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Intérieur domestique et mise en scène : la réappropriation du XIX e siècle par la création

contemporaine.

L’homme nouveau porte en lui toute la quintessence des formes anciennes, et ce qui se constitue dans la confrontation avec un environnement issu de la sec-onde moitié du xixe siècle, dans les rêves comme dans les phrases et les images de certains artistes, c’est un être que l’on pourrait appeler l’homme meublé.

Walter Benjamin, Kitsch Onirique, Œuvres II

Le xixe siècle constitue un fourniment chamarré de formes, d’idées, de préjugés et de constructions politiques et sociales. Malle à quatre nœuds, cette période paraît transportée bon gré mal gré au fil du temps sans qu’il soit question de s’en délester ni d’en explorer réellement le contenu. Ce siècle-baluchon aux balises marquées par les conflits de 1814 et 1914 conserve pourtant des contours flous. Les pages qui suivent montreront de quelle façon les artistes contemporains s’approprient, commentent et investissent ce xixe siècle imprécis afin de proposer une représentation de l’intérieur domestique.

L’expression intérieur domestique sera envisagée dans son acception usuelle de lieu de vie ceint de murs et détaché ainsi de l’espace public. Espace de circulation hautement symbolique, il fait également figure de balise au sein de la société depuis le xixe siècle.

Le terme de mise en scène s’en rapporte quant à lui à l’organisation matérielle des espaces et des situations, préparés afin d’être offerts au regard de façon dirigée. Il renvoie également à l’ostentation observée dans la majorité de ces intérieurs, ainsi qu’aux arrangements qui servent les habitants dans leur volonté de représentation sociale. Dans l’un et l’autre cas, la mise en scène est envisagée ici comme une maîtrise.

Enfin la réappropriation procède d’une stratégie qui reprend les ressorts du travail en perruque en ce sens que les artistes contemporains tendent à utiliser les outils conceptuels et l’espace du xixe siècle de façon frauduleuse afin de construire pour eux-même des formes inédites.

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Sources & objets de recherche.

La période temporelle envisagée court de la seconde moitié du xxe siècle et des prémisses de la pensée de l’œuvre de Marcel Duchamp, Étant donnés 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage . . .,1946-1966, jusqu’à la première décennie du xxie siècle.

Désignée par la formule création contemporaine, le corpus d’artistes retenus ayant réalisé des œuvres durant cet intervalle demeure volontairement poreux. La multiplicité des références convoquées au sein de ce travail de recherche – œuvres comme expositions – n’est pas envisagée comme une tentative de couvrir l’objet de recherche de façon exhaustive, mais dans le but d’autoriser des nuances, des croisements ainsi que des comparaisons.

Les éléments de référence à l’origine de ce travail de recherche demeurent de deux types complémentaires ; les œuvres d’une part, et les expositions d’autre part. Analysés selon des modalités différentes, mais néanmoins complémentaires, ils ont constitué la matière à l’origine de la plupart des remarques et observations au sein de cette thèse. Certains artistes et certaines œuvres iconiques se détachent pourtant du corpus et structurent les pages suivantes à la façon de points de repères. Un ensemble de travaux artistiques acquiert une importance remarquable du fait de la mention de leurs créateurs à plusieurs reprises. Ainsi de Marcel Broodthaers, pour Décor : A Conquest, 1975, et l’Angélus de Daumier, 1975 (en particulier la Salle Blanche et la Salle Rose)  ; de Fred Wilson, avec l’analyse d’An Invisible Life : A View Into the World of a 120 Year Old Man,1993 et de Rooms With a View : The Struggle Between Culture, Content and Context in Art, 1987 ; de Pascal Convert, avec les diverses transformations de l’ Appartement de l’artiste, entre 1987 et 1992 ; de Marc-Camille Chaimowicz, de la création d’Approach Road, 1975-1979 à la Suite de Varsovie, 1994, d’Haim Steinbach, et en particulier de Display #30 – An Offering (Collectibles of Jan Hoet), 1992 et, dans une moindre mesure, de Put your 1828 Récamier On a Pedestal, 1990 ; de John Armleder enfin, avec All of the Above 2011, et John Armleder : Jacques Garcia, 2009.

