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5. DISCUSSION

5.4. D ISCUSSION GÉNÉRALE

De manière générale, nous pouvons conclure que la présence d’un distracteur ralentit la performance des participants dans une tâche de recherche visuelle (Theeuwes, 1992).

Cependant, la présence d’un distracteur menaçant implique dans ce travail un processus de suppression attentionnelle et non de capture de l’attention. Ces résultats seraient alors en désaccords avec l’hypothèse de la capture automatique de Theeuwes (1992, 2010), selon laquelle tout élément saillant capture l’attention indépendamment de sa pertinence pour la tâche. En revanche, une explication possible serait que nos données soutiennent une hypothèse alternative, celle de la capture contingente involontaire. Selon cette hypothèse, la capture attentionnelle involontaire par une propriété du stimulus dépendrait des paramètres top-down, dans le sens où elle serait modulée par les caractéristiques pertinentes pour la tâche (Bacon &

Egeth, 1994 ; Eimer & Kiss, 2008 ; Folk & al., 1992 ; Folk & Remington, 1998 ; Leber & Egeth, 2006). Elle a été mise en évidence par Folk et collègues (1992), à partir du Modified spatial cueing paradigm dans lequel un display contenant un stimulus non prédictif spatialement (indice/distracteur) précède un display contenant une cible à rechercher. L’indice peut être de type « onset », c‘est-à-dire un objet à caractère unique qui apparaît de manière rapide comme un flash lumineux, ou de type « couleur ». La cible peut ou non partager les mêmes propriétés avec l’indice. Par exemple, l’indice est de couleur rouge et la cible est rouge, ou alors lumineuse. La tâche des participants est de détecter et d’identifier le plus rapidement et précisément possible la cible. Dans ce paradigme, le distracteur capture l’attention seulement lorsqu’il partage avec la cible les mêmes propriétés. Les chercheurs suggèrent alors que ces changements involontaires d’orientation de l’attention dépendent de la relation entre les propriétés du stimulus (indice) et les exigences de la tâche (traitement de la cible) (Folk & al., 1992 ; Folk & Remington, 1998). Le traitement de ces éléments saillants retarderait alors le déplacement de l’attention en direction de la cible, augmentant le temps de réaction en présence d’un distracteur lors d’une tâche de recherche visuelle (Folk & Remington, 1998 ; Leber &

Egeth, 2006). En revanche, le contrôle top-down permettrait aux stimuli distracteurs saillants d’être ignorés jusqu’à ce qu’ils soient identifiés comme différents de la cible. Par conséquent, selon cette hypothèse, la capture attentionnelle serait toujours modulée par des paramètres attentionnels top-down induits par les exigences des différentes tâches, telles que le partage de propriétés entre cible et distracteur, les instructions à la tâche, les stratégies de recherche visuelle, ou la prévisibilité de la cible (Bacon & Egeth, 1994 ; Burra & Kerzel, 2013 ; Folk &

al., 1992 ; Leber & Egeth, 2006). Une étude de Eimer et Kiss (2008) confirme cette hypothèse

44 sur le plan électrophysiologique en utilisant le même paradigme que Folk et collègues (1992).

Ils ne trouvent effectivement pas de composante N2pc reflétant une capture attentionnelle en direction du distracteur, lorsque la cible et le distracteur ne partagent pas les mêmes propriétés.

Ensemble, ces études peuvent nous laisser penser que la capacité à ignorer un élément saillant est médiée par un processus top-down de suppression attentionnelle (Sawaki & Luck, 2010).

Sawaki et Luck (2010, 2013) supposent en effet que la suppression attentionnelle est également sous un contrôle top-down. Dès lors, nos données nous laissent supposer que ce sont les exigences de la tâche qui modulent l’effet des stimuli menaçants sur les processus attentionnels.

Autrement dit, la prévisibilité de la forme de la cible dans notre expérience provoquerait une suppression attentionnelle des distracteurs, confirmant les résultats de Burra et Kerzel (2013).

Toutefois, ce phénomène d’inhibition attentionnelle ainsi que la PD sont encore mal connus et peu développés dans la littérature. Ainsi, nos interprétations devraient être approfondies lors de prochaines recherches.

