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Contexte, définitions et enjeux

I.4. Invasion biologique : un processus séquentiel

Comme évoqué lors de la définition d’une espèce invasive, l’espèce doit être introduite, persister et proliférer aussi bien spatialement que démographiquement. Par conséquent et malgré la controverse évoquée préalablement, un consensus semble se dégager et la communauté scientifique s’accorde pour décomposer le processus d’invasion en trois grandes étapes : (1) l’introduction, (2) l’établissement et (3) la prolifération (FIGURE 3). Chaque étape peut à son tour comprendre plusieurs sous-étapes (Richardson et al. 2000; Sakai et al. 2001; Allendorf & Lundquist 2003;

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Lockwood et al. 2005; Blackburn et al. 2011) et le passage à l’étape suivante nécessite le franchissement de certaines barrières (Blackburn et al. 2011).

FIGURE 3. Représentation schématique des différentes étapes d’une invasion biologique, des barrières à franchir et des stratégies de gestion associées à chaque étape.

D’après Allendorf & Lundquist (2003), Blackburn et al. (2011) et Simberloff et al. (2013).

I.4.a. L’introduction, le début d’une longue histoire

Cette étape consiste au prélèvement d’individus (bien souvent de manière accidentelle) dans un milieu, au transport puis à l’introduction au sens strict de ces derniers (là encore de manière non intentionnelle dans de nombreux cas) dans un nouveau milieu situé hors de l’aire naturelle de distribution de l’espèce. Cette étape est généralement associée à des " goulots d’étranglement génétiques " puisqu’un nombre restreint d’individus est prélevé depuis la zone d’origine puis introduit dans une nouvelle zone et ne représente par conséquent qu’une partie de la diversité génétique présente dans l’aire native (Wares et al. 2005; Dlugosch & Parker 2008). On

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parle alors d’effet fondateur et l’intensité de cette perte de diversité génétique pourra avoir des répercussions sur la suite du processus et le succès invasif de l’espèce introduite (cf. section I.7.d. Facteurs génétiques : des combinaisons gagnantes).

Il est difficile de dissocier cette étape de son caractère anthropique. En effet, le rôle fondamental joué par l’Homme dans l’introduction d’espèces (volontaire ou non) loin de leur aire d’origine n’est plus à prouver et fait l’objet d’un consensus. Même si cette étape peut paraitre évidente, les individus doivent dans un premier temps être " transportés " (volontairement ou non) depuis leur zone d’origine, or toutes les espèces n’ont pas la même probabilité de l’être. Plus une espèce est associée aux activités humaines plus elle aura de chance d’être exportée hors de son aire native (Floerl et al. 2009; Hulme 2009; Rabitsch 2010). Dans un second temps, les individus doivent survivre au transport qui peut, dans certains cas, correspondre à des conditions de vie drastiques (e.g. longue durée, manque de nourriture, forte chaleur, etc.). La survie au transport constitue donc la condition sine qua non à l’introduction proprement dite.

I.4.b. L’établissement : survivre et se reproduire

Une fois les individus introduits dans un nouveau milieu, ils doivent être en mesure de survivre et de se reproduire afin de fonder une population viable sur le long terme. En d’autres termes, leur survie mais aussi la survie de leurs descendants sur de multiples générations après l’introduction sont essentielles pour qu’une espèce introduite puisse s’établir (Sakaï et al. 2001; Blackburn et al. 2011). Les obstacles à surmonter pour les individus introduits ne sont donc plus de nature géographique mais écologique et démographique. En effet, les individus fondateurs doivent être capables de se développer dans un nouvel environnement avec lequel ils n’ont pas co-évolué. La capacité à s’établir peut résulter de facteurs associés à l'espèce introduite (par exemple une plasticité phénotypique), au lieu de l’introduction (par exemple, des conditions climatiques similaires à celles du milieu d’origine) ou à une interaction espèce introduite x lieu d’introduction mais aussi à des caractéristiques stochastiques (Blackburn et al. 2011; Fauvergue et al. 2012; Pyšek & Richardson 2010). Tout comme pour l’étape précédente, lors de l’établissement, les populations sont souvent difficiles à détecter car les individus peuvent être peu nombreux et spatialement cantonnés à des micro-habitats favorables (Roques 2010a).