D’autres artistes, tels Francis Cape, Mai-Thu Perret, Frank Koolen, Richard Jackson, Patrick Corillon, Lily Van Der Stokker, Gitte Schäfer, Lynn Cohen ou Laurie Simmons sont également convoqués de façon ponctuelle en raison du fait que certaines de leurs œuvres offrent l’occasion d’une réflexion inédite sur la représentation de l’intérieur domestique. La variété de leurs formes ainsi que des enjeux qui y sont afférents se retrouve dans la diversité des expositions analysée au sein des pages qui vont suivre.

Pensées par des artistes ou des commissaires, collectives ou monographiques, ces expositions ne mettent pas toutes en scène des intérieurs domestiques au sens strict

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du terme, mais offrent chacune la mise en espace d’un engagement affirmé quant à des notions qui y sont afférentes. Aussi retrouve-t-on un dialogue entre des propositions aussi éloignées que celles de Guus Beumer pour Safe Haven or The Aesthetics of Safety, (2003) et de Guillaume Désanges pour Prisonniers du Soleil (2010), d’Eric Troncy pour Dramatically Different (1998) et de Rüdiger Schöttle pour Jardin-Théâtre Bestiarium(1987) ou encore de The Subversive Charm of the Bourgeoisie (2006) de Phillip Van den Bossche et de Jeremy Deller pour D’Une Révolution à l’autre (2008).

L’approche directe des œuvres et des expositions demeure une pratique essentielle à leur bonne compréhension, qui plus est lorsque l’on s’en réfère au corpus étudié ici. Pourtant, certaines œuvres historiques n’ont jamais plus été exposées depuis leur création et quelques œuvres récentes ne le furent qu’au cours d’expositions temporaires, parfois lointaines, impliquant une connaissance par l’image imprimée. De ce fait, les catalogues et publications liées aux expositions ont été abordés comme des commentaires – voire comme des arguments à part entière – sur l’exposition plus que comme les documents permettant de prendre connaissance de l’organisation générale de l’espace de monstration.

Ce corpus d’œuvres et d’expositions contemporaines est complété d’œuvres

appartenant au xixe siècle, ainsi que de références visuelles et romanesques appartenant à la culture populaire ou à la culture de masse employées comme manifestations

visibles des conditions réelles d’occupation des intérieurs au moment de leur émergence.

Ces objets de culture visuelle, culturelle et intellectuelle sont une source de

compréhension de l’imaginaire ayant influencé les artistes contemporains dans leur approche du xixe siècle. Il s’agit en quelque sorte de la reconstruction d’un imaginaire fantasmé, fait de romans feuilletons naturalistes, de théâtre de boulevard, de caricatures mais également de pièces de mobilier et de menus objets dont l’agrégat a permis aux artistes de penser leurs œuvres.

Ce travail de recherche s’appuie également sur une importante bibliographie. Certains ouvrages ont soutenu l’ensemble de la réflexion et sont essentiels à la formulation générale de la pensée mise ici en œuvre. C’est le cas de Paris, Capitale du xixe siècle et de Sens Unique de Walter Benjamin, dont la forme comme le propos ont guidé bon nombre de remarques au sein de cette thèse1. Les écrits sociologiques d’Erving Goffman quant à la Mise en scène de la vie quotidienne et celui d’Edmond Goblot, à propos de La Barrière et le niveau dirigeant les faits et gestes bourgeois l’ont été de

1.  Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, Le Livre des passages, [Das Passagen-Werk, 1982, trad. Jean Lacoste], Paris, Editions du Cerf, 1989; Walter Benjamin Sens Unique et Enfance Berlinoise [Gesammelte Schriften, 1972, trad. Jean Lacoste] Paris, Maurice Nadeau, 2007.

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même2. À des titres variés les écrits de Anne Martin-Fugier, Philippe Hamon, Charlotte Perkins Gilman, et enfin de Mario Praz ont, chacun, augmenté, soutenu, et étayé la recherche3. Ces ouvrages appartiennent aux champs de la littérature, de l’esthétique, de l’histoire matérielle et culturelle ou de la sociologie et sont mentionnés de façon récurrente au sein de ce mémoire. D’autres sont convoqués afin de soutenir l’un ou l’autre point du mémoire, toutefois il serait réducteur de supposer que ces ouvrages ou ces catalogues ne sont ici qu’instrumentalisés. La littérature romanesque du xixe

siècle occupe une place déterminante en ce qu’elle alimente la création contemporaine au même titre que les œuvres plastiques, et offre des support conceptuels décisifs.

