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5. DISCUSSION

5.5. L IMITES ET PERSPECTIVES

5.5.1. Le paradigme et l’environnement expérimental

Comme nous avons pu le constater dans nos résultats, aucun effet de groupe n’a été observé dans notre étude. Il est possible que cette absence de résultats soit en partie expliquée par notre tâche ainsi que le contexte dans lequel elle a été effectuée. Concernant la tâche, il se peut que les silhouettes utilisées constituent une limite écologique de notre étude. Nous avons pris cette décision sur la base de la littérature afin de contrôler la luminance des stimuli (Devue

& al., 2011). Cependant, il est possible que nos silhouettes ne soient pas suffisamment saillantes pour les participants ayant peur des araignées. Il serait alors intéressant d’effectuer une étude avec de vraies images d’araignées afin de vérifier si un effet de groupe peut être mis en évidence. Nous pourrions imaginer employer des stimuli similaires à ceux utilisés dans la tâche d’Öhman et collègues (2001), c’est-à-dire de vraies images pour les items neutres (fleurs, champignons et papillons) et pour les items reliés à la peur (serpents). Mais, contrairement à cette étude, nous utiliserions un paradigme expérimental différent afin de conserver notre idée du distracteur à valeur menaçante. Concernant l’environnement expérimental, il est probable que le contexte très sécurisant du cadre laboratoire et du lieu universitaire, de même que l’avertissement par l’expérimentateur d’une probable présence d’un tel distracteur, s’ajoutent au manque de pertinence réelle pour le participant. Nous pourrions alors imaginer une tâche qui surprendrait davantage le participant afin de le confronter de manière plus réelle, mais toujours contrôlée, à sa peur de l’araignée. Par exemple, une étude de Wiemer, Gerdes et Pauli (2013) propose de sortir du cadre des études précédentes faites sur le sujet en suggérant que le stimulus relié à la peur soit non pertinent mais aussi inattendu pour le participant. Autrement dit, le stimulus ne devrait être présenté qu’une seule fois aux participants. De cette manière, la situation serait écologiquement valable, reliée à un scénario évolutif, et reflèterait la découverte soudaine d’une araignée. Cette dernière est décrite comme étant le contexte naturel prototypique dans lequel les individus déclenchent des mécanismes de détection précoce pour ces stimuli (Öhman & al., 2001). Wiemer et collègues (2013) utilisent alors le paradigme dit de

« cécité non intentionnelle » (IB), introduit par Marck et Rock (cités par Wiemer & al., 1998), afin d’examiner l’attention portée aux stimuli menaçants non pertinents et inattendus. Dans leur étude, ce paradigme consiste en une tâche de discrimination visuelle dans laquelle les

51 participants doivent focaliser leur attention sur une croix de fixation et estimer la longueur de barres présentées à l’écran. Les participants doivent remplir neuf essais au total. Lors de trois de ces essais, le stimulus critique (une fleur ou une araignée) apparaît aléatoirement dans l’un des quatre quadrants de l’écran. Finalement, il est demandé aux participants s’ils ont vu quelque chose apparaître à l’écran et s’ils peuvent l’identifier. Ainsi, nous pourrions imaginer une étude dans laquelle nous n’avertirions pas nos participants de la présence d’un distracteur menaçant, et où nous le ferions apparaître de manière abrupte et à une position aléatoire. Ceci pourrait alors nous permettre de faire apparaître un effet de groupe.

5.5.2. Les participants

Une autre explication concernant une absence d’effet de groupe dans nos résultats peut concerner plus particulièrement les participants. Dans notre étude, nous avons choisi des participants sur la base du questionnaire Fear of spiders questionnaire (Szymanski &

O’Donohue, 1995) qui catégorise les participants selon leur peur des araignées. Cependant, cette catégorisation ne se fait pas d’un point de vue clinique. Nos participants ne constituaient donc pas une population clinique décrite comme arachnophobe. Notre choix s’est premièrement effectué pour des raisons pratiques, à savoir qu’il est difficile de trouver des étudiants phobiques qui acceptent de passer une expérience avec l’objet de leur peur. Mais, il s’est également fait sur la base de la littérature. En effet, la plupart des études développées dans ce travail portent sur une population dont la peur des araignées est catégorisée sur la base du FSQ. Toutefois, il existe quelques articles empiriques sur les personnes arachnophobiques (Gerdes, Alpers, &

Pauli, 2008, ; Kolassa, Musial, Mohr, Trippe, & Miltner, 2005 ; Van Strien, Franken, &

Huijding, 2009; Michalowski & al., 2009). Ces études utilisent pour la plupart le Spider Phobia Questionnaire (Klorman, Weerts, Hastings, Melamed, & Lang, 1974) et sélectionnent des participants ayant un diagnostic de phobie spécifique aux araignées selon le DSM-IV. De manière générale, ces recherches trouvent une négativité postérieure précoce (EPN) suggérant une attention plus importante pour des images d’araignée. Par exemple, l’étude de Kolassa et collègues (2005) montre que les participants phobiques détectent de manière plus rapide les éléments spécifiques à leur peur que les participants contrôles. Mais aussi, ils identifient plus rapidement des images d’oiseaux ou de fleurs suggérant alors une hypervigilance pour tout stimulus dès le moment où ils savent que l’objet de leur peur peut apparaître. Ces résultats sont en accord avec une hypothèse selon laquelle les personnes phobiques montrent un état d’alerte pour tout objet se trouvant dans leur environnement, dans le but de pouvoir détecter si une menace est présente (Beck, Emery, & Greenberg, 1985, cités par Kolassa & al., 2005 ; Devue

