médical est ouvert à temps partiel dans ces localités. Les prestations sont limitées.

Les médecins, souvent jeunes et peu expérimentés, manquant du matériel nécessaire, ne sont

souvent pas en mesure de traiter un grand nombre de situations délicates. Citons par exemple,

le bébé tant attendu par notre famille d’accueil à Contadero, lors de la réalisation des interviews

pour cette recherche, en 2011. Lorsque le couple est allé à San Pedro Tejalpa, la localité voisine

où se trouve le cabinet médical le plus proche, le médecin aurait dû transférer la femme à

l’hôpital, mais il a dit aux époux de rentrer chez eux et d’attendre. La situation devenait si

compliquée, que le mari a décidé de prendre la voiture et d’emmener sa femme directement à

Toluca. Or, au moment d’arriver à l’hôpital, il était déjà trop tard, le bébé était décédé.

En ce sens, il est clair que l’isolement économique et spatial de ces localités se traduit

par une forme d’exclusions matérielle. Mais cette dernière va au-delà. Elle est porteuse

d’exclusion sociale. Les difficultés d’accès à l’emploi en sont un exemple. Mais plus frappante

encore, est la dévalorisation sociale dont ces populations sont victimes.

Ceux qui travaillent dans les administrations, n’ont pas de considération pour nous. Parfois ils

nous ignorent, parce que nous sommes des paysans, parce que nous nous habillons simplement, eux, ils

côtoient des gens d’autres niveaux […] (paysan de San Francisco Oxtotilpan, 20 novembre 2011).

En ce sens, l’éloignement, l’inaccessibilité aux transports, aux biens matériels, aux

infrastructures et aux marchés économiques ne font autre chose qu’enfoncer les populations du

Nevado de Toluca dans la sphère de l’exclusion sociale qui crée des inégalités sociales.

Conclusion du chapitre 2

La ruralité du Nevado de Toluca est une réalité complexe au-delà de la marginalité

économique et sociale qui l’alimente. En effet, à une quinzaine de kilomètres de Toluca, où la

population urbaine dispose des services et d’infrastructures dignes d’une ville de presqu’un

million d’habitants, la population rurale de l’espace protégé conserve des modes de vie

traditionnels. Ces derniers s’insèrent dans la continuité des formes d’organisation héritées du

passé, certes. Mais ils sont entretenus par un modèle de développement centre-périphérie qui

suit la morphologie spatiale de la haute montagne. Plutôt bien connues les oppositions spatiales

entre l’amont et l’aval, le travail de terrain sur lequel s’appuie ce chapitre a mis en évidence des

oppositions sociales, culturelles et d’adaptation aux difficultés économiques et climatiques.

Les conditions de pauvreté qui caractérisent les différents groupes sociaux du Nevado

de Toluca, justifient de considérer la dimension sociale de l’espace protégé comme une partie

tout autant importante que la dimension environnementale pour que les stratégies de

conservation forestière favorisent le développement économique des populations locales.

DEUXIÈME PARTIE

APPROCHE THÉORIQUE ET CONSIDÉRATIONS

MÉTHODOLOGIQUES

.

Le levé du jour à Cajones, dans l’ejido de Rincón de Atarasquillo (Temascaltepec),

© A. Salinas Rojas, 03/11/2011.

« […] Nous sommes très contents de vivre ici […] Nous n’avons pas de terres, nous n’avons rien, la seule chose que nous avons est l’ejido […]. Où va-t-on alors laisser nos enfants ? Et bien, là où nos parents, nos grands-parents et nos arrière-grands parents nous ont laissés parce que cet ejido ne date pas d’un an ni de deux, Dieu seul sait depuis quand il existe […] » Extrait d’un entretien à Cajones, le 03 novembre 2011.

CHAPITRE III. Enjeux socio-spatiaux de la protection forestière au Nevado de