Pour en revenir à nos données, nous observons en effet que lorsque la cible est prévisible, une inhibition attentionnelle en direction du distracteur est présente, à l’inverse d’une capture de l’attention. Comme mentionné, l’étude de Burra et Kerzel (2013) montre que lorsque la cible est prévisible, les participants sont capables de mettre en place une stratégie de recherche par attributs afin d’effectuer la tâche de recherche visuelle. Cette stratégie leur permet alors de supprimer le distracteur, indexé par une PD, ainsi que de diriger directement leur attention en direction de la cible connue. Dans notre expérience, les participants peuvent déduire que la cible sera toujours une fleur avec un pétale manquant sur le côté, ceci grâce à la phase d’entraînement qu’ils ont été amenés à faire, mais aussi car ils ont été avertis de la présence de distracteurs. De cette manière, les participants sont capables de diriger directement leur attention en direction de cette fleur cible, grâce à une suppression attentionnelle du distracteur, même lorsque celui-ci est menaçant. Ces données nous permettent de confirmer l’hypothèse de Sawaki et Luck (2010, 2013), selon laquelle le processus de suppression attentionnelle se fait sous l’effet d’un contrôle top-down. En revanche, nous observons une capture attentionnelle dans le cas où aucun distracteur n’est présent. La cible n’étant pas en compétition avec un distracteur, sa capture se fait de manière automatique. De la sorte, nous pouvons soutenir que les mécanismes de sélection attentionnelle sont modulés par des processus top-down sous-tendus par les demandes de la tâche, et ne relèvent pas uniquement de processus bottom-up.

45 Une deuxième hypothèse permettant d’expliquer que notre distracteur ne capture jamais l’attention mais est directement supprimé, pourrait être celle de Sawaki et Luck (2010, 2014), appelée « signal suppression hypothesis ». Elle concerne directement l’inhibition attentionnelle et réunit des éléments de l’hypothèse de la capture contingente involontaire et ceux de la capture automatique. En effet, selon cette hypothèse, un objet saillant génère un signal prioritaire. Mais celui-ci peut être supprimé par l’intervention de processus contrôles top-down reflétés par les exigences de la tâche, avant que l’attention se soit dirigée vers cet objet (Sawaki & Luck, 2014). Ainsi, un distracteur saillant provoque une PD et non une N2pc. Leurs résultats suggèrent donc qu’un processus de suppression actif est utilisé pour empêcher la capture de l'attention par les stimuli saillants mais non pertinents. En ce sens, nos résultats sont aussi en accord avec cette hypothèse. En effet, la présence de processus top-down engendrés par les exigences de notre tâche, notamment la prévisibilité de la cible, permet aux participants d’empêcher leur attention d’être capturée par un distracteur, qu’il soit menaçant ou non.

Les hypothèses de la capture contingente involontaire (Folk & al., 1992) et de la suppression du signal (Sawaki & Luck, 2014) ne nous permettent en revanche pas d’avoir un aperçu global du déroulement de la sélection attentionnelle d’un élément saillant. Afin d’avoir une meilleure compréhension du rôle des composantes ERPs intervenant dans la recherche visuelle, une étude de Jannati et collaborateurs (2013) propose un modèle permettant de lier en partie ces composantes (Figure 13). Ce modèle prendrait place notamment lors de la recherche visuelle de propriétés fixes, comme dans le cas de notre tâche. Ils supposent que de manière générale la recherche visuelle se fait selon deux étapes principales, une préattentive puis une attentive. Lors de l’étape préattentive (Figure 13, 1), le traitement de l’information se ferait de manière parallèle et dépendrait de la saillance des stimuli. Cette première étape est divisée en deux sous-étapes : une étape précoce représentant le traitement en parallèle des propriétés des stimuli, indexé par la P1 (Figure 13, 1.1), et une étape dite intermédiaire, indexée par la Ppc (Figure 13, 1.2). Lors de cette deuxième sous-étape, les informations aboutiraient dans une carte de saillance représentant l’emplacement des éléments uniques des stimuli. Selon ce modèle, l’information contenue dans la carte de saillance peut être utilisée par la suite selon deux chemins différents, qui constituent l’étape attentive (Figue 13, 2). Le premier chemin possible est une voie permettant l’identification du stimulus (Figure 13, 2.1). Selon cette voie, il y aurait une sélection spatiale de l’item le plus saillant suivie par la N2pc qui représenterait une étape de résolution de l’ambiguïté associée aux différents items dans le display. Les auteurs font référence à une étape de « filtration » permettant ainsi de distinguer l’item et de l’identifier

46 comme une cible ou un distracteur. Si la cible est reconnue, alors la réponse à la tâche sera donnée. En revanche, si le stimulus est identifié comme un distracteur, il sera alors inhibé conduisant à une PD. Dans ce cas, l’attention devra être réorientée vers un nouvel emplacement, par exemple vers le prochain élément le plus saillant. Les étapes de la sélection spatiale jusqu’à l’identification de la cible devront donc être recommencées. Jannati et collaborateurs (2013) proposent une alternative à ce premier chemin, la voie d’inhibition (Figure 13, 2.2). Plus précisément, quand l’item non pertinent est plus saillant que la cible, celui-ci est supprimé, induisant ainsi une PD. Ceci permettrait alors de sélectionner la cible de manière plus efficace.