Certains romans, tel À Rebours, 1884 de Joris Karl Huysmans, ou La Mascarade de la vie parisienne, 1859 de Champfleury, sont la source d’observations et de

rapprochements cruciaux. Enfin, une attention particulière a été consacrée aux manuels et guides destinés aux familles, et plus particulièrement aux femmes, ayant pour but de leur enseigner les façon de bien tenir (et bien se tenir au sein de ) leur intérieur. De constants allers-retours entre les disciplines et les thématiques sont opérés, créant un ensemble mouvant et composite, balluchon au sein duquel chaque chose semble communiquer avec sa voisine plus que sa parente.

Les entretiens avec les artistes, commissaires d’expositions, universitaires et

spécialistes ont été réalisés aussi souvent que possible afin de garantir des propos en adéquation avec le corps de la recherche. Il s’est agit de forger la thématique de ce travail de recherche mais également de préciser certains points spécifiques, tout en laissant libre cours à une parole, des observations et des remarques menant vers des postulats variés, dans une approche nuancée d’un phénomène.

2.  Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, T.1, La présentation de soi, Minuit, coll. 

Sens Commun, 1973 ; La Mise en scène de la vie quotidienne, T.2, Les relations en public, Minuit, coll. Sens  Commun, 1973 ; Les rites d’interaction, Minuit, coll. Sens Commun, 1974, Goblot, Edmond, La Barrière et le niveau, Étude sur la bourgeoisie française moderne, Paris, Puf, Le Lien social, 1984.

3.  Anne Martin-Fugier, La Bourgeoise, Femme au temps de Paul Bourget, Paris, Grasset, Figures,  1983 ; La Place des bonnes - La domesticité féminine à Paris en 1900, Paris, Perrin, 2004 ; « Les rites de  la vie privée bourgeoise » Histoire de la vie privée Tome 4 : de la révolution à la grande guerre, Paris, Points  Histoire, 1999 ; Philippe Hamon, Expositions, Littérature et architecture au XIXe siècle, Paris, José Corti, 1989,  et Imageries, Littérature et image au XIXe siècle, Paris, José Corti, 2001 ; Charlotte Perkins Gilman. Herland [1915], New York, Pantheon Books, 1979 ; Le Papier Peint Jaune [ The Yellow Wallpaper, 1889], trad. 

collective, Paris, Des Femmes, 1976 ; The Home, its work and influence, [1903], Urbana, University of Illinois  Press, 1972 ; Mario Praz,  L’Ameublement. Psychologie et évolution de la décoration intérieure. Paris, Tisne,  1964 Translated from the Italian by M.-P. &C. Boulay and A. Salem ; Conversation Pieces, A Survey of the Informal Group portrait in Europe and America, Londres, Methuen & Co Ltd, 1971 ;  La Maison de la Vie, [ La Casa della vita, 1979, trad. Monique Baccelli] Paris, Gallimard, 1993.

37 La naissance de l’intérieur

Mise en scène, domesticité et décoratif prennent tous trois effet au sein des diverses représentations de l’intérieur. Là se trouvent les raisons justifiant le choix d’utiliser ce terme en tant qu’outil critique d’analyse. Au-delà du foyer ou du home rassurant entourant la famille, l’intérieur est plus à même de marquer les similitudes entre le lieu d’habitation réel et la représentation de l’espace domestique tel que choisissent de le montrer nombre d’artistes. Sûrement est-ce dû au fait que l’émergence du terme va de pair avec l’émergence du fait et que la distinction entre espace public et espace privé ne pouvait auparavant être marquée avec autant de force. Dès lors, l’intérieur n’émerge que conjointement à l’avènement des concepts d’intimité et d’habitation individuelle coupée de l’extérieur4. Par ailleurs, son apparition est concomitante à celle de la bourgeoisie, du confort et de la société industrielle5. Dès lors que l’aisance matérielle l’autorise, se démocratisent de nouveaux espaces destinés à la réception détachés des espaces techniques (comme la cuisine) et des espaces devenus intimes de nuit et de toilette. Au sein de l’intérieur, le salon constitue avant tout le sas entre les espaces intimes et les espaces publics. L’intérieur n’est, dans les faits, pas opposé à l’extérieur, mais plutôt à l’espace public au sein duquel les codes des l’interaction sociale prennent un tour fort différent. Les modalités de circulation des individus se modifient en

profondeur et l’on vit désormais chez soi, ainsi, au sein de la plupart des foyers, seul l’homme conserve une réelle vie publique extérieure. En ceci, l’intérieur bourgeois du xixe

siècle est un remarquable objet de représentation polysémique6. Par le rythme différent qui y opère, les manières feutrées qui y sont de mise, mais également par la sensation

