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2.5 - Diagnostic différentiel

4.2. Intoxication par la PPD

La paraphénylène-diamine (PPD) ou para-aminobenzène est une amine aromatique dérivée de l’aniline, utilisée depuis 1863 par les femmes dans un but cosmétique comme teinture capillaire noire ou adjuvant de henné dans plusieurs pays d’Afrique et de Moyen Orient. Elle est également utilisée comme teinture des fourrures, dans la fabrication d’articles domestiques, d’agents cosmétiques, des pneus, et le développement photographique [140]. Au Maroc, elle est vendue librement chez les herboristes traditionnels sous le nom de « Takaout Roumia » par analogie à un produit végétal non toxique tiré de la gale de Tamaris orientalis dit « Takaout Beldia ».

Vu la disponibilité commerciale de ce produit sous sa forme pure, sa large utilisation et l’absence de réglementation la concernant, la PPD peut être à l’origine de nombreux effets toxiques. L’usage de ce produit a souvent été détourné de son usage habituel dans un but d’autolyse. Au Maroc, L’intoxication suicidaire par ingestion volontaire de la PPD reste assez fréquente.

Durant la période allant de 2000 à 2005, le centre Anti Poison a recensé à travers les fiches de toxicovigilance, 289 cas d’intoxications à la paraphénylène diamine, ce qui représente 1.02% de l’ensemble des intoxications.

La femme est touchée dans 81% des cas avec un sexe ratio (m/f) de 0.24. L’âge moyen est de 24.6 an ±11.19 allant de 1 à 70 ans. La circonstance suicidaire est la plus retrouvée, avec 83.4%. Le décès a été observé dans 19.4% des cas [141].

 Toxicocinétique

En cas d’ingestion du produit, l’absorption est intestinale. Elle est importante, avec un taux d’absorption pouvant atteindre 90%, et rapide, avec un pic plasmatique à 1,5 heure après l’ingestion [142].

En cas de contact cutané, lors d’application du produit sur le cuir chevelu, le passage dans le sang est minime. Le produit est ensuite uniformément distribué dans tout l’organisme. L’élimination sanguine de la PPD serait biphasique avec une première demi-vie égale à 24 minutes et une seconde égale à 43,5 heures. L’élimination des métabolites est effectuée, par le rein, à 90% et à 10 % dans l’intestin [143].

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Absorbée par voie orale, la PPD est responsable d’une toxicité systémique redoutable dont le tableau clinique est dominé au départ par une atteinte respiratoire allant d’une simple dyspnée à une détresse respiratoire aiguë mettant en jeu le pronostic vital puis un tableau musculaire avec une rhabdomyolyse ainsi qu’une insuffisance rénale.

- Mécanisme de la toxicité

La PPD est un toxique lésionnel à tropisme musculaire, responsable de la peroxydation des lipides membranaires. Chez l’homme, la dose toxique est estimée à 3 g [144];

Deux à quatre heures après l’ingestion apparaît un œdème chaud, dur et douloureux, de la région oropharyngo- laryngée, avec une macroglossie, conduisant inéluctablement à un syndrome asphyxique rapidement mortel si une intubation trachéale (particulièrement difficile) ou une trachéotomie n’est pas immédiatement entreprise. Il représente le premier motif d’admission à l’hôpital et le seul signe clinique orientant d’emblée vers l’intoxication par la PPD [145].

Ce gonflement serait dû à l’augmentation de la perméabilité des vaisseaux sanguins par la composante allergique de l’intoxication à la PPD justifiant une corticothérapie.

La rhabdomyolyse s’installe ensuite, touchant tous les muscles striés, en particulier le diaphragme, avec parfois une paralysie respiratoire imposant une ventilation mécanique contrôlée [146]. Cette rhabdomyolyse toxique est importante, ceci est confirmé par l’élévation des enzymes musculaires, avec des conséquences rénales par hypovolémie secondaire à l’œdème musculaire, par la toxicité tubulaire directe de la myoglobine, et la libération d’enzymes protéolytiques et de substances vasoactives par les cellules nécrosées, aboutissant à une insuffisance rénale aiguë oligurique avec nécrose et obstruction tubulaire.

