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Contexte, définitions et enjeux

I.6. Impacts des espèces invasives a. Rêve ou réalité ?

Les invasions biologiques représentent une accélération des processus naturels (sélection, adaptation, changements évolutifs) et permettent de tester de nouvelles combinaisons qui ne pouvaient avoir lieu naturellement (e.g. hybridation entre des populations géographiquement isolées). A ce titre, les invasions peuvent donc être perçues par la communauté scientifique comme de réelles expériences grandeur nature permettant d’augmenter les connaissances et tester de nombreux concepts. Cependant, dans bien des cas, les invasions sont à l’origine d’effets néfastes de différentes natures : économique, écologique ou sanitaire. Néanmoins et comme entrevu dans la partie I.2 " Un phénomène qui fait débat : définitions et controverses ", les impacts des invasions biologiques font débat au sein de la communauté scientifique car ils peuvent être dépendants de la perception humaine. Les effets ont été étiquetés " bon " ou " mauvais " en fonction du service écosystémique considéré, l’effet d’une même espèce invasive peut donc être bon ou mauvais en fonction du contexte (Simberloff et al. 2013) et, dans ce sens, le point de vue pécuniaire est souvent bien différent du point de vue environnemental. Les impacts économiques sont plus facilement détectables et surtout plus rapidement signalés par les parties prenantes (Pyšek & Richardson 2010). Les impacts écologiques sont eux plus difficiles à déterminer et à quantifier, et sont souvent sous-estimés car jugés plus subtils et/ou pour être caractérisés demandent une étude intensive

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généralement sur de longues durées (Simberloff et al. 2013). De plus, même des espèces considérées comme inoffensives peuvent avoir des répercussions écologiques importantes comme les chalcidiens des graines du genre Megastigmus spp. qui déplacent la faune native et diminuent le potentiel de régénération naturelle de la flore native (Auger-Rozenberg & Roques 2012). Néanmoins, de nombreux travaux concluent à un impact faible voire inexistant de diverses invasions. Dans ce sens, une étude récente sur la pertinence de telles conclusions et fondée sur des analyses post-hoc, suggère que les espèces introduites pour lesquelles les études d'impact ont des résultats statistiquement non significatifs (souvent interprétés comme '' aucun impact '') peuvent cependant avoir des impacts importants non détectés en raison d’échantillons trop faibles (et donc d’un effet taille) (Davidson & Hewitt 2014). Les auteurs concluent également que le design expérimental et les analyses adoptés réduisent les erreurs de Type I alors que l’identification d'éventuels impacts requière un design expérimental et des analyses associées qui minimisent les erreurs de Type II1.

De plus, Essl et collaborateurs (2011a) ont montré que de nombreuses espèces exotiques problématiques actuelles ne correspondent pas à des espèces arrivées récemment mais ont été introduites il y a plusieurs décennies. Par conséquent, les patterns actuels reflètent des patterns historiques plutôt que contemporains. Ce phénomène est appelé la dette de l'invasion - Invasion debt. Les conséquences des pratiques socio-économiques actuelles, du point de vue invasions biologiques (i.e. augmentation sans précédent du nombre d'espèces introduites), ne seront donc probablement perçues que dans plusieurs décennies.

Cependant, des décennies de recherche expérimentale ont tout de même démontré la capacité des invasions à altérer les écosystèmes, impacter l'économie ou encore avoir de lourdes répercussions sur la santé animale et humaine (Vilà et al. 2010; Richardson & Ricciardi 2013). Vilà et collaborateurs (2010) ont identifié que 13,8% et 24,2% des espèces d’invertébrés terrestres introduites en Europe ont occasionné (ou occasionnent encore) des impacts écologiques et économiques, ce qui correspond respectivement à 342 et 601 espèces. Concernant plus particulièrement les insectes, les impacts d'ordres économiques sont les mieux documentés en raison des nombreux nuisibles introduits en milieux agricole et forestier (Kenis & Branco 2010). Certaines études estiment qu'entre 30 et 45% des insectes ravageurs dans l'agriculture et la sylviculture dans le monde sont d'origine exotique (Pimentel 2002; Pimentel et al. 2005), alors qu’ils ne représentent qu’une infime partie de la faune entomologique.

