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Intérêts et limites de la recherche

Chapitre VI Discussion générale

VI.2 Intérêts et limites de la recherche

L’accompagnement et l’intégration des personnes âgées constituent l’un des défis majeur de notre société. Les études démographiques témoignent en effet d’un processus de vieillissement inéluctable de la population (Robert-Bobée, 2006). L’accroissement du nombre de seniors et l’augmentation sensible de l’espérance de vie s’accompagnent d’effets secondaires importants : dépendance, maladie, isolement... Malgré ce vieillissement annoncé, les infrastructures et moyens de prise en charge paraissent encore insuffisamment développés et matures pour assurer un accompagnement acceptable tant humainement que financièrement. De nouvelles façons de soutenir ce vieillissement sont donc nécessaires pour pallier ce manque de moyens. Les possibilités ouvertes par les technologies et les usages qui en découlent laissent ainsi entrevoir des solutions innovantes dans l’assistance et le maintien à domicile des personnes âgées, qui d’ailleurs expriment majoritairement le souhait de passer leurs vieux jours au sein de leur habitat historique.

Cependant, malgré le développement de diverses technologies, nombreuses sont encore celles qui stigmatisent la personne âgée en l’identifiant comme une personne déficiente ou dépendante aux yeux de son entourage. En effet l’adoption de telles technologies n’est pas à considérer acquis car de nombreux facteurs déterminent l’adoption ou le rejet d’un système. Au cours de ce travail, nous avons pointé des problèmes relavant de l’utilité perçue, de l’acceptabilité sociale et de l’utilisabilité qui induisent un non équipement, un rejet social ou un non usage. Face à ces constats, un courant technologique est actuellement en plein essor et tente de pallier les faiblesses des précédents systèmes en concevant des outils de maintien à domicile capables de se fondre dans l’environnement, ne nécessitant pas ou peu d’intervention de la part de l’usager et préservant par ailleurs les modes, la qualité et la fréquence des relations sociales.

Malgré tout, la première génération de systèmes actimétriques souffre quand même de limitations. Basés sur l’installation de capteurs environnementaux ou intégrés à des objets du quotidien (caméra, capteur de mouvement, de pression etc.), le coût de l’appareillage peut devenir conséquent. Enfin, nombreuses sont encore les technologies dont le rayon d’action est limité à l’espace de la maison. Mais de nouveaux systèmes, parfois nomades, utilisant non plus des données de capteurs spécifiques mais des traces d’activités d’objets naturellement présent dans le quotidien font leur apparition et c’est dans ce contexte que ce situait la présente recherche étudiant les potentialités du téléphone envisagé comme un capteur d’activité sociale. Nous allons donc dans la suite de cette section traiter des intérêts et limites de ce travail de recherche.

VI.2.1 Intérêts et limites sur le plan théorique

Cette étude confirme les liens précédemment établit par une abondante littérature entre les notions de lien social, d’activité sociale et de bien-être psychologique. Plus précisément, elle valide les résultats de précédentes recherches conférant au téléphone, un rôle prépondérant dans la gestion de la vie sociale et l’apaisement d’affects négatifs liés à des symptomatologies psychiques. Et si elle n’a pas su mettre en évidence son rôle dans la gestion de l’urgence, elle a permis d’établir de nouvelles relations entre la santé physique et l’usage du téléphone et montrer comment en cas de problème, il devenait le moyen d’une part de chercher des réponses au sujet de l’état en permettant de contacter des professionnels de santé, mais aussi de mobiliser et d’avertir son cercle de relations intimes. Enfin, cette étude a aussi contribué à mettre en lumière certains types de comportements consécutifs à des limitations physiques en établissant des liens entre un état de santé dégradé et la disponibilité sociale, les capacités motrices et des perturbations d’activités. Si ceci n’est pas une avancée dans le domaine médicale, nous n’avons à ce jour pas eu connaissance d’étude établissant directement ce lien avec l’usage du téléphone.

Par ailleurs, si très nombreuses sont les études ayant auparavant investiguées les dimensions du bien-être, rares sont celles à les avoir investiguées au prisme d’un seul et même point de vue. En effet, l’investigation bibliographique, bien qu’ayant permis de mettre en évidence les différentes fonctions du téléphone, force fut de constater que chacune s’intéressait seulement à l’une ou l’autre des questions examinées dans le cadre de ce travail. En outre, celui-ci a aussi la particularité de ne pas se fonder sur les représentations sociales de l’usage du téléphone mais de tirer ses conclusions directement de l’usage de l’outil. Il est bien loin de nous de penser qu’il existe une relation de supériorité entre les différentes méthodes d’investigation et nous sommes intimement convaincus qu’un travail de confrontation aux traces de l’activité téléphonique permettrait aujourd’hui d’éclairer d’une manière particulièrement pertinente les résultats statistiques obtenus au cours de ce travail.

Toutefois, afin de dépasser les à priori de la représentation les résultats de cette étude peuvent être

particulièrement utiles.

Malgré tout, le revers des recherches de cette ampleur est que chaque dimension étudiée aurait pu faire l’objet d’une étude en elle-même. Afin de composer avec son ampleur, nous fûmes contraints de seulement survoler les nombreuses implications de chacune des problématiques évoquées. En cherchant seulement dans la littérature quelles pouvaient être les expressions de chaque problématique dans l’activité téléphonique, nous avons fait l’impasse sur une réflexion de

fond sur les différentes thématiques abordées et nous passons en outre peut-être à côté des interprétations les plus pertinentes.