La toxicité de la PPD sur le rein est multifactorielle [147]:

- par rhabdomyolyse : la précipitation intratubulaire de la myoglobine et des déchets cellulaires, secondaire à la rhabdomyolyse, constitue un obstacle mécanique responsable de l’arrêt de la filtration glomérulaire, mais aussi l’ischémie rénale secondaire à la libération de substances vaso-actives et enzymes protéolytiques libé- rées par les cellules nécrosées (sérotonine et histamine qui sont des activateurs de quinines et auraient une action directe sur le parenchyme rénal) [148].

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- par hypovolémie : la fuite hydroélectrolytique liée à la lyse des masses musculaires est responsable d’une baisse du débit de filtration glomérulaire.

Le diagnostic repose sur l’anamnèse, la présence de signes cliniques pathognomoniques et les analyses toxicologiques.

Par ailleurs, et comme toutes les amines aromatiques, la PPD entraîne une méthémoglobinémie par l’oxydation du fer ferreux Fe2+ en fer ferrique Fe3+ rendant impossible la fixation de l’oxygène sur l’hémoglobine [149].

L’atteinte cardiaque est liée à une atteinte directe du myocarde mais également à une atteinte indirecte, secondaire aux complications circulatoires et aux troubles métaboliques de la lyse musculaire.

 Traitement :

En l’absence de traitement spécifique, le traitement de l’intoxication à la PPD consiste en une prise en charge immédiate de la fonction respiratoire, en assurant la liberté des voies aériennes supérieures (VAS) par une intubation orotrachéale sous sédation si l’œdème cervico-facial n’est pas encore installé ou une intubation nasotrachéale sans sédation si l’œdème cervico-facial est déjà installé. Une trachéotomie s’impose si l’intubation est impossible. L’épuration digestive du toxique par le lavage gastrique ou vomissements provoqués doit être réalisée même au-delà de la deuxième heure, compte tenu des lésions déterminées par la PPD. Il est pratiqué avec 3 à 8 L de sérum physiologique et renouvelé jusqu’à ce que le liquide gastrique soit clair. Si le malade présente une macroglossie trop importante, il se fera par une sonde naso-gastrique [150]. La PPD est bien adsorbée sur le charbon actif ; on peut donc aussi l’utiliser car facile à administrer, même en milieu rural, et sans effets indésirables [150]. Il est utilisé en dose unique en suspension dans l’eau (240 ml d’eau pour 20 g de charbon) à raison de 30 à 50 g chez l'adulte. Cependant, ce produit n’est actuellement pas commercialisé au Maroc.

Pour limiter les conséquences rénales de la rhabdomyolyse, il faut prévenir et traiter l’hypovolémie et l’état de choc, Le patient est dans ce cas placé sous ventilation assistée et oxygénothérapie par sonde nasale en cas de détresse respiratoire, à raison de 3 à 6 L/min [148, 151], recourir à l’alcalinisation pour combattre l’acidose métabolique et relancer la diurèse par des diurétiques. L’alcalinisation se fait par alternance de perfusions de 500 ml de glucosé

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à 10 % de bicarbonate de sodium isotonique (14 pour 1 000) et de mannitol à 5%, avec 1,5 g de chlorure de potassium par flacon de 500 ml. Le volume total perfusé est de 6 litres chez la femme et 8 litres chez l’homme [152].

Si la diurèse est inférieure à 50 ml par heure, sa relance devient une priorité. Elle fait appel dans un premier temps à l’hyperdiurèse alcaline (sans apports de K+). Le furosémide ne doit être prescrit qu’en cas d’anurie persistante après remplissage car il risque d’aggraver l’hypovolémie (furosémide : 20 à 40 mg/6h). Son inefficacité conduit alors à des séances répétées d’hémodialyse [148, 150].