Selon les auteurs, cette suppression demande de l’effort et est appliquée sur la base des informations analysées lors de la phase préattentive. Nous avons effectivement vu que la Ppc et la PD étaient liées sur la base de la saillance du stimulus. Enfin, ce modèle est similaire à l’hypothèse de Sawaki et Luck (2010, 2014) sur la suppression active. Comme nous l’avons vu plus haut dans le texte, ces derniers proposent que l’élément le plus saillant génère un signal de priorité qui peut être supprimé quand les propriétés de cet élément ne correspondent pas aux paramètres de contrôle attentionnel. Dans le cas du modèle de Jannati et collègues (2013), ce signal est probablement associé à une activation d’un élément contenu dans la carte de saillance.

Figure 13 : Illustration du modèle proposé par Jannati et collègues (2013).

Concernant nos données, nous observons uniquement une PD en direction de l’item non pertinent, mais qui est plus saillant que la cible par rapport à sa forme. En effet, une positivité significative est présente plus précocement, indexée par une Ppc (80-140 ms). Ces données nous laissent alors penser que les informations issues de l’étape préattentive intermédiaire permettent effectivement de diriger le traitement de l’information vers une

Figure 12 : Illustration du modèle proposé par Jannati et collègues (2013).

1 2

1.1 1.2

2.2

2.1

47 suppression du distracteur. Plus précisément, l’observation de la composante Ppc en présence d’un distracteur dans nos deux conditions (araignée et feuille) nous permettent de confirmer la saillance plus importante de ces stimuli non pertinents, en comparaison à celle de la cible. Nous pourrions alors imaginer nous trouver dans la deuxième voie, celle d’une inhibition directe.

Selon ce modèle, cela permettrait au participant de sélectionner de manière plus efficace la cible, malgré la présence d’un distracteur plus saillant. En effet, l’étude de Burra et Kerzel (2013) souligne qu’une inhibition attentionnelle permet d’effectuer la tâche de manière plus rapide que dans le cas d’une capture par un distracteur saillant. Cependant, cela demande au participant un effort afin d’engager des processus permettant d’éviter une capture attentionnelle.

C’est pourquoi l’inhibition attentionnelle d’un distracteur est un processus qui prend tout de même du temps comparativement à une condition sans distracteur. De plus, nous avons vu qu’une telle capture de l'attention peut être évitée lorsqu'un observateur sait ce qu'il faut rechercher, de sorte que l'attention puisse être déployée directement sur un stimulus pertinent mais moins saillant (Sawaki & Luck, 2014). Ceci nous laisse penser que, dans le cas de notre tâche, les participants ont pu mettre en place des stratégies pour prédire la forme de la cible de manière automatique, leur permettant ainsi d’éviter tout type de distracteur.

Les résultats obtenus dans cette étude nous ont ainsi permis de mettre en évidence une suppression attentionnelle du distracteur contrairement à une capture de l’attention. Mais, nos données nous autorisent également à relever un deuxième point important. Nous pouvons aussi soutenir que la valence émotionnelle joue un rôle dans l’interférence par les stimuli saillants mais non pertinents. En effet, les résultats observés dans cette étude concernant les conditions avec un distracteur nous permettent d’émettre l’hypothèse que les stimuli spécifiques à la peur sont traités différemment des éléments neutres. Ils sont supprimés de manière plus importante par les participants. De plus, nos données comportementales et électrophysiologiques correspondent. Le temps de réaction est plus important lorsque le distracteur est menaçant, ce qui correspond effectivement avec l’amplitude plus importante de la PD dans cette condition (araignée), comparativement à un élément neutre comme distracteur (feuille). Ces résultats nous laissent penser que l’individu a besoin de ressources cognitives plus importantes afin d’inhiber un distracteur menaçant. Nous pouvons alors soutenir l’hypothèse de Öhman et collaborateurs (2001) concernant l’effet automatique et involontaire spécifique à la peur. Tout comme leur étude, nos résultats suggèrent bien que les éléments spécifiques à la peur sont plus saillants que les éléments neutres. Cependant, ce sont les processus attentionnels mis en place en regard à cet objet qui diffèrent. Dans notre étude, cet effet automatique se refléterait par une suppression

48 plus importante pour les éléments menaçants, contrairement à leur hypothèse de base qui suggère une capture attentionnelle plus importante pour les stimuli liés à la peur. Nous pouvons alors supposer que les processus top-down engendrés par les exigences de notre tâche ont permis aux participants d’anticiper la cible, et ainsi d’ignorer les deux types de distracteurs.