Cette étape fait intervenir un nouveau concept : la pression de propagule. Cette mesure composite qui associe le nombre d’évènements d’introductions (nombre de propagule) et le nombre d’individus introduits à chaque introduction (taille de la propagule) (Lockwood et al. 2005) est souvent citée comme un élément décisif dans le succès à s’établir (Sakai et al. 2001; Allendorf & Lundquist 2003; Lockwood et al. 2005; Meyerson & Mooney 2007; Simberloff 2009;

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Fauvergue et al. 2012). En effet, ces différents auteurs considèrent que plus la pression de propagule est forte plus les chances de s’établir seront accrues. Cependant, l’introduction du frelon asiatique en France témoigne que malgré une très faible pression de propagule (une seule femelle mais fécondée par plusieurs mâles), l’espèce s’est établie et a maintenant colonisé une grande partie du territoire ouest européen (Arca 2012).

I.4.c. La prolifération : l’invasion stricto sensu

Cette phase correspond à l’invasion proprement dite. La population initialement introduite s’est développée d’un point de vue démographique et va s’étendre spatialement et sera à l’origine de nouveaux foyers populationnels. Ainsi, une population en expansion sera confrontée à de multiples événements séquentiels d'établissement, dû aux nouvelles conditions environnementales rencontrées lors de la propagation (Blackburn et al. 2011). Les obstacles auxquels doit faire face la population envahissante sont maintenant d’ordre environnemental. Si l’environnement est hétérogène, la population envahissante devra donc s’adapter à la gamme de milieux rencontrés. Cependant, un retard (ou phase de latence) d’une durée plus ou moins longue peut dans certains cas être observé entre la phase d’établissement et la phase de prolifération (Mack et al. 2000; Allendorf & Lundquist 2003; Facon et al. 2006; Essl et al. 2011b). Lors de cette phase de latence, les populations introduites peuvent atteindre des habitats plus appropriés qui permettent une reproduction plus élevée. Cette croissance continue de la population entraîne alors une augmentation de la pression de la population sur les zones adjacentes et peut, dans certains cas, mener à de sérieux impacts sur l'écosystème. Une phase de latence prolongée entre l'établissement de certaines espèces et leur émergence comme invasifs peut être à l’origine d’un manque de décision de la part des pouvoirs publiques. Les mesures adaptées pour contrôler, limiter la propagation de la population établie voire l’éradiquer ne sont alors pas prises en temps voulu (Mack et al. 2000; Rasplus 2010; Simberloff et al. 2013).

I.4.d. Beaucoup d’appelés mais peu d’élus

Ce processus séquentiel implique donc le passage de différentes étapes (plus précisément le passage de différents obstacles) et l’incapacité à surmonter ces différentes barrières entrainera l’échec de l’invasion. Dans ce sens, la Tens rule (la règle des Dizaines) a été formulée par Williamson & Fitter (1996) comme une règle de base pour déterminer le pourcentage d’espèce réussissant à passer chaque étape du processus d’invasion. Cette règle propose qu’environ 10% des espèces introduites parviendront à s’établir, et 10% des espèces établies deviendront invasives. En d’autres

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termes, sur 100 espèces introduites, seule une d’entre elles deviendra invasive. Cette règle a été formulée à partir d’observations concernant des plantes terrestres invasives et ne semble pas généralisable (bien que souvent appliquée à de nombreux taxons, sans en évaluer la validité). En effet, il semblerait que cette règle sous-estime le succès invasif des insectes (Williamson & Fitter 1996; Lounibos 2002; Peacock & Worner 2008). Néanmoins, cette théorie formalise bien le risque d’échec d’une invasion à chacune des étapes du processus.