4.  à ce propos, voir Philippe Ariès et Georges Duby ( ed.),  Histoire de la vie privée, tome 4, De la Révolution à la Grande Guerre, Points Histoire, Paris, Seuil, 1999 et Michel de Certeau, Luce Giard et Pierre  Mayol (ed.) L’Invention du quotidien, Tome 2 : Habiter, Cuisiner, Paris, Folio Essais, 1994, Monique Eleb  ;  Anne Debarre, L’invention de l’habitation moderne. Paris 1880-1914, Paris, Hazan, Archives d’architecture  moderne, 1995 Charlotte Gere, L’époque et son style, la décoration intérieure au XIXe siècle, Paris, Flammarion,  1989  Stefan Muthesius, The Poetic Home: Designing the 19th-Century Domestic Interior, Londres, Thames 

& Hudson, 2008. Enfin, voir l’essai de Gail S. Davidson, « Une histoire vue de l’intérieur », Intérieurs Romantiques, catalogue d’exposition, Paris, Musée de la vie Romantique, en particulier, Charles Rice, The Emmergence of The Interior, Architecture, Modernity, Domesticity, New York, Routledge, 2007.

5.  De façon générale, voir également Régine Pernoud, Histoire de la bourgeoisie en France, tome 2 : Les temps modernes, Points Histoire, Paris, Seuil, 1981, quant à l’émergence du confort, et plus particulièrement  domestique, voir John E. Crowley, The Invention of Comfort : Sensibilities and Design in early modern Britain and Early America, Baltimore, John Hopkins University Press, 2003.

6.  Le tome 4 d’Histoire de la vie privée consacré à la période allant De la Révolution à la Grande Guerre,  est construit en suivant un découpage guidé par la métaphore théâtrale. La première partie ( M. Perrot, L. Hunt,  C. Hall) est apparentée à un Lever de Rideau, la Seconde (M. Perrot, A. Martin-Fugier) traite des Acteurs, la  troisième (M. Perrot, R.H. Guerrand) des Scènes et Lieux, et enfin, la dernière ( A. Corbin) des Coulisses. Voir  M. Perrot (ed.), Histoire de la vie privée, De la Révolution à la Grande Guerre, coll. Points Histoire, Paris, Seuil,  1999.

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de réconfortante sécurité qui y règne, l’intérieur est un havre offert au citadin face à la modernité galopante.

La seule raison de la naissance de l’intérieur au xixe siècle ne saurait suffire à justifier le fait que cette époque puisse être considérée comme l’élément de référence au sein de ce travail de recherche. L’existence passée d’un phénomène – l’émergence d’un mode inédit d’habitation et son influence profonde sur les rapports sociaux – ne peut suffire à en faire la cause et la preuve de son existence présente. La difficulté est donc de veiller à ne pas construire un argumentaire a-historique, et de s’astreindre à expliquer les liens réels qui existent entre ce xixe siècle incertain et la création contemporaine par l’analyse du contexte présent7. Il s’agit de pointer au sein des contextes variés ainsi que des œuvres du corpus des éléments propres à la comparaison et prompts à souligner les divergences.

L’origine de ces rapprochements ainsi que du postulat initial de ce travail de recherche est diffuse, cependant, lors de la visite de l’exposition Walter Benjamin Archives, la rencontre avec un ensemble de trois photographies a produit à ce sujet une impression d’évidence. Condensées et écrasées parmi les objets de l’Intérieur Bourgeois

photographié par Sasha Stone8, la plupart des remarques et considérations formulées à l’origine du travail de recherche étaient matérialisées en ce lieu surchargé et induites au sein de l’ensemble que formait ces trois vues. Partant, il a fallu se demander si la fascination qu’exerçaient de tels clichés allait au-delà d’un goût pour l’amoncellement baroque, d’une curiosité proche de celle suscitée par la lecture d’un inventaire, ou encore du plaisir de la comparaison scrupuleuse des trois photographies. Il semblait que ces clichés, présentés au sein d’un ensemble sur les passages parisiens, aient matérialisé en une preuve tangible le fait que les observations collectées étaient recevables. Ces clichés sont riches d’éléments marquants qui constituent autant

d’indices et de clés de compréhension, de l’intérieur bourgeois, de l’organisation sociale du xixe siècle et enfin de l’imaginaire lié à une époque aux accents exotiques. Ce trio de photographies peut être considéré comme un outil d’un usage pratique, fil conducteur à cette introduction autant que point de référence de l’ensemble de cette thèse.

