• Aucun résultat trouvé

Nous abordons à présent la deuxième grande partie de ce manuscrit. L’addition de charges inorganiques (e.g. poudre de silice[141–143], noir de carbone [144], fibres rigides [145] ou flexibles [146], ou encore le mélange de ces composées [140,147]) dans un ma- tériau polymère altère considérablement les propriétés physiques (e.g. mécaniques, rhéo- logiques, électriques, thermiques) du matériau composite résultant de ce mélange [148]. Toutefois, il demeure aujourd’hui très difficile d’expliquer clairement le lien entre les pro- priétés macroscopiques observées et la composition chimique sous-jacente de ce type de matériau[149–151]. Néanmoins, il est communément accepté que l’interaction polymère- charge joue un rôle majeur[152].

De nombreuses techniques expérimentales ont été mises en oeuvre pour tenter d’expli- quer le comportement de ces matériaux composites. Elles suggèrent l’existence d’une région interfaciale (« bound layer ») entre les charges et la matrice polymère dans laquelle la mo- bilité des chaînes est réduite. Ces mesures demeurent cependant indirectes. Par exemple, Gong et al.[153] ont constaté, par spectroscopie diélectrique (« Dielectric Relaxation Spec- troscopy (DRS) »), un ralentissement de la dynamique segmentaire des chaînes (dans leur globalité dans les échantillons analysés) en présence ou non de nanoparticules de silice. Jouault et al.[154] ont couplé trois méthodes, i.e. analyse thermogravimétrique, diffusion dynamique de la lumière en solvant-θ, et analyse d’images obtenues par microscopie élec- tronique à transmission. Ces méthodes sont respectivement désignées par « ThermoGravi- metric Analysis (TGA) », « Dynamic Light Scattering (DLS) » et « Transmission Electron Mi- croscopy (TEM) ». L’épaisseur typique de la région interfaciale a ainsi été estimée de l’ordre de quelques nanomètres. Elle dépend a priori de la longueur des chaînes de polymère (nous le validerons partiellement dans ce chapitre en fonction des propriétés observées). Papon

et al.[155] ont distingué, par spectroscopie par résonance magnétique nucléaire (NMR) et calorimétrie différentielle à balayage (DSC), et sur les bases du modèle théorique de Long et Lequeux[156] (encore débattu dans la communauté scientifique [157,158]), deux couches caractéristiques autour des charges. Dans l’ordre :

1. Une coquille rigide enrobant la charge, dont l’épaisseur typique correspond, selon la théorie, à une zone vitreuse formée par le polymère au voisinage du substrat. Dans le cas où le substrat est recouvert d’agents de couplage et/ou de recouvrement1, dont

la mobilité est réduite en raison du greffage, cette épaisseur augmente. A contrario, cette épaisseur diminue continûment lorsque la température de l’échantillon s’éloigne de celle de la Tg = Tgbulk de la matrice polymère en phase isotrope, s’expliquant par

la plus grande mobilité des chaînes à haute température. Sa valeur maximale est de

l’ordre de quelques dizaines de nanomètres[159,160].

2. Une zone intermédiaire entre la zone vitreuse proche de la charge (Tg > Tbulk

g ) et

la matrice isotrope (Tg = Tbulk

g ), modélisée par un gradient de Tg. Son épaisseur,

indépendante de la température de l’échantillon pour Tgbulk+10 K ¶ T ¶ Tgbulk+120 K, est de l’ordre de 1.5± 0.5 Å [155].

D’autres groupes, e.g. Mattsson et al. [161], ont révélé, à travers d’infimes variations de masse volumique mesurées par spectroscopie Brillouin (« Brillouin Light Scattering (BLS) »), un décalage de la Tg vers les basses températures pour des films de polymère très fins (quelques dizaines de nanomètres), attribué au confinement des chaînes (pour les grandes masses).

Cependant, il n’existe actuellement (à ma connaissance) aucune méthode de mesure di-

recteet locale des propriétés interfaciales des matériaux chargés. C’est l’objet de ce chapitre. Nous nous consacrerons ici exclusivement à des simulations de l’interface polymère-silice à l’échelle atomistique. Ces dernières sont en effet particulièrement adaptées à l’étude de matériaux sur des distances caractéristiques de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres. Cette description locale à l’échelle moléculaire est critique, aussi bien pour les expérimenta- teurs cherchant à mieux comprendre l’origine chimique des propriétés macroscopiques de leurs matériaux chargés[162], que pour les théoriciens souhaitant par exemple développer des modèles gros grain de l’interface par des approches de type « bottom up » vues dans les deux chapitres précédents[58]. Ces simulations haute résolution ont été réalisées par dynamique moléculaire (MD). silanol isolé Si O H silanol géminé Si O H O H siloxane Si O Si 1,4-cis-polybutadiène • ˜ n

Figure 4.1 – Représentation des structures chi-

miques considérées.

Nous étudierons de près la région interfa- ciale entre différentes surfaces de silice sur les- quelles ont été déposées un fondu de notre po- lymère modèle, à savoir des chaînes amorphes de 1,4-cis-polybutadiène (cPB). Nous montre- rons comment la nature de la surface de si- lice (plan de clivage, densité de silanols, degré de déshydratation) perturbe la structuration lo- cale de l’interface. Nous proposerons ensuite de modifier cette surface, à l’instar des expérimen- tateurs (tout du moins en essayant de s’y rap-

procher), en y greffant des chaînes de polymère et/ou des silanes. Les simulations MD étant limitées à quelques dizaines de nanosecondes de simulation, seules des propriétés statiques à l’équilibre seront présentées.

Soulignons finalement que la silice a été modélisée par un champ de force récent déve- loppé par Emami et al. [163] en 2014. Ce champ de force a été spécialement conçu dans

le but de reproduire quantitativement les propriétés superficielles de la silice pour divers états de surface, e.g. structure cristaline ou amorphe, chimie de surface, pH, degré d’io- nisation, degré de déshydratation. Sa conception simple, i.e. liaisons harmoniques, angles harmoniques, potentiels non-liés de type Lennard-Jones, et la disponibilité des paramètres associés pour une utilisation couplée avec de nombreux autres champs de force (CHARMM [164], AMBER [165], CVFF [166], PCFF [167], COMPASS [168]) rendent ce nouveau mo- dèle particulièrement attractif. Ce dernier a été validé par l’étude fine des propriétés thermo- dynamiques à l’interface eau-silice. Il a depuis été utilisé par les mêmes auteurs pour suivre l’adsorption de trois peptides sur des surfaces de silice[169] et a été intégré au champ de force INTERFACE (IFF)[170]. Nous rapportons dans ce chapitre les premières simulations de l’adsorption de chaînes polymère sur des surfaces de silice en utilisant ce nouveau champ de force.

Documents relatifs