Cependant la présente étude apporte tout de même une contribution non négligeable au domaine de la recherche en gérontechnologie et peut-être plus particulièrement à celui de l’actimétrie, en montrant que des informations relativement basiques, comme les métadonnées issues de l’activité téléphonique, permettent de rendre compte de problématiques mondaines dans un domaine aussi vaste que celui du bien-être. Enfin, parce que l’investigation des potentialités du téléphone dans le domaine est aujourd’hui en plein essor avec entre autre l’étude des données issues des capteurs inertiels ou des métadonnées liées à l’usage des applications mobiles, cette recherche apporte une certaine contribution grâce à ces résultats issus de l’étude des métadonnées de communication.

VI.2.2 Intérêts et limites sur le plan méthodologique

Ce point a été évoqué précédemment dans les limites théoriques mais il a aussi une réalité sur le plan méthodologique : en investiguant une pluralité de dimension, le recueil de données fut forcément impacté dans ses dimensions quantitatives et qualitatives. Quand une étude spécialisée dans le domaine aurait optimisé, maximisé et systématisé la récolte d’informations sur une seule problématique en mettant l’accent sur ses nuances, celle-ci fit le choix d’en appréhender plusieurs avec un grain plus grossier afin d’explorer les potentialités des traces d’activité téléphonique sur une pluralité de pistes. Ainsi si elle nécessite des approfondissements, elle a tout même permis de cibler des paramètres particuliers afin de concentrer les efforts de recherches à venir.

Cet objectif clairement assumé dès le début du travail nous a alors conduit à privilégier une certaine forme de recueil, celui des carnets de bords. Si celui-ci s’est avéré particulièrement pertinent en permettant de récolter des informations sur une temporalité quasiment superposable aux données téléphoniques, la qualité du recueil fut dépendante de l’engagement dans la recherche de nos participants. Ainsi quand certains ont fournis quotidiennement des données extrêmement détaillées, d’autres se sont contentés de cocher l’autoévaluation de santé et de moral et une partie de l’échantillon n’a tout simplement consigné aucune information dans le carnet de bord. Cette variabilité a eu des conséquences non négligeables sur les analyses compte tenu de l’effectif déjà qualitatif de l’échantillon.

Par ailleurs, la méthode du carnet de bord, de la manière dont nous l’avons mis en œuvre, c’est-à-dire en laissant la liberté aux participants d’inscrire ce qu’il souhaitait dans le carnet à partir

du moment où cela était en rapport avec l’activité sociale ou la santé, pose non seulement des problèmes de reproductibilité mais questionne aussi la difficulté de parler de la routine. En effet nombreux sont les volontaires à avoir eu du mal à consigner chaque jour les mêmes informations qu’ils jugeaient personnellement sans importance. Une fois encore, nous pensons que ce problème méthodologique découle de la pluralité des pistes investiguées : si nous avions fait le choix de n’étudier qu’une seule des dix dimensions, nous aurions pu envisager un carnet présentant des items à cocher chaque jour sur une problématique précise et ainsi standardiser le relevé. Toutefois nous ne regrettons pas complètement le choix effectué car il a sans doute permis de recueillir des informations que l’on n’aurait pas envisagées à priori avec un recueil sous forme de questionnaire. La batterie d’évaluation psychométrique était d’ailleurs envisagée pour pallier ce problème ; mais la sensibilité ainsi que la récurrence trimestrielle de passation se sont avérées insuffisantes.

Enfin nous conclurons cette section en abordant les évidentes limites liées à la taille de l’échantillon. Si le volume de données était suffisant pour réaliser des analyses sur le plan intra-individuel, l’effectif restreint de participants pose évidemment des questions sur la représentativité et la généralisation des résultats. Bien que cette posture d’analyse offrait l’avantage de pouvoir composer avec la complexité comportementale de chacun et d’étudier une pluralité de profils de personnes âgées, elle rend difficiles des comparaisons intergroupes traditionnelles. Il faut donc relativiser ces résultats exploratoires qui nécessitent une validation auprès d’un échantillon quantitativement plus conséquent.

VI.2.3 Intérêts et limites sur le plan pratique

Nous l’avons souligné à plusieurs reprises, si les résultats de cette étude trouvaient une application sur le marché des gérontechnologies, ce serait l’occasion d’offrir un service de télé-suivi à la fois nomade, non stigmatisant, probablement compétitif sur le plan économique puisqu’il ne nécessitera aucune installation particulière et très intéressant du point de vue de l’appropriation.

Malgré tout en l’état actuel des choses, bien que l’outil serait capable de rendre compte d’un glissement ou d’une évolution sur une période de temps relativement courte, les analyses actuelles ne permettent pas de prédire la survenue de ces problématiques, ni d’alerter dans un laps de temps concordant avec les situations d’urgence. Pour cela, il faudrait donc produire des études complémentaires s’orientant vers des modèles prédictifs et dépasser le simple constat d’évènement pour envisager remplacer les systèmes actuels de téléalarmes.

Nous souhaitions enfin évoquer la difficulté de mettre en évidence l’activité sociale ainsi que les problèmes liés à la santé de la population résidant en institution. Nous expliquons ce fait d’une part par l’engagement moindre dans la recherche et la fourniture épisodique d’informations dans le carnet de bord, ce qui a pu affecter les analyses ; mais aussi et peut-être surtout car l’institution concentre une part non négligeable de l’activité sociale et des échanges sur les problématiques médicales. Nous imaginons donc que les flux communicationnels en rapport avec ces questions relèvent davantage du face à face que de l’usage du téléphone dans ce type de structure.