Brûlés par lumière, ces clichés marquent très nettement la rupture de l’intérieur

7.  Voir Christine Delphy à propos du patriarcat et de certaines démarches « historiciennes » en 

introduction du tome I de L’Ennemi Principal, L’Économie politique du patriarcat. [2001] Collection Nouvelles  Questions féministes,  Paris, Syllepses, 2009, p.20 « […] or, d’un point de vue scientifique, il est aussi illégitime 

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bourgeois avec le monde extérieur, qui apparaît à la façon d’une trouée et d’un espace lacunaire au sein des épreuves. Les fenêtres, halos aveuglants, induisent par retournement la présence d’éléments cachés, dont la présence au-dehors semble déterminante, alors même que ce monde clos sur lui-même est étrangement dévoré par l’extérieur. Ce « passé mué en espace »9 décrit la plupart des environnements évoqués au sein de ce travail de recherche, par-delà la seule reconstitution historique.

Du fait même que ces photographies soient trois vues d’un même espace, ces

clichés instaurent un jeu complexe de variations autour du même. Ces vues - pourtant atypiques pour l’époque - proposent dans un mouvement singulier un exercice mental de reconstitution de l’espace, de synthèse et de traitement de l’information qui met à mal la frontalité propre aux photographies, qui plus est celle mettant en scène une accumulation des motifs décoratifs. Ces clichés ne se limitent pas à rendre compte de l’opulence du décor, ni même de la richesse de son aménagement, ils offrent la possibilité d’une projection, d’une appropriation et enfin d’une analyse. Indubitablement, l’accumulation visuelle est renforcée par la présence de motifs, des angelots aux

tapis, des velours aux papiers peints, de la mousseline des jupes des danseuses de porcelaine à l’agencement des cadres au mur. Chaque élément n’a de valeur que par son inclusion dans l’ensemble, pourtant, chacun des objets présents renforce l’analyse liée à la mise en scène et constitue un possible point d’accroche pour étayer une méthodologie forgée spécifiquement. S’il est difficile à percevoir pour des yeux contemporains, l’amoncellement est rigoureux et la disposition des divers éléments est équilibrée par un parallélisme – certes approximatif. La chiralité n’est ni tout à fait observée ni perceptible de prime abord tant les angles de vue renforcent au contraire une impression de désorganisation et de capharnaüm. De même, la richesse des éléments ornementaux ne s’offre qu’après une lecture attentive tant l’espace semble saturé d’objets. Les objets en question apparaissent volontairement déchiffrables, et leurs associations créent des interprétations renouvelées, par-delà d’une étude historique ou ethnographique. Sans constituer l’unique justification à la problématique soulevée par ce travail de recherche on conçoit à la lumière de ces clichés – qui peuvent être comparés à ceux pris par Beatrix Le Wita lors de ses enquêtes sur la bourgeoisie un siècle plus tard10 - que l’immobilisme apparent de ces signes peut être une explication supplémentaire de l’intérêt des artistes pour ce type d’intérieurs.

L’ornement, le décoratif ou l’intérieur et son aménagement occupent nombre de

9.  Voir Walter Benjamin Archives  Catalogue d’exposition, Paris, Musée d’Art et d’histoire du judaïsme,  Klincksieck, 2011, p. 272.

10.  Voir Beatrix Le Wita Ni Vue ni connue, approche ethnographique de la culture bourgeoise, coll. 

Ethnologie de la France, Paris, Éditions de la MSH, 1989, en particulier les photographies du salon de Madame  O. fille, pp. 5, 86-87, 137, 146-147.

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réflexions récentes en un retour vers des thématiques longtemps demeurées écartées.

Si le post-modernisme annonce la fin des grands récits et érige ce qui est désigné comme étant de l’éclectisme en figure de proue, l’architecture et le design ont

Si le post-modernisme annonce la fin des grands récits et érige ce qui est désigné comme étant de l’éclectisme en figure de proue, l’architecture et le design ont