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& al., 2011). Ainsi, nous pourrions imaginer, lors de futures recherches, effectuer une étude sur une telle population afin d’observer si effectivement l’attention des individus phobiques est capturée par un distracteur spécifique à leur peur. Mais aussi, une telle recherche pourrait nous permettre d’observer si, en utilisant un paradigme expérimental similaire au nôtre, les participants phobiques seraient capables de mettre en place des stratégies qui les aideraient à éviter ce stimulus saillant mais non pertinent. Enfin, une telle étude nous permettrait d’approfondir la manière dont ces personnes agissent en présence de tels stimuli, et pourrait ainsi être utilisée à des fins de santé mentale. Par exemple, une étude de Weierich, Treat et Hollingworth, (2008) émet l’hypothèse d’une possible implication de l’attention dans le traitement de phobies spécifiques. Un entrainement de l’attention pour les personnes phobiques pourrait être efficace en complément à d’autres thérapies plus classiques. En effet, les auteurs proposent de les entraîner à ne pas chercher les stimuli effrayants et ne pas diriger leur regard dans leur direction lorsqu’ils savent qu’ils sont présents. Cependant, ces hypothèses théoriques restent à être testées avec une population clinique. Finalement, une dernière possibilité concernant l’absence d’effet de groupe est que, comme mentionné plus haut dans le texte, le nombre de participants n’était pas suffisant afin de différencier les deux groupes. En effet, les études menées sur ce sujet portent sur un nombre plus conséquent, proche d’une cinquantaine de participants (Devue & al., 2011 ; Gerdes, & al., 2008 ; Weierich & al., 2008 ; Weymar &

al., 2013). Il serait alors pertinent d’augmenter le nombre de participants afin d’observer si un effet de groupe peut être mis en évidence.

5.5.3. L’aspect perceptuel

Une autre limite de cette étude réside dans l’aspect perceptuel de nos stimuli distracteurs. En effet, la différence dans nos résultats électrophysiologiques concernant la composante PD dans les deux conditions avec distracteur, pourrait être due à une saillance plus grande pour le stimulus araignée que le stimulus feuille. Une deuxième expérience a été menée afin de vérifier que nos effets soient réellement dus à une différence émotionnelle entre les deux distracteurs et non à une différence de saillance (Barras, Pittet, Burra, & Kerzel, 2017). Dans cette expérience, le même paradigme que dans notre étude est utilisé, à savoir les trois conditions expérimentales (sans distracteur, avec distracteur araignée, avec distracteur feuille).

La seule différence porte sur la croix de fixation, où un pixel est manquant sur sa partie basse ou haute (Figure 15). La tâche des participants est d’indiquer sur quelle partie de la croix de fixation manque le pixel. Si nos résultats sont dus à une différence de saillance, nous devrions répliquer les résultats ci-dessus. Toutefois, les résultats à cette deuxième expérience montrent

53 bien une PD en direction des distracteurs, suggérant une suppression de ces derniers. De plus, aucune différence significative entre les deux distracteurs n’est observée. Ainsi, nos deux distracteurs sont plus saillants que notre cible, mais sont les deux de saillance équivalente. De la sorte, ces données ne peuvent pas expliquer la différence observée dans notre première expérience.

Figure 15 : Displays utilisés pour l’expérience (Barras & al., 2017).

5.5.4. Les stimuli non pertinents animés et inanimés

Finalement, nous avons comparé une condition avec un distracteur animé à une condition avec un distracteur inanimé afin de contrôler que les résultats ne soient pas dus à la présence d’un objet différent dans le display, mais bien à la valence émotionnelle du distracteur.

Ce choix a été fait sur la base de la littérature (Devue & al., 2011). Toutefois, il peut également constituer une limite écologique de notre étude. Comme mentionné dans l’introduction, les études n’ont pas encore trouvé de consensus quant au rôle des objets animés dans la capture de l’attention. En effet, certaines recherches soulignent que les éléments animés reliés à la peur ne montrent pas un avantage explicite sur les éléments animés non menaçants (Lipp, Derakshan, Waters, & Logies, 2004 ; Soare, Esteves, & Flykt, 2009). De ce fait, nos résultats pourraient être dus à l’aspect animé du distracteur araignée et non à sa valence émotionnelle. Ainsi, il serait intéressant de reproduire notre expérience avec un deuxième distracteur animé non menaçant, comme un chat, à la place d’une feuille. Ceci, dans le but de s’assurer que nos résultats soient réellement dus à l’aspect de peur qu’une araignée peut évoquer chez les participants, en raison de ses caractéristiques phylogénétiques. Si des résultats différents sont observés, ceci indiquerait probablement que ce sont les stimuli animés qui expliquent une différence de suppression attentionnelle, et non l’aspect spécifique à la peur de l’objet. Enfin, nous pourrions imaginer utiliser des stimuli animés non menaçants, dont la cible, à la place des fleurs afin d’étudier les phénomènes de capture et de suppression attentionnelle. Pour conclure,

54 nos résultats nous permettent d’éclaircir la fonction de la suppression attentionnelle mais aussi le rôle que joue la valence émotionnelle sur les divers processus d’attention visuelle. La présente étude fournit également de nouvelles idées à approfondir sur ces mécanismes lors de futures recherches.

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