1 L'erreur de Type I (ou de " première espèce ") est l'erreur commise quand l'hypothèse nulle est rejetée, alors qu'elle est vraie. L'erreur de Type II (ou de " deuxième espèce ") est l'erreur commise quand l'hypothèse nulle est maintenue, alors qu'elle est fausse.

LES INVASIONS BIOLOGIQUES

Contexte, définitions et enjeux

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I.6.b. Impacts économiques : la source de tous les maux ?

Seule une partie des espèces introduites s’établira et deviendra invasive. Cette infime fraction, particulièrement lors d’introductions accidentelles, peut être à l’origine de pertes économiques conséquentes notamment en agriculture (Pimentel et al. 2005; Kenis & Branco 2010). Comme illustré par l’exemple suivant, les impacts peuvent être directs (perte de production) ou indirects (coûts relatifs aux moyens de lutte contre l’invasif). Ainsi l’introduction de Diabrotica

virgifera virgifera, considéré comme le ravageur le plus important du maïs, dans le centre des

États-Unis (zone correspondant aux principaux états producteurs de maïs) a un impact économique considérable. En effet, les coûts estimés dans les années 1980 des insecticides utilisés pour contrôler les dommages des larves aux racines, de la pulvérisation aérienne pour réduire les dommages des adultes aux épis, combinés aux pertes de récoltes approchaient le milliard de dollars par an (Krysan & Miller 1986). En Europe, d’importantes pertes liées à l’invasion de ce ravageur ont également été enregistrées en Serbie, Hongrie, Italie (Baufeld & Enzian 2005). De même, les producteurs européens de châtaignes ont vu leur production diminuée de 50 à 70% depuis l’introduction du cynips du châtaignier, Dryocosmus kuriphilus (Bosio et al. 2010).

Le milieu agricole fait l’objet d’attention particulière puisqu’il assure à lui seul une grande partie de la nourriture des populations humaines mais aussi du bétail. Cependant, le monde sylvicole n’est pas épargné par le phénomène des invasions (Pimentel et al. 2005; Brockerhoff et al. 2006; Roques 2010a; Aukema et al. 2010; Aukema et al. 2011). Les dégâts annuels liés aux insectes xylophages invasifs aux États-Unis ont été estimés à plus de 2,5 milliards de dollars (Aukema et al. 2011). En outre, de nombreux invasifs occasionnent de sérieux dommages aux plantes ornementales (e.g. Anoplophora spp. sur érables, saules, ormes et peupliers;

Agrilus plannipenis sur frênes ou encore Rynchophorus ferrigineus et Paysandisia archon sur

palmiers) et peuvent être à l’origine de la mort de centaines d’arbres utilisés dans l’aménagement urbain (Haack et al. 2010; Kenis & Branco 2010; Aukema et al. 2011).

Cependant, bon nombre d'insectes introduits intentionnellement ont un impact positif sur l'économie comme par exemple l'introduction d'agents de lutte biologique pour le contrôle d’espèces nuisibles (Roy et al. 2011) ou encore l’introduction de pollinisateurs tels que Apis mellifera dans le but d’obtenir des rendements en miel plus élevés (Moritz et al. 2005) ou

Bombus terrestris dalmatinus utilisés dans les serres pour améliorer la pollinisation (Ings et al. 2006;

Inoue et al. 2008). Toutefois, les bénéfices engendrés par l’introduction de certaines espèces ne suffisent pas à équilibrer la balance face aux dépenses générées. De plus, les deux exemples cités

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pour illustrer les bienfaits de certaines introductions peuvent également être cités comme contre-exemples pour leurs impacts écologiques (cf. paragraphe suivant).