• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I

Caractérisation des dégâts et évaluation de l’impact en Europe

129

I.I

NTRODUCTION

La polyphagie de Leptoglossus occidentalis observée dans son aire d’origine, c’est-à-dire la capacité à utiliser une grande variété d'espèces comme plantes hôtes, a sans nul doute été l’une des clés du succès invasif de ce ravageur des graines de conifères en Europe. L’espèce a été observée sur différentes essences natives européennes mais aussi sur des espèces exotiques comme Pseudotsuga

menziesii. Bien que des préférences clonales aient été mises en évidence dans les vergers de

Pseudotsuga menziesii et de Pinus contorta en Colombie Britannique (Blatt & Borden, 1998), aucun

test de sensibilité comparative d’essences de conifères exposées aux mêmes insectes en conditions contrôlées n’a encore été mené aussi bien dans la zone d’origine que dans la zone d’invasion.

De même, si l’espèce est soupçonnée d’avoir provoqué une sévère diminution de la production de graines consommables de Pinus pinea en Italie, aucune estimation des dégâts imputables à L. occidentalis n’a pour le moment été réalisée. De manière générale, aucune estimation quantitative des dégâts en plantations mais aussi en peuplements naturels n’a été menée en Europe. Ce dernier point n’est pas non plus documenté dans la zone d’origine de ce ravageur où les travaux se sont concentrés sur l’impact de L. occidentalis en vergers à graines. Par conséquent, aucune étude n’a porté sur l’impact potentiel de ce ravageur sur la production de graines en milieu naturel, en d’autres termes si L. occidentalis diminuait de manière significative le " stock de graines disponibles " pour la régénération naturelle.

L’évaluation des dégâts en vergers en Amérique du Nord a été facilitée par le développement d’une typologie des dégâts engendrés à la graine par la prise alimentaire de la punaise. Cette typologie a été développée en utilisant la radiographie X sur des graines Pseudotsuga menziesii soumises à Leptoglossus occidentalis (Bates et al. 2000). Aucun outil similaire n’existe pour les essences européennes les plus utilisées en reforestation en Europe centrale et occidentale.

Les objectifs spécifiques de cette première étude étaient donc :

 D’établir une typologie des dégâts pour ces principales essences et de tester l’impact de la prise alimentaire sur les capacités de germination de la graine

 De déterminer si L. occidentalis diminue de manière significative le rendement en graines

 D’évaluer l’impact de ce nouveau ravageur en vergers à graines mais aussi en peuplements naturels

130

II.M

ATÉRIELS ET

M

ÉTHODES

Des expérimentations en laboratoire et sur le terrain ont été combinées afin de caractériser les dégâts. Dans un premier temps, les dégâts ont été identifiés sur graines, via une expérience où des graines de différentes essences (six espèces au total) préalablement identifiées par radiographie comme saines et indemnes de toute attaque, ont été soumises à des punaises sur une période de 15 jours, et radiographiées tous les deux jours afin de suivre précisément l’évolution des dégâts dans le temps. Cette expérience a permis de développer une typologie des dégâts comparable aux travaux réalisés dans la zone d’origine. Dans un second temps, des tests de germination ont été effectués pour chaque essence utilisée et pour chaque catégorie de dégât déterminée précédemment. En parallèle, une expérimentation d’ensachage de cônes (Pinus nigra et P. sylvestris) menée en pépinière, a confirmé les résultats mis en évidence au laboratoire sur graines et a permis d’estimer l’impact de

L. occidentalis sur la production de graine.

Ces différentes expériences ont servi de base pour évaluer l’intensité des dégâts engendrés par la punaise en vergers à graines et en peuplements naturels. Les vergers correspondaient aux vergers à graines mis en place par le Ministère de l’Agriculture dans les années 1970 dans le département du Lot. Un verger de Pseudotsuga menziesii (site de Lavercantière), régulièrement suivi depuis plus de 20 ans pour les attaques du chalcidien des graines, Megastigmus spermotrophus, a été particulièrement surveillé depuis 2008 (date où les premiers individus de L. occidentalis ont été décelés (C. Blazy et A. Roques comm. pers.). Les autres parcelles suivies ont été sélectionnées pour les différentes espèces qu’elles représentaient, afin d’avoir une couverture assez large des essences utilisées en reforestation. Les peuplements naturels correspondaient aux peuplements de pins

(P. nigra et P. sylvestris) situés à Saint Crépin (lieu-dit le Merdanel) et Serre-Ponçon (Hautes Alpes).

Le choix de ces peuplements s’est effectué sur la base d’observations, les populations de punaises semblaient bien établies et ce depuis 2007, date de la première observation (Dusoulier et al. 2007 et A. Roques comm. pers.). La méthode employée était la même pour les vergers et peuplements naturels ; des cônes mâtures (i.e. cônes de 2e année pour P. sylvestris et P. nigra et cônes de l’année pour les autres espèces) ont été collectés tous les ans à l’automne et le suivi a été réalisé sur une période de trois années consécutives (2010 à 2012).

III.R

ÉSULTATS

Les expérimentations de laboratoires et d'ensachage de cônes tout comme l'évaluation des dégâts en vergers et peuplements naturels confirment bien la polyphagie de l'insecte, mais aussi et surtout que les espèces natives de conifères les plus importantes (pins, mélèze, épicéa, sapin) peuvent

CHAPITRE I

Caractérisation des dégâts et évaluation de l’impact en Europe

131

être largement exploitées par L. occidentalis. Aucune réelle préférence alimentaire n’a été dégagée au travers de ces différentes expériences. Cette plasticité a très probablement facilité l’établissement et la propagation de cet invasif au sein du continent, lui permettant de contourner un des obstacles environnementaux ; la présence d’essences hôtes avec lesquelles il n’avait pas co-évolué.

132

D’un point de vue appliqué, la typologie des dégâts mise en place pour six essences couramment utilisées en Europe en reforestation, constitue un véritable outil pour estimer la qualité sanitaire des graines produites. Les estimations de dégâts en vergers, réalisées sur la base de cette typologie, n’ont jamais dépassé les 25% de la production initiale mais représentent tout de même un impact économique potentiellement important au vu du prix de vente de telles graines, jusqu’à 2000 € / kg pour des graines de Pseudotsuga menziesii (ONF 2013). En revanche, les dégâts dans les peuplements alpins, bien que variables d’une année sur l’autre et d’un site à l’autre, peuvent être considérables (jusqu’à 70% de destruction de la production de graines). Ces résultats représentent la première estimation des dégâts en plantations artificielles depuis l’arrivée de l’insecte en Europe mais aussi la première estimation de l’impact potentiel sur la régénération en milieux naturels que ce soit dans la zone d’origine ou dans la zone envahie. Ces résultats sont également à mettre en lien avec l’évaluation des capacités de germination des graines endommagées par l’insecte. En effet, un simple dégât léger (i.e. inférieur au tiers du contenu initial de la graine) réduit drastiquement les capacités de germination et ce pour la majorité des essences testées.

Cette étude confirme donc le fait que L. occidentalis représente une réelle menace d'un point de vue économique et écologique en Europe et suggère que ce nouveau ravageur doit être pris en considération dans les futures stratégies forestières.

Ces résultats synthétisésFIGURE 11ont donné lieu à un article publié dans la revue Biological Invasions et correspondant à l’Article III.

Article III