Toutefois, les aspects automatiques liés à la peur du distracteur araignée auraient une priorité aux processus contrôles liés à la tâche (Öhman, 2008). En effet, compte tenu de l’aspect de survie relié aux menaces potentielles de l’environnement, Öhman (2008) souligne que les événements impliquant un certain degré de menace auraient une priorité de traitement. Ceci pourrait expliquer le fait que le distracteur araignée soit davantage supprimé que le distracteur feuille. Mais aussi, que cette action engendre un temps plus long pour réaliser la tâche, et demande davantage d’efforts que dans le cas du distracteur feuille. Si nous reprenons le modèle proposé par Öhman (1993, cité par Öhman, 2008), nous pourrions émettre l’hypothèse que dans notre cas, les processus de contrôles top-down sont déjà activés par les demandes de la tâche et, par conséquent, par la conscience de la menace également. Le modèle d’activation des émotions (Öhman, 1993, cité par Öhman, 2008) propose en revanche que ce sont les interactions entre les différents systèmes automatiques qui vont permettre un accès à la conscience de la menace. Nous pourrions alors proposer une modification de ce modèle, dans le sens où des processus contrôles top-down pourraient venir moduler la perception de la menace (Figure 14). De la sorte, le système de défense de l’individu pourrait activer une suppression attentionnelle de tout élément saillant mais non pertinent intervenant dans son environnement, lorsqu’il est conscient d’une telle menace. Ceci tout en gardant de manière inconsciente et automatique une place importante à la saillance d’un tel stimulus menaçant. Il serait alors intéressant de poursuivre les recherches dans ce domaine afin d’éclaircir ce point.

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Figure 14 : Proposition du modèle de Öhman (1993, cité par Öhman 2008) modifié. (i) les processus top-down sont activés par la conscience de la menace en raison des exigences de la tâche. (ii) Une suppression attentionnelle est alors engendrée pour le distracteur feuille. (iii) Le distracteur araignée active le système de défense (1-8) de l’individu en raison de ses caractéristiques menaçantes. (9) Une suppression attentionnelle est

amplifiée pour l’araignée après le traitement de ses propriétés menaçantes.

Les résultats obtenus dans cette étude suggèrent ainsi que la suppression attentionnelle est influencée par la valence émotionnelle du distracteur. Les participants suppriment de manière plus importante les stimuli menaçants que les neutres. Cette distinction entre éléments émotionnellement neutres et éléments de peur se ferait déjà lors d’un traitement plus précoce (Ppc). Ces résultats peuvent également nous amener à proposer une modification du modèle de Jannati et collaborateurs (2013). Nous pourrions imaginer que la carte de saillance soit modulée par la signification émotionnelle des stimuli présents dans le display. En effet, comme le mentionne Öhman (2008), la détection de la menace devrait se faire de manière précoce, selon des mécanismes de traitements perceptuels parallèles et automatiques qui définissent la menace sur la base de caractéristiques relativement simples des stimuli. Le stimulus émotionnel peut donc influencer la recherche visuelle même lorsqu’il représente un élément non pertinent pour l’individu à un niveau conscient. Ainsi, la signification émotionnelle des stimuli pourrait avoir lieu dès le stade préattentif de la recherche visuelle.

En résumé, nous avons voulu savoir si un stimulus menaçant non pertinent pouvait influencer les phénomènes de capture et d’inhibition attentionnelle chez les individus, et si le fait que ces derniers en avaient peur aurait un impact plus important. Pour ce faire, nous avons présenté un distracteur lié à la peur des personnes et un distracteur neutre. Nos résultats ont mis en évidence un effet des conditions avec distracteur plus important pour l’araignée que pour la feuille, et pour la population de notre étude en général. Cependant, aucun résultat significatif

50 n’a été observé pour les groupes respectifs. Ces données nous amènent toutefois à la conclusion que le contenu émotionnel joue un rôle important